LA FRANCE est le deuxième pays utilisateur de pesticides dans le monde : 95 000 tonnes/an pour usage agricole, 1 500 tonnes/an pour les espaces publics et une quantité importante mais non précisée pour les jardins individuels. Pourtant, les ressources hydriques sont moins touchées qu’on ne pourrait le craindre. La norme pour les eaux brutes est de 2 µg/l par substance et 5 µg/l au total. Sur quelque 700 000 analyses de pesticides effectuées en 2002-2003, on ne dénombre que 39 ressources souterraines et 32 eaux de surface qui affichent des taux supérieurs à 2 µg/l, «si bien que l’eau de boisson, après traitement, pose exceptionnellement des problèmes».
Est-ce à dire que les pesticides ne posent pas de problème ? Non, le nombre des molécules recherchées en France (369 en 1997) est voué à augmenter, variant en fonction des cultures régionales. De plus, les nouveaux pesticides ont, par définition, des effets beaucoup moins connus. En outre, si les apports de pesticides sont bien contrôlés dans l’eau de boisson, ils le sont beaucoup moins dans l’alimentation. Enfin, la protection contre les pesticides n’intègre pas complètement des effets mal analysés chez l’homme, à commencer par les effets perturbateurs endocriniens, conclut le Pr Philippe Hartemann (département Environnement et Santé publique, Nancy).
En Haute-Normandie, comme dans chaque région française, le traitement et l’analyse de l’eau potable doivent tenir compte des particularités des ressources locales pour répondre aux normes draconiennes de sécurité. Comme le souligne Catherine Charon, responsable du service eau potable de Veolia Eau Normandie (opérateur qui couvre la moitié des foyers en Seine-Maritime et dans l’Eure), si la recherche et l’élimination des pesticides sont bien une priorité, la préoccupation principale est la limitation des épisodes de turbidité, du fait de la présence de nombreuses zones de karstification.
Pour les pesticides, quelque 80 molécules sont surveillées (chaque Ddass fixe sa liste en fonction des pratiques agricoles locales). En Seine-Maritime comme dans l’Eure, les non-conformités sont exceptionnelles (0,1 %). L’atrazine et deux de ses sous-produits sont le plus souvent en cause, ce qui s’explique par la nature souterraine des ressources ; toutefois, les concentrations maximales (de 0,17 à 0,24 µg/l) sont loin des 2 µg/l considérés par les experts comme le seuil de dangerosité vraie.
Là encore, les exploitants sont des acteurs de démarches préventives : respect des périmètres de protection instaurés par la déclaration d’utilité publique des ressources prévue dans le plan national Santé Environnement, et qui doivent concerner la totalité des ressources d’ici à 2010 ; démarche d’amélioration des pratiques agricoles. Mais aussi de démarches curatives (dilution maîtrisée, filtration sur charbon actif en grains).
Les pesticides parmi les perturbateurs endocriniens.
Si les effets des perturbateurs endocriniens (PE) sont encore insuffisamment analysés, les données disponibles justifient une vigilance accrue et des efforts de recherche importants, indique le Pr Gilles-Eric Seralini (laboratoire de biochimie, université de Caen), les pesticides étant, avec les autres polluants industriels, au coeur de ces préoccupations.
Le mécanisme d’action des pesticides est particulièrement inquiétant car ils sont conçus pour perturber les mécanismes intimes des cellules, en entrant dans ces dernières grâce à l’action des détergents, avec lesquels ils sont commercialisés en formulation, mais déjà eux aussi très présents dans l’eau des mers et des rivières.
Ces mécanismes d’actions cellulaires complexes expliquent sans doute pourquoi les PE ont plutôt des effets féminisants, comme on l’a observé dans diverses espèces animales aquatiques. En effet, ces substances ne se fixent pas seulement à des récepteurs, mais aussi à des protéines de transport, en particulier la SHBG, qui transporte les hormones sexuelles et qui peut déverser les pesticides dans les gonades.
En outre, ces pesticides passent à travers le système des cytochromes P450, qui a pour rôle de solubiliser, en les hydroxylant (ils ressemblent ainsi davantage à des estrogènes), les polluants de nombreux médicaments et des hormones endogènes ; à ce niveau, une enzyme, l’aromatase, joue un rôle important en transformant les androgènes en estrogènes (ces derniers étant des androgènes hydroxylés). On comprend ainsi le rôle de l’aromatase pour la différenciation sexuelle (mais aussi sur l’ossification).
Ces données fondamentales sont corroborées par des observations faites dans le monde animal, marin ou semi-aquatique. On peut en rapprocher la diminution de la fertilité masculine décrite dans l’espèce humaine et l’augmentation des malformations, notamment en milieu agricole. Mais il y a un débat aujourd’hui sur l’influence exacte des PE sur la reproduction humaine et dans d’autres pathologies (cancer, allergie…).
Le Pr Seralini appelle à la vigilance et à l’intensification des recherches et analyses, «en sachant que, si le contrôle des pesticides est relativement bon dans l’eau de boisson, il n’en est pas de même, loin s’en faut, pour l’ensemble de l’eau présente majoritairement dans la composition de l’alimentation».
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