«TOUS LES SPORTIFS de haut niveau sont mal entraînés», n’hésite pas à lancer Véronique Billat, au risque de s’aliéner la corporation en charge de la formation de l’élite sportive. La directrice du Lephe, qu’elle a créé en 2002, enseignante-chercheuse à l’université d’Evry, auteure d’une thèse sur la détermination du seuil d’acide lactique à l’occasion des activités sportives, sait personnellement de quoi elle parle. Avant de devenir une physiologiste de choc, elle a remporté les trophées de vice-championne de France de cross et de championne universitaire de ski de fond et elle a eu alors à souffrir dans sa chair du surentraînement, collectionnant les pathologies associées à ce phénomène.
C’est pour changer cela qu’elle a choisi de s’engager dans la voie des sciences et des techniques des activités physiques et sportives (Staps). Vingt ans d’efforts plus tard, en accueillant le ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative pour l’inauguration des nouveaux locaux du Lephe, au Génopole d’Evry, elle ne cache pas que «c’est l’un des plus beaux jours de (sa) vie!» Ses protocoles d’entraînement scientifiquement programmés sont enfin en place. Selon elle, c’est la solution éthiquement et scientifiquement correcte pour des sportifs qui, sinon, risqueraient de s’égarer sur les chemins hasardeux et détournés de la quête de la performance à tout prix. «Une sérieuse alternative aux pratiques dopantes», n’hésite pas à confirmer Jean-François Lamour.
Pour la démonstration devant les officiels, c’est un champion junior de triathlon, Aurélien Raphaël, 18 ans, qui s’y colle. Hérissé de ventouses et de capteurs sur tout le corps, le jeune athlète trottine sur un tapis roulant. Un boîtier calé dans les reins mesure en trois dimensions (longueur, hauteur, profondeur) la régularité de sa foulée, qui permet de corriger les asymétries éventuelles et de prévenir les accidents et lésions qui pourraient survenir. «Mais surtout, souligne Véronique Billat, notre botte secrète, c’est le cardiofréquencemètre, qui permet d’analyser en temps réel sa vitesse de plafonnement du volume d’éjection systolique. On découvre alors que, au-delà d’un certain niveau, il cesse d’être utile de poursuivre l’effort.»
«Ces mesures en situation réelle permettent de déterminer la variabilité de la performance de chaque personne testée, explique la directrice du Lephe. Afin de tracer le profil physiologique du sportif, il faut déterminer ses adaptations aiguës à des intensités spécifiques sur le terrain et en laboratoire. Ces mesures déterminent le juste niveau de stimulation par l’entraînement des voies métaboliques, quand la transformation de l’énergie chimique (lipides et glucides) en énergie mécanique s’effectue de manière optimale.»
Ainsi s’élaborent des protocoles d’entraînement aérobie et anaérobie à partir desquels le potentiel énergétique du sportif est étudié sur mesure. «Jusqu’à présent, les entraîneurs travaillaient au pifomètre, note Véronique Billat, quitte, le plus souvent, à augmenter la dose de manière inutile sur le plan sportif et nocive en termes de santé. En ajustant l’entraînement selon l’audit physiologique, on permet au passage de réduire le temps qui lui est consacré, et c’est tout bénéfice pour les études générales qu’un jeune champion poursuit parallèlement à sa préparation sportive.»
Première mondiale sur le mont Blanc.
Son savoir-faire, le Lephe l’a déjà validé avec des sportifs de haut niveau : les membres de l’AS Villebon (championne d’Europe de volley-ball féminine), de l’équipe de football du Paris-Saint-Germain, de l’équipe de France de demi-fond ou de l’équipe de France de Rugby. A son palmarès également, le succès de la jeune Kenyane Isabellah Ochichi, qui a décroché l’argent sur 5 000 mètres aux jeux Olympiques d’Athènes, après avoir bénéficié pendant trois ans d’un programme d’entraînement que lui a concocté le laboratoire d’Evry.
Le Lephe s’est encore illustré lors d’une première mondiale, l’été dernier : avec une batterie d’instruments miniaturisés (analyseurs d’échanges respiratoires, cardiofréquencemètres, GPS), l’équipe a mesuré en continu les contraintes physiologiques imposées par l’ascension du mont Blanc à trois grimpeurs, dont le guide chamoniard Benoît Profit. De multiples paramètres physiologiques, comme la consommation d’oxygène, la fréquence cardiaque, le rythme respiratoire, le taux de lactate sanguin, ont été monitorés. «Nous avons démontré, rapporte Véronique Billat, que cette ascension, loin d’être un simple effort d’endurance, nécessite un exercice intense qui sollicite près de 80% de la puissance maximale aérobie et 85% de la consommation maximale d’oxygène de l’alpiniste. La fréquence cardiaque atteint plus de 85% de sa valeur maximale et la dépense énergétique totale (entre 5 et 6000Kcalories) équivaut à celle des coureurs du Tour de France lors d’une étape de montagne!» Ces données pourraient être ultérieurement mises à profit par les quelque 20 000 amateurs qui, chaque année, se risquent sur le toit de l’Europe, souvent sans beaucoup de préparation, et qui s’exposent à des défaillances parfois dramatiques. Une ascension organisée sagement sur trois journées, en respectant des haltes-repas fréquentes pour éviter les fringales et avec des vitesses de progression adaptées, constituerait le format physiologiquement le plus sûr.
Le Lephe prépare à présent une aventure scientifique plus élevée encore : dans le cadre du projet « Everest in progress », Véronique Billat a constitué une équipe féminine qui associera, au printemps 2007, des himalayistes chevronnés, médecins et scientifiques. L’objectif, en effectuant la première ascension monitorée de l’Everest par le versant tibétain, est de suivre en continu les réponses physiologiques mais aussi cognitives, dans un environnement où le froid et l’hypoxie imposent des contraintes physiques et mentales maximales.
Dans le même temps, l’équipe du Lephe poursuit des recherches fondamentales. Spécialiste d’exploration fonctionnelle, le Dr Yves Papelier réalise des analyses spectrales de séries de fréquences cardiaques et des courbes cinétiques de consommation d’oxygène qui devraient encore affiner, dans un proche avenir, la gestion de l’entraînement des sportifs.
Mais, pendant que les recherches continuent, le Lephe est opérationnel : chaque année, il réalise déjà 200 profils physiologiques, pour un coût unitaire de 340 euros.
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