A aucun moment, dans le texte des recommandations émis par la Société de réanimation de langue française (SRLF) concernant « les limitations et arrêts de thérapeutique en réanimation adulte », n'apparaît le vocable euthanasie. « C'est un mot qui fait peur », souligne le Pr François Lemaire, secrétaire de la Commission d'éthique de la société savante, « c'est un gigantesque piège » qui empêche d'accepter de regarder la mort en face.
C'est toutefois la première fois que des réanimateurs évoquent officiellement le sujet. « Nous devions sortir du fantasme qu'inspirent les services de réanimation », explique le Pr Jean-Michel Boles, président de la SRLF. Un fantasme alimenté à la fois par la crainte de l'acharnement thérapeutique et celle de l'euthanasie. « La SRLF ne veut pas prendre position sur une affaire comme celle qui s'est déroulée en avril dernier, au CHU de Besançon (l'équipe soignante du service de réanimation chirurgicale a dénoncé la précipitation de certaines décisions d'arrêt de traitement, NDLR) . Une enquête officielle est en cours, reprend le Pr Boles. En revanche, cela fait maintenant cinq ans que nous réfléchissons à la rédaction de recommandations. Nous suivons deux objectifs : protéger le patient et aider les équipes, médecins et infirmiers, à améliorer et homogénéiser leurs pratiques ».
Les recommandations tournent autour d'une décision centrale : celle de limiter ou d'arrêter les thérapeutiques actives (ventilation mécanique, extubation, hydratation). « Cette décision d'arrêter ou de limiter les supports vitaux n'est pas faite dans l'intention de donner la mort, précise le Dr Edouard Ferrand, anesthésiste-réanimateur, membre de la Commission d'éthique de la SRLF. C'est une stratégie thérapeutique. Il y a une différence entre accepter d'avancer le moment de la mort d'un patient et le fait de causer sa mort ». La SRLF ne cautionne donc en aucun cas les injections létales.
Trois situations sont envisagées selon l'état du patient. Le premier cas concerne le malade en échec thérapeutique pour lequel on évite l'acharnement thérapeutique. Le deuxième cas - sur lequel la SRLF n'a pas défini de position puisque « personne n'est prêt à en parler », confie le Pr Lemaire - vise le patient avec pronostic très défavorable en termes de qualité de vie, comme le patient en état végétatif chronique. Enfin, le dernier cas est celui du malade qui, conscient de son état, demande l'arrêt des traitements de suppléance vitale.
Une réflexion collégiale
La décision de limitation ou d'arrêt doit être prise dans le cadre de la fin de vie médicalisée. Cela suppose, d'une part, que cette décision est le fruit d'une réflexion collégiale qui rassemble médecins et infirmiers et, d'autre part, que le patient bénéficie de soins palliatifs adaptés « au niveau de ses souffrances, sans limite de doses ». « Il ne s'agit pas d'un abandon des soins, indique le Dr Ferrand. C'est une réorientation des traitements, du curatif vers le palliatif ».
Lorsque le patient est inconscient, la SRLF suggère d'impliquer les proches en tant que représentants du patient. « Mais, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis, la décision reste médicale », note le Pr Lemaire. En cas de désaccord, des intervenants extérieurs peuvent être consultés (l'équipe de soins palliatifs, une personnalité religieuse, les membres du comité d'éthique clinique, etc.). La SRLF conseille par ailleurs de notifier « le processus de prise de décision » dans le dossier médical du patient afin d'améliorer la communication au sein de l'équipe soignante et d'en garder une trace formelle en cas de conflit juridique.
L'accompagnement des proches est également abordé dans les recommandations de la SRLF. « Nous devons promouvoir plus d'humanité, affirme le Pr Boles. Cependant, il faut reconnaître que cela demande du temps et du personnel : ce n'est pas avec deux équivalents temps plein que nous pouvons remplir convenablement cette mission. »
Confrontés quotidiennement à la mort, les soignants des services de réanimation devraient pouvoir s'appuyer sur ces recommandations. « Nous ne sommes pas des machines, ajoute le Pr Boles. Près de 20 % des patients de réanimation meurent. Cela fait environ une personne tous les trois jours. Chaque situation est unique et difficile. »
Le texte des recommandations sera publié dans la revue de la société savante et diffusé sur le site Internet (www.srlf.org). Les 350 services de réanimation des hôpitaux et cliniques français devraient le recevoir, ainsi que les facultés. « Et, pour aller plus loin, ne pourrait-on pas envisager que certaines de ces recommandations soient prises en compte dans la procédure d'accréditation des établissements de soins? », avance le Pr Lemaire.
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