Pour réformer le système de soins, le gouvernement prendra tout son temps, en procédant par petits pas ; c'est Jean-François Mattei qui le dit. Pourquoi cette soudaine prudence ?
Parce que beaucoup de Français font une réaction allergique à la réforme des retraites, que la popularité de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin a chuté dans les sondages et que le gouvernement ne veut pas être celui qui n'exige que des sacrifices.
Des « mesurettes » pour la rentrée
Non seulement la réforme des retraites est mal engagée, avec au moins deux syndicats, la CGT et FO, qui ne désarment pas et poursuivront le mouvement au-delà de l'été, mais l'opposition se livre, à l'Assemblée, à une forme d'obstructionnisme qui va forcer les élus à travailler sans désemparer, probablement pendant plusieurs semaines. La discussion des articles du projet de loi (il y en a 80) a à peine commencé. Et le Premier ministre aurait bien du mal à lancer, dans la foulée, la réforme de l'assurance-maladie.
Pour ne pas se déjuger, M. Mattei annoncera certainement des mesures sur le système de soins à la rentrée. Mais contrairement à ce qu'il avait préalablement affirmé, il n'est plus question de boucler la réforme avant la fin de l'année, mais de la distiller sur une période de quatre ans, jusqu'à la fin du mandat présidentiel.
Or il est évident que si la réforme avait été rapide, elle aurait été drastique ; et que plus elle est lente et plus longtemps les structures du dispositif actuel resteront en place.
Cela veut dire qu'on n'entrera pas tout de suite dans le débat crucial du panier de soins remboursables et des soins qui ne relèvent pas de la solidarité nationale ; cela veut dire aussi que, pour réaliser des économies alors que le déficit cumulé des années 2002-2003 risque d'atteindre de 18 à 20 milliards d'euros, on recourra pendant quelques années encore, aux bonnes vieilles méthodes : forte pression sur l'offre médicale et hausse des cotisations. On n'y échappera pas, car l'Etat n'a plus aucun moyen de financer le déficit et ne veut plus limiter les dépenses par une forte pression sur la demande de soins, à laquelle, visiblement, il a renoncé dans l'immédiat, pour les raisons politiques mentionnées ci-dessus.
D'ailleurs, on ne voit pas comment il va résorber la vingtaine de milliards de déficit prévu autrement qu'en prolongeant la durée de la CRDS, censée rembourser les dettes accumulées de l'assurance-maladie, au-delà de 2013 et pour plusieurs années supplémentaires.
Ce sera sans doute, à moins qu'il ne sorte un lapin de son chapeau, son premier acte fiscal, et ce ne sera pas le seul. On peut en outre supposer qu'il ne fera qu'un geste symbolique pour les spécialistes dans le cadre du règlement conventionnel minimal. Et dans les premières mesures qu'il prendra au titre de sa réforme au train de sénateur, il ne rouvrira certainement pas le secteur II.
En conséquence, le corps médical va souffrir indirectement de la réforme des retraites et de la crise de l'éducation qui auront absorbé cette année toutes les énergies, syndicales, populaires et politiques. La France, de toute évidence, ne peut pas digérer deux très grandes réformes à la fois sans chambardement politique.
C'est bien sûr très regrettable parce que, pour épargner les patients, on va les conforter dans l'idée qu'ils ne paieront davantage que par le truchement de la CSG, laquelle, pourtant, ne suffira pas à régler le problème et ne constituera pas la seule augmentation des prélèvements obligatoires. En effet, à terme, le financement des retraites n'est assuré que pour un tiers par la prolongation des carrières et les deux autres tiers ne pourront venir que d'une hausse des cotisations.
Dans ce contexte de faible croissance, de trésorerie déficitaire, et d'indifférence populaire aux conséquences du ralentissement économique, le gouvernement ne peut pas, en toute occasion, expliquer aux Français qu'ils doivent encore se serrer la ceinture. Forcément, cela signifie qu'il pèsera moins, dans les mois qui viennent, sur la consommation des soins que sur le prix des soins. Et qu'il préfèrera la gestion de plusieurs conflits sectoriels, le médicament, les médecins libéraux, les personnels hospitaliers, à la gestion d'une crise politique qui risque de l'engloutir.
La santé ne sera pas « libérée »
Dans ces conditions, les médecins, et plus particulièrement les libéraux, qui appuient leur action sur le thème de la « santé libérée », ne peuvent s'attendre, pour cette année et l'année prochaine, à aucune réforme en profondeur, par exemple la séparation des honoraires du taux de remboursement de l'assurance-maladie.
Pourtant, si la logique était applicable en France, le précédent de la réforme de la visite à domicile aurait dû encourager les pouvoirs publics à s'engager plus avant dans la même voie. D'une certaine manière, le gel du secteur II crée une très forte injustice à la fois pour les patients et pour les médecins. Les praticiens qui bénéficient du secteur II disposent en quelque sorte d'un monopole et n'affrontent aucune concurrence, sinon celle du secteur I. Ils sont donc concentrés dans les villes ou les quartiers aisés où les patients peuvent payer une assurance complémentaire ou de leur poche.
En revanche, une réouverture sans limitation du secteur II obligerait les médecins à s'adapter aux moyens financiers de leurs patients et donc à rester aussi près que possible du tarif remboursé. Tous les praticiens libéraux ne peuvent s'installer dans les quartiers riches et d'ailleurs, on pourrait assortir la réouverture du secteur II d'incitations à l'installation des médecins dans des régions où leur nombre est insuffisant.
Une réforme de cette ampleur sera annoncée un jour. Mais il serait surprenant que, dans le cadre d'une réforme étalée sur plusieurs années, le gouvernement commence par donner satisfaction aux médecins.
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