DE NOTRE CORRESPONDANTE
LES MEDECINS militaires ou civils, spécialisés dans les pathologies tropicales ne cachent pas leur inquiétude face à l'avenir : risques de bioterrorisme, risque d'émergence de nouvelles pathologies ou évolution d'autres, déjà présentes dans le monde, comme la grippe aviaire. « Quand il y aura des contaminations humaines en France, nous serons dépassés », reconnaît le Dr Jean Dufriche, de la Direction générale de la santé. Comme le souligne le Pr Thierry Debord, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Bégin (Saint-Mandé), les risques d'épidémie seraient d'autant plus grands que la maladie se propage par l'air. Mais le danger existe pour des affections qui se transmettent facilement par gouttelettes ou autres liquides biologiques, en milieu familial ou hospitalier.
Réunis à l'institut de médecine tropicale, à l'occasion de la 11e édition des Journées de Pharo, les spécialistes ont été conviés à réfléchir sur le thème : « Faut-il avoir peur des maladies d'importation ? »
La multiplication et la rapidité des échanges entre pays multiplient le risque d'épidémies. Or les débats l'ont montré : tout contrôle aux frontières semble illusoire. La situation paraît d'autant plus préoccupante qu'elle implique des pays déstructurés sur le plan politique et économique. D'où la nécessité, soulignée par le Dr Manuguerra, responsable de la cellule des urgences biologiques, de prendre en charge les maladies « là où elles apparaissent, comme dans le cas du Sras ». Lors des débats a été évoquée, bien sûr, l'organisation des soins dans les pays pauvres ou en guerre. Les pays occidentaux sont également concernés, compte tenu d'un accès au système de santé de plus en plus difficile pour les populations précaires et migrantes chaque jour plus nombreuses.
Limites du système de santé.
En France, le Dr Christian Paquet (institut de veille sanitaire) affirme être « rassuré sur nos capacités d'alerte » ; mais il ne l'est pas quant aux « conséquences d'une pandémie de grippe aviaire ou un acte de bioterrorisme majeur ». Différents participants l'ont confirmé : « Nous serons limités par l'offre du système de santé. » Les uns dénoncent la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux, les autres mettent en cause la gestion à « flux tendu » des établissements. Le Dr Hugues Tolou, médecin-chef de l'unité de virologie du Pharo, regrette pour sa part le manque de recherches prospectives sur « les agents qui vont nous menacer un jour. En Occident, on ne s'intéresse pas aux virus avant qu'ils ne viennent conquérir nos continents ».
Face aux risques prévus et imprévus, l'appel à « l'anticipation » et à la planification est unanime. Dans ce domaine, les intervenants dénoncent les failles du système de recueil des données épidémiologiques et de transmission de l'information. Les délais de notification de l'OMS pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois, seulement 40 % des quelques 200 épidémies gérées chaque année par les instances internationales font l'objet d'une alerte précoce. De plus, les informations remontent encore trop rarement et trop lentement du terrain. En France, les cliniciens qui détectent et prennent pourtant en charge les malades dès les premiers symptômes ont souvent des difficultés à identifier les maladies importées et n'ont pas le réflexe (ou les moyens) de les signaler aux autorités sanitaires. « C'est parce que l'école française ne forme pas les médecins à la santé publique », estime un intervenant, tandis qu'un autre constate que : « L'épidémiologie ne fait pas partie de la culture médicale ; signaler un cas est considéré comme un acte administratif, c'est-à-dire une corvée, et non pas comme un acte médical. » Le Dr Charlet, médecin-inspecteur de la Ddass des Bouches-du-Rhône, cite à ce propos le récent exemple d'une épidémie de shigellose (dysenterie bacillaire) survenue dans un camp de gens du voyage. Personne ne l'a déclarée et les médecins semblent d'ailleurs avoir eu des difficultés à l'identifier : « C'est un laboratoire de l'hôpital qui a finalement dû faire les investigations sur sa propre dotation. »
Cet épisode a mis en évidence les obstacles à une bonne communication avec les médecins traitants. Beaucoup n'ont ni fax ni e-mail et ils sont peu nombreux à être abonnés au bulletin d'alerte du ministère de la Santé : « En cas de nécessité, 90 % des médecins ne pourront être prévenus s'ils ne se manifestent pas d'eux-mêmes : ils sont le maillon faible du dispositif de vigilance », regrette-t-il.
Une panique générale.
Faute d'information, de formation et de moyens pour faire face à des risques majeurs, certains médecins militaires prévoient une panique générale : « Ce que l'on a vu lors de petites alertes permet de craindre les conduites les plus irrationnelles, dans les personnels de santé comme dans les forces de l'ordre », confie l'un d'eux. La table ronde de cette matinée qui a par ailleurs dénoncé les peurs ancestrales montées en épingle par certains journaux en mal de sensation a donc laissé intactes et même renforcé les peurs « rationnelles » des spécialistes des maladies d'importation.
Le point sur les mycobactéries
Les Journées d'actualité du Pharo ont permis de faire le point sur les infections à mycobactéries en pays tropical, la tuberculose, la lèpre et la maladie de Buruli. Même si elles sont aussi anciennes que l'humanité, les infections à mycobactéries évoluent et leur présentation change. D'où la nécessité pour les médecins et les chercheurs de se rencontrer régulièrement pour partager leurs connaissances et leur savoir-faire. Des résistances du bacille de Koch à plusieurs antibiotiques contre la tuberculose sont de plus en plus observées. L'augmentation des souches multirésistantes, non seulement dans les pays du Sud mais aussi dans les pays de l'Est de l'Europe, rend plus que jamais nécessaire une prise en charge globale des problèmes liés au traitement et à la prévention, notamment vaccinale. La lèpre, qui a amorcé son déclin, pourrait être éliminée, mais tous les malades n'ont pas accès aux nouveaux traitements antibiotiques.
L'ulcère de Buruli est souvent compliqué d'infections osseuses pouvant conduire à l'amputation. Liée à l'eau et à la faune aquatique, cette maladie émergente, surtout en Afrique de l'Ouest, préoccupe de plus en plus les médecins.
Ont également été évoquées des stratégies de choix de vaccins anti-méningococciques pour l'Afrique.
Un institut bientôt centenaire
Fondé en 1905 au Pharo, sur les hauteurs de Marseille, l'institut de médecine tropicale du service de santé des armées s'apprête à commémorer son centenaire en septembre prochain. Seul institut de ce type en Europe, il jouit d'une réputation internationale. Parallèlement à une mission d'enseignement, il mène des recherches sur le paludisme, la dengue et les différentes maladies virales tropicales ainsi que sur les méningites à méningocoques. Il assure également le soutien épidémiologique des unités de l'armée en opération militaire ou humanitaire extérieures. Son centre de documentation est ouvert à tous les médecins et chercheurs. Les Journées d'actualité du Pharo organisées en collaboration avec l'hôpital militaire Laveran réunissent chaque année des spécialistes de différents pays francophones autour d'un thème de pathologie tropicale.
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