D'après un entretien avec le Pr Michel Boiron
Institut de génétique moléculaire, hôpital Saint-Louis, Paris.
LE CANCER est une maladie complexe, comportant de nombreuses anomalies génétiques, mais aussi épigénétiques, perturbant l'expression et le fonctionnement des gènes. La combinaison de ces différentes altérations aboutit à une instabilité génétique à l'origine de l'apparition de tumeurs qui sont ainsi chacune différentes les unes des autres. Or cette hétérogénéité de la maladie cancéreuse est encore très mal appréhendée aujourd'hui, ce qui rend particulièrement difficile le choix d'une stratégie thérapeutique optimale. D'où l'idée, il y a quelques années, d'approfondir la caractérisation moléculaire des tumeurs dans le double objectif d'identifier de nouveaux marqueurs diagnostiques, pronostiques ou prédictifs d'une réponse thérapeutique, d'une part, et de développer de nouvelles substances anticancéreuses beaucoup plus spécifiques, d'autre part.
Puces à ADN.
De fait, du point de vue technique, les progrès conjoints de la robotique, de la bio-informatique et de l'analyse moléculaire à grande échelle permettent désormais d'accéder à cette dimension moléculaire de l'analyse des cancers. Grâce à ces « fameuses » puces à ADN, il est en effet aujourd'hui possible de mesurer simultanément l'activité de plusieurs milliers de gènes. En premier lieu, ces techniques autorisent ainsi l'étude de l'ADN tumoral. Cette recherche, très complexe, n'est cependant encore le fait que de quelques laboratoires. Elle est principalement intéressante lorsqu'on suspecte une origine génétique du cancer, comme c'est le cas pour certaines tumeurs mammaires, du côlon ou de la thyroïde.
Deuxième application possible, l'étude du transcriptome, c'est-à-dire des ARN messagers tumoraux, est, elle, très active, en particulier dans le cancer du sein et les lymphomes. Mais il ne faut pas se leurrer, « les premiers résultats validés internationalement et exploitables ne seront pas disponibles avant quelques années », précise le Pr Michel Boiron, qui ajoute que la complexité de ces recherches jointe à leur coût important* demeurent un frein à leur diffusion.
Pour l'instant, on arrive à classer certains cancers, selon de nouveaux critères concernant surtout le pouvoir invasif et la gravité du pronostic. Mais, si cette caractérisation plus fine, rendue possible par les puces à ADN, semble pouvoir être assez vite atteinte pour certaines tumeurs, que peut-on vraiment espérer aujourd'hui en termes de bénéfices pour le malade ?
Profil protéique.
Certaines tumeurs ou hémopathies comme les lymphomes non hodgkiniens nous confronteront vraisemblablement à une « forêt » de variétés tumorales auxquelles il faudrait alors opposer un traitement spécifique que nous sommes encore loin d'avoir. Si cette approche ciblée est certainement d'importance majeure, son développement prendra à l'évidence encore des années, sans compter le coût engendré qui diminuera vraisemblablement dans l'avenir du fait des progrès technologiques. Mais il est possible que les espérances seront davantage porteuses de succès, grâce à l'étude du produit final de la transcription, en l'occurrence la protéine. Alors que l'ampleur de la tâche (il existe environ six cent mille protéines différentes chez l'homme) avait initialement découragé beaucoup de chercheurs, des résultats très intéressants ont d'ores et déjà été obtenus dans le cancer de l'ovaire. La séparation des protéines ou plutôt d'agrégats de certaines protéines (clusters) offre en effet la possibilité d'établir un profil protéique particulier grâce à une simple prise de sang, et par là d'effectuer un diagnostic très précoce et une surveillance des sujets à risque.
* Par exemple, le coût d'un criblage complet des gènes BRCA1 et BRCA2 est de l'ordre de 1 000 à 1 200 euros (NDLR).
Une carte d'identité des polymorphismes génétiques
A côté de l'étude des tumeurs, il faut citer l'analyse biologique moléculaire de l'hôte, c'est-à-dire des polymorphismes génétiques qui sont très nombreux dans l'espèce humaine.
Cette étude pourrait apporter des données très intéressantes en termes de prédisposition aux cancers mais aussi de prédisposition aux cancérogènes, de la synthèse de nouveaux médicaments et de prédisposition de l'efficacité thérapeutique et des effets toxiques des traitements.
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