Ainsi, ces dernières années, le souhait de contrôler les modifications métaboliques postprandiales et d’éviter des excursions trop importantes de la glycémie, de l’insulinémie et de la triglycéridémie, a conduit à développer le concept d’index glycémique (IG). Imaginé par Jenkins en 1981, il consiste à classer les aliments en fonction de l’aire sous la courbe de la glycémie obtenue dans les deux heures après l’ingestion de 50 g équivalent glucose du produit (en comparaison avec la référence « glucose » ou « pain blanc »). Cela a conduit à des tables de classement complexes (Foster-Powell, 2002) et surtout à certaines dérives : feu rouge ou vert en fonction de l’IG, sans tenir compte des autres caractéristiques du produit ni de la façon dont il est consommé.
Des effets bien au-delà de 2 heures
Pour éclairer le débat, le Pr Martine Laville a rappelé un certain nombre de données, issues des travaux de son équipe. Les modifications métaboliques postprandiales après ingestion de glucose ou de céréales se prolongent bien au-delà des deux premières heures et ne concernent pas que les glycémies. «D’après nos travaux, elles durent de 4 à 6heures et ont parfois même un impact sur le métabolisme du repas suivant», précise le Pr Laville. La technique du double marquage isotopique (marquage du pool de glucose et marquage du glucose du produit ingéré) a permis de montrer que, après ingestion de glucose seul, la glycémie et l’insulinémie reviennent aux valeurs basales après 3 heures, alors que la présence dans le sang du glucose venu de l’alimentation (céréales) se poursuit jusqu’à 6 heures, avec persistance de l’inhibition de la production endogène de glucose.
Après ingestion d’aliment à IG bas (comme les pâtes), la glycémie et l’insulinémie s’élèvent faiblement, mais elles ne reviennent à leurs valeurs de base que tardivement (Normand, 2001). L’ajout d’huile aux pâtes diminue encore l’ascension glycémique et insulinémique, avec une réponse biphasique ; toutefois, les aires sous la courbe totales de la glycémie et de l’insulinémie sont identiques. Le glucose venu des pâtes apparaît plus tardivement en présence d’huile, probablement du fait d’un retard de la vidange gastrique. «Preuve que la physiologie ne peut se contenter de l’IG», note le Pr Laville.
Comme l’ajout d’huile aux pâtes, celui de fibres de bêtaglucane à de la polenta engendre une légère diminution du pic de glycémie et d’insulinémie, et une apparition retardée du glucose alimentaire.
Par ailleurs, un travail mené par l’équipe du Pr Laville en collaboration avec le Pr Chantal Simon (Strasbourg) a montré le caractère oscillatoire du passage dans le sang du glucose en provenance de l’alimentation, phénomène probablement en lien avec la pulsatilité de la sécrétion d’insuline.
L’IG, un concept réducteur
« L’IG est un concept réducteur, car il n’est qu’un reflet à très court terme et ne prend pas en compte l’ensemble des événements de la phase postprandiale, remarque le Pr Laville. Surtout, il ne préjuge pas des moyens ayant conduit à samodulation. » Cela étant, si l’ajout de lipide est un bon moyen de retarder le pic glycémique, il peut présenter d’autres inconvénients et ne saurait être recommandé dans le cas d’une prévention cardio-vasculaire. Enfin, il convient de rappeler que l’IG d’un repas n’est pas la somme des IG des aliments qui le composent (Flint, 2004, Laville, 2004).
«La nécessité de réduire le pic postprandial de glucose et d’insuline ne se discute pas; on peut cependant se poser la question de la nécessité d’évoluer vers un état de plateau sans pic, état stable sans sensation de réplétion et de satiété, ni de vide et de faim, explique le Pr Laville. La physiologie de la nutrition passe par une alternance entre l’état de jeûne et l’état nourri. D’importantes variations des flux métaboliques, des sécrétions hormonales, des activités enzymatiques, des expressions de gènes suivent ces changements d’état.»
Les effets sur la lipolyse
La sécrétion d’insuline conditionne également la lipolyse. La concentration plasmatique d’acides gras est un excellent reflet des flux lipolytiques. L’équipe du Pr Laville a étudié chez 10 hommes jeunes en bonne santé les répercussions métaboliques de deux types de petit déjeuner (100 ou 700 kcal) pris de façon randomisée pendant 15 jours. Les auteurs ont montré que les « gros petits déjeuners » provoquaient une inhibition prolongée de la lipolyse et de l’oxydation lipidique qui durait jusqu’au repas suivant. La consommation pendant 15 jours consécutifs de ces gros petits déjeuners ne modifiait pas l’apport calorique journalier, mais était responsable d’une élévation de la triglycéridémie et d’une baisse de l’HDL- cholestérolémie. Ainsi, le blocage prolongé de la lipolyse pourrait être délétère. «Ces résultats vont à l’encontre des recommandations classiques sur l’apport calorique du petit déjeuner», note le Pr Laville.
La cinétique de sécrétion de l’insuline est aussi très importante à considérer. Chez les diabétiques, celle-ci est responsable d’une inhibition prolongée de la lipolyse. Ce profil métabolique explique en partie leurs difficultés à maigrir. D’une façon moins marquée, les modifications de cinétique de l’insuline lors d’ajout de bêtaglucane à la polenta se répercutent sur le profil plasmatique des acides gras libres. Les conséquences à long terme de ce changement sont à étudier.
«On peut déduire de ces données que les recommandations nutritionnelles doivent être étayées par des études de physiologie nutritionnelle, qui elles-mêmes doivent être prolongées par des études d’intervention à moyen et à long terme pour s’assurer des conséquences sur la santé. Le besoin de simplification qu’imposent les recommandations ne doit cependant pas être réducteur car on prendrait le risque d’interprétations fausses, voires délétères», conclut le Pr Martine Laville
Le prix de la recherche en nutrition
Créé en 1979, le prix de la recherche en nutrition de l’Institut français pour la nutrition (IFN) est destiné à couronner la contribution majeure d’un chercheur dans le domaine de la nutrition et des sciences associées. Le prix est décerné chaque année par un jury composé de sept membres. Il est doté d’une valeur de 10 000 euros.
L’index glycémique compare les différents aliments au pain blanc
Des objectifs communs
«Toute recherche en nutrition humaine a pour finalité d’améliorer la qualité de l’état nutritionnel des populations et cela ne pourrait se passer des acteurs majeurs que sont les industriels de l’agro-alimentaire, a estimé le Pr Martine Laville. En effet, l’industrie agro-alimentaire a une responsabilité dans la santé des populations par la qualité des produits mis à leur disposition.Le niveau de connaissance en physiologie s’accroît de jour en jour, et c’est ce savoir qui doit être la base de la réflexion sur l’évolution des aliments mis sur le marché. Cela sous-tend une collaboration très en amont entre chercheurs et industriels. »
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