Par le Dr AGNÈS SENÉJOUX *
LES FISTULES anales cryptogénétiques ont pour origine une infection des glandes d'Hermann et Desfosses. L'infection, initialement cryptique, traverse le sphincter anal interne pour diffuser dans l'espace intersphinctérien où elle peut rester circonscrite et être à l'origine d'un abcès intramural du rectum, ou traverser le sphincter externe à un niveau plus ou moins haut et constituer une fistule transsphinctérienne s'abouchant à la peau par un orifice externe ou entraînant à la phase aiguë un abcès marginal.
La fistulotomie est efficace pour les fistules simples.
Si les fistules simples, superficielles, sont les plus fréquentes, représentant 85 à 95 % des cas, les fistules hautes peuvent constituer un véritable défi thérapeutique. Il importe en effet, pour traiter une fistule anale, d'une part, de guérir la suppuration et, d'autre part, de respecter la fonction de continence. En dépit de sa grande efficacité, la fistulotomie peut entraîner des dégâts sphinctériens, surtout si la fistule est considérée comme à risque : fistule haute, fistule antérieure chez la femme, fistule multiopérée ou survenant chez un malade prédisposé à l'incontinence fécale (1). Cela explique le développement de techniques dites d'épargne sphinctérienne dont le but est de guérir la suppuration sans réaliser de section sphinctérienne. Ces techniques sont multiples : lambeaux d'avancement muqueux ou cutanés et, de façon plus récente, injection de colle ou obturation à l'aide d'un bouchon de collagène ou « plug ».
Elles peuvent aussi être indiquées dans le cas particulier des fistules anopérinéales se développant au cours de la maladie de Crohn dont le traitement reste le plus souvent mixte, médical et chirurgical.
Une nouvelle utilisation thérapeutique des colles de fibrine ?
Les colles biologiques de fibrine sont utilisées depuis de nombreuses années en chirurgie, notamment à visée hémostatique. Ce sont les plus couramment utilisées pour traiter les fistules anales. Appliquée dans un trajet fistuleux, la colle de fibrine entraîne la formation d'un caillot qui stimule la migration, la prolifération et l'activation, et sert de matrice aux fibroblastes ainsi qu'aux cellules endothéliales pluripotentes. Le caillot se lyse en 7 à 14 jours et la synthèse de collagène induite par les fibroblastes permet la cicatrisation.
Il est impératif que le trajet fistuleux soit parfaitement drainé avant de réaliser l'encollage, au besoin en pratiquant un temps opératoire préliminaire de drainage par séton. Après curetage soigneux pour aviver le trajet fistuleux et lavage de celui-ci, un cathéter souple est introduit par l'orifice externe de la fistule et la colle est injectée de l'intérieur à l'extérieur.
Les résultats des injections de colle de fibrine sont très variables dans la littérature et ne semblent pas différer selon le type de colle utilisée {(taux moyen d'efficacité de 53 % ( 10-78 % )} (2). La longueur du trajet est un facteur pronostique discuté : l'efficacité de l'encollage paraît meilleure pour les fistules à trajet long, bien qu'une corrélation inverse ait également été trouvée. Parmi les autres facteurs d'échec, la maladie de Crohn ou l'infection à VIH ont été évoquées (3). Enfin, il semble que le fait de fermer l'orifice primaire par un point de suture ou d'adjoindre des antibiotiques dans la colle injectée ne permettent pas d'améliorer les résultats. L'efficacité à long terme de ce traitement doit être évaluée, mais il semble que, lorsque la fistule reste fermée six mois après le traitement, le risque de récidive soit très faible (4).
Dans un essai multicentrique randomisé, mené au cours de la maladie de Crohn, la colle était plus efficace que l'observation simple, puisque 38 % des malades traités par colle étaient en rémission à l'issue du traitement contre 16 % pour le groupe non traité. Ces résultats étaient meilleurs pour les fistules simples que ceux pour les fistules complexes (50 contre 18 % de fermeture) (5).
Un bouchon de collagène pour mieux obturer ?
L'application de colle de fibrine a une efficacité limitée s'expliquant peut-être en partie par sa texture liquide : il est, en effet, fréquent que le trajet fistuleux soit mal rempli, ou pire, que la colle soit rapidement expulsée du trajet après l'injection. Le plug est un dispositif de forme conique fabriqué à partir de sous-muqueuse d'intestin de porc et destiné à obturer le trajet fistuleux. Afin de limiter le risque de survenue d'un abcès, le traitement ne doit être réalisé que sur un trajet fistuleux parfaitement drainé, au mieux par la mise en place préalable d'un séton. L'obturateur est posé sous anesthésie générale, par voie rétrograde, après rinçage simple du trajet à l'eau oxygénée. Après blocage au niveau de l'orifice interne et section à la bonne longueur, il est suturé fermement au canal anal à sa partie la plus large par un point en 8. Il existe un risque d'avulsion précoce du plug, notamment si celui-ci n'a pas été correctement fixé ou si l'orifice primaire est large. Les malades doivent limiter leurs activités physiques pendant 15 jours après la mise en place du plug. Après l'intervention, l'obturateur est colonisé en 3 à 6 mois par les cellules de l'hôte. Le plug n'entraîne pas de réaction à corps étranger. Les résultats des travaux publiés sont très variables, favorables dans à 24 à 83 % des cas (6, 7). Dans un essai non randomisé comparant le plug à la colle, les résultats étaient meilleurs avec le bouchon de collagène (87 contre 40 % de fermeture) (8).
Au cours de la maladie de Crohn, un travail rapporte des résultats encourageants puisqu'ils sont favorables dans 83 % des cas (9). Ces résultats nécessitent cependant d'être confirmés par des travaux ayant un meilleur niveau de preuves avec un recul plus long. Un essai randomisé multicentrique mené sous l'égide du GETAID (Groupe d'étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif) a d'ailleurs récemment été entrepris. Le traitement des fistules anales à risque d'incontinence est un véritable enjeu thérapeutique. Les techniques dites d'épargne sphinctérienne sont en plein essor. Leurs résultats n'égalent pas ceux du traitement conventionnel (la fistulotomie en un ou plusieurs temps). Ces traitements méritent d'être mieux évalués car leur innocuité sur la continence amène à les prendre en compte dans la prise en charge thérapeutique des malades à risque.
* Hôpital Léopold-Bellan, Paris.
(1) Garcia-Aguilar J et coll. Dis Colon Rectum 1996 Jul;39(7):723-9.
(2) Swinscoe MT et coll. 2005 Jul;9(2):
89-94.
(3). Abel ME et coll. Dis Colon Rectum 1993 May;36(5):447-9.
(4) Adams T et coll. Dis Colon Rectum 2008 Oct;51(10):1488-90.
(5) Grimaud JM-B N et coll. Gastroenterology 2008. In Press.
(6) Lawes DA et coll. 2008 Jun;32(6):1157-9.
(7) Champagne BJ et coll. 2006 Dec;49(12):1817-21.
(8) Johnson EK et coll. Dis Colon Rectum 2006 Mar;49(3):371-6.
(9) O'Connor L et coll. Dis Colon Rectum. 2006 Oct;49(10):1569-73.
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