L A psychiatrie française évolue trop lentement. La politique de secteur, avec ses équipes pluridisciplinaires assurant la continuité des soins, de l'hôpital au domicile, démarrée en 1960, puis officialisée par le législateur en décembre 1985, est encore trop timide.
La réponse en matière de soins semble souvent « centralisatrice », à tel point que, dans la moitié des secteurs, 75 % des prises en charge se font en intra-hospitalier et 25 % seulement en « extra- ».
Or les deux tiers des patients, soit plus d'un million d'adultes et 416 000 enfants, sont pris en charge en ambulatoire. Il est vrai que confier la responsabilité d'une pratique de proximité à des établissements hospitaliers et aux agences régionales de l'hospitalisation n'aide pas une politique de santé mentale caractérisée par des soins en réseau. Sans compter qu'il faudrait 8 000 psychiatres publics ou participant au service public pour « faire fonctionner le système tel qu'il est », contre 4 700 actuellement. Pourtant, avec 23 praticiens pour 100 0000 habitants (1), la France occupe le 3e rang mondial, après la Suisse et les Etats-Unis, et compte des « zones rurales quasi désertifiées ».
Pour les Drs Eric Piel et Jean-Luc Roelandt, psychiatres parisien et lillois, qui portent ce diagnostic dans un rapport commandé par le ministère de la Solidarité et remis à Bernard Kouchner le 2 juillet, il faut donc en finir avec les concentrations psychiatriques hospitalières installées sur le territoire des anciens asiles. « Il devient nécessaire de poser les bases d'une refondation de la politique de santé mentale », dit le ministre délégué à la Santé. « Un redéploiement progressif des petites structures » est nécessaire (« le Quotidien » des 5 et 9 avril). Il faut hospitaliser ceux qui en ont besoin « quand il le faut » et « au plus près de chez eux », confirment les deux praticiens, qui recommandent des soins mobiles à domicile, disponibles 24 heures sur 24, et des unités d'hospitalisation à temps plein de 15-25 lits, dans des cliniques générales, voire là où il y aurait d'autres services médicaux et sociaux.
Si le nombre de lits de psychiatrie a baissé de 20 % en six ans, le nombre d'hospitalisations a augmenté dans une proportion identique, avec une durée de séjour moyen de 36,7 en 1997, contre 53,5 en 1991.
Les Drs Piel et Roelandt suggèrent la création d'un « service territorial de psychiatrie » (STP) par 210 000 habitants, correspondant au regroupement de 4 secteurs dont un pour enfants. Au sein de chaque STP, appelant à une révision globale des cartes sanitaires, sera constitué un « réseau territorial de santé mentale » avec le concours des généralistes et des pharmaciens, des élus, des représentants de la justice et de l'Education nationale, et d'acteurs sociaux et médico-sociaux. Simultanément, un moratoire définira le transfert d'investissements lourds en hôpitaux psychiatriques vers les secteurs. Il convient, explique en substance le Dr Eric Piel, de ne pas remplacer les anciens HP par des asiles médico-sociaux. Dix ans plus tard, un second moratoire mettra fin aux admissions dans les ex-HP. Puis, dans les cinq à dix ans suivants, les derniers patients encore hospitalisés bénéficieront de « solutions de logement et de soins adaptées à leur état ».
Les auteurs du rapport jugent indispensable de donner une citoyenneté à part entière aux usagers, qui doivent s'impliquer dans les instances consultatives des structures où ils sont accueillis, accéder à leur dossier médical et participer « à chaque étape de l'élaboration des stratégies thérapeutiques » qui les concernent.
Les études qui préparent aux soins psychiatriques nécessitent « une refonte », et la future réforme du 3e cycle des études médicales « devrait intégrer un semestre obligatoire en secteur de santé mentale ». La révision des hospitalisations sans consentement (loi du 27 juin 1990), à la demande d'un tiers ou d'office, qui, en 1997, représentaient 13 % du total des hospitalisations en psychiatrie, contre 11 % en 1988, est souhaitable. Les rapporteurs demandent l'abrogation de la législation relative aux soins sous contrainte. A revoir, encore, l'organisation des soins psychiatriques aux détenus. Pour les deux spécialistes, « il n'est plus possible de continuer à passer sous silence que les 26 services médico-psychologiques régionaux n'ont jamais été en mesure d'assurer, dans le cadre des 187 prisons, des soins en hospitalisation complète ».
Bien entendu, ces changements s'entendent avec « des mesures d'accompagnement et un financement pluriannuel » et, insistent les Drs Piel et Roelandt, « un débat parlementaire sur la santé mentale » de manière à faire naître une « loi d'orientation », à laquelle souscrit Bernard Kouchner.
(1) Au total, la France compte 13 254 psychiatres, dont 7 157 sont des libéraux et 6 097 des salariés. L'évolution de la démographie médicale laisse prévoir que le nombre global des praticiens exerçant la psychiatrie sera de l'ordre de 7 800 en 2020.
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