SECOND TOUR de l'élection présidentielle oblige, la politique de santé a – elle aussi – eu droit à un débat public « projet contre projet », organisé par Sciences-Po Paris en partenariat avec « Décision Santé », « le Quotidien du Médecin», « le Généraliste », « le Quotidien du Pharmacien » et « la Tribune ».
En préambule, les représentants des deux candidats à l'Elysée ont dressé deux bilans antagonistes de la réforme Douste-Blazy. Dominique Paillé, député UMP des Deux-Sèvres, a souligné que la loi du 13 août 2004 avait «jeté les bases d'une meilleure organisation des soins» favorisant «une plus grande qualité». Au nom de Nicolas Sarkozy, Dominique Paillé a confirmé que «les fondamentaux» contenus dans cette loi seront par conséquent «conservés» si le candidat de la droite est élu. Jean-Marie Le Guen, député PS de Paris et porte-parole de Ségolène Royal, considère au contraire que «toutes les failles du système de soins apparaissent» aujourd'hui dans un contexte marqué par une démographie médicale en déclin. Ces failles portent sur le «problème de désertification» dans certaines zones, «la complexité administrative et le manque de transparence du système», a précisé l'élu socialiste.
Les divergences de vues se sont poursuivies lorsque le chapitre du financement de la protection sociale a été abordé. Selon Dominique Paillé, le candidat de l'UMP «souhaite creuser la piste de la TVA sociale par une approche un peu expérimentale, voire progressive». En complément de cette réforme, qui aura peu d'impact à court terme sur le financement, Dominique Paillé a rappelé la nécessité d'une «contribution des patients» sous la forme d'une franchise (sur les consultations, les soins hospitaliers, les examens biologiques et les médicaments). Cette quadruple franchise se substituerait notamment au forfait de 18 euros sur les actes techniques lourds, qui a été instaurée en 2006 par l'ex-ministre de la santé Xavier Bertrand et constitue «une solution non probante» pour Dominique Paillé. «Quoi qu'il advienne», a-t-il poursuivi, le montant de la quadruple franchise serait de «moins de dix euros par an», avec des «exonérations pour les enfants et les bénéficiaires de minima sociaux».
Jean-Marie Le Guen a jugé la franchise «fausse du point de vue médical et financier». D'une part, a-t-il expliqué, la franchise freine l'accès aux soins primaires, tandis que les «abus» et la «surconsommation» concernent plutôt les soins «au-delà» du premier recours. D'autre part, cette mesure financière «ne fait rien pour réguler les dépenses».
Or le régime d'assurance-maladie sera «dans une situation financière très difficile dès le mois de septembre», a averti Jean-Marie Le Guen. En cas de victoire de Ségolène Royal, et avant toute hausse éventuelle de la contribution sociale généralisée (CSG), il y aura «un audit pour savoir où se trouvent les dettes», a précisé le député PS. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) serait «purgée» (grâce à un transfert sur la dette de l'Etat) et les comptes de la Sécurité sociale, «apurés». La candidate socialiste proposerait alors «une loi de financement pluriannuel» et des «Etats généraux de la santé» où il serait question à la fois de «panier de soins», de «recettes» et de lutte contre les gaspillages, a indiqué Jean-Marie Le Guen.
Le débat a par ailleurs évoqué la progression des dépassements d'honoraires, pointée par un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé de Sciences-Po, pense qu'ils posent «une question fondamentale», qui est celle du «lien entre les tarifs et les remboursements de la Sécurité sociale». Le représentant de Ségolène Royal craint aussi que le système de Sécurité sociale ne soit «attaqué par les deux bouts», si l'on combine ces dépassements d'honoraires (et donc «l'inflation des coûts») avec la franchise défendue par l'UMP, synonyme de «privatisation», selon lui. Dominique Paillé a défendu pour sa part «une vision pragmatique» des dépassements d'honoraires «incontrôlés». «S'ils existent, c'est qu'il y a une clientèle pour accepter de payer», a fait valoir l'élu UMP des Deux-Sèvres, qui estime cependant que ces dépassements tarifaires doivent «se faire dans la transparence».
Alors que la candidate socialiste a promis davantage de moyens pour l'hôpital, Dominique Paillé n'a pas exclu non plus la nécessité de «revoir les effectifs (hospitaliers) à la hausse». Certes, le candidat Nicolas Sarkozy «défend la liberté» des personnels désirant travailler au-delà de 35 heures. Mais la réduction du temps de travail s'est accompagnée d' «énormes gains de productivité» à l'hôpital, a concédé Dominique Paillé, si bien qu'il est «inutile de demander plus à ceux qui ont déjà donné beaucoup».
A propos de la prévention, Jean-Marie Le Guen préconise «une démédicalisationde la santé», car il faut «arriver à en parler» en tenant compte de «la santé au travail, l'environnement, et (de) l'alimentation» et cesser ainsi d' «abuser du recours aux soins». Autre écueil à éviter, aux yeux d'Alain-Gérard Slama, professeur à Sciences-Po et éditorialiste au « Figaro » : «le danger du contrôle social», au nom de la santé publique, afin de «garantir la liberté des individus quoi qu'il en coûte à la société».
«Que l'on veuille ou non, il faut faire de la santé une question politique, a conclu Didier Tabuteau, «sinon la population va l'imposer comme telle». Encore faut-il, a-t-il ajouté, que les gouvernants fassent de «la prospective» à dix ou vingt ans et mettent fin à l'actuelle «myopie institutionnelle».
Pas de mouvement des chirurgiens dimanche
Après avoir appelé à un mouvement d'arrêt des soins non vitaux dans les cliniques le dimanche 22 avril, pour le premier tour de l'élection présidentielle, l'Union des chirurgiens de France (Ucdf) a finalement décidé de ne pas reconduire cette même opération pour le deuxième tour, dimanche prochain. «Nous constatons qu'il y a un blocage conjoncturel politique, explique le Dr Philippe Cuq, président de l'Ucdf. Nous allons attendre gentiment les résultats du scrutin, l'arrivée de la nouvelle équipe et on repartira au combat, sans doute avant même les élections législatives.» L'Ucdf avait organisé ce mouvement d'action symbolique (la continuité des soins étant assurée) pour protester une nouvelle fois contre le non-respect des accords chirurgicaux d'août 2004. Ce texte prévoit notamment la mise en place d'un nouveau secteur d'exercice dit « optionnel » permettant à certains praticiens de facturer des compléments d'honoraires encadrés et remboursés. Des négociations tripartites (caisses, médecins, complémentaires santé) ont commencé, pour définir les contours de ce secteur, mais elles ont été renvoyées après les élections. Le nouveau ministre de la Santé, quel qu'il soit, trouvera ce dossier à l'ordre du jour immédiat (une table ronde sur les dépassements d'honoraires est également au programme).
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