Le Temps de la médecine : Souffrances de soignants
PLUS QUE D'AUTRES corps de métier, le syndrome d'épuisement professionnel ou « burn-out » guette les soignants. Burn-out ? L'expression, au départ, désigne dans le domaine aérospatial une combustion interne dévastatrice. Appliquée à l'être humain, elle décrit un état d'épuisement à la fois physique et mental, lié à un stress professionnel intense. Epuisement émotionnel (la personne est vidée nerveusement et n'est plus motivée par son travail), dépersonnalisation (elle adopte face aux autres des attitudes impersonnelles, négatives, cyniques) et réduction de l'accomplissement personnel (la personne s'évalue négativement ; son estime de soi diminue) se combinent en un cercle vicieux pour former le burn-out.
Le syndrome peut s'attaquer à n'importe qui - en Amérique du Nord, des études épidémiologiques ont montré que 30 % des salariés souffraient du stress professionnel -, mais il a des victimes de prédilection. Il les trouve dans les professions d'assistance, de conseil, de soins. Les policiers, les avocats, les travailleurs sociaux, les enseignants, les éducateurs, les contrôleurs aériens, les pilotes d'avion, les dirigeants d'entreprise... et, bien sûr, les médecins et les infirmières sont particulièrement touchés.
Un médecin sur deux.
En ville, si l'on en croit des études menées par les Unions régionales de médecins libéraux (Urml), la spirale du burn-out aspirerait près d'un médecin sur deux (une proportion que l'on retrouve, toutes catégories de médecins confondues, dans des enquêtes conduites à l'étranger, et notamment au Canada).
Auscultés en 2001, les médecins libéraux bourguignons étaient 47 % à souffrir d'épuisement émotionnel, 41 % à faire part d'une réduction de leur accomplissement personnel et 33 % à évoquer leur dépersonnalisation. Des chiffres qui prouvent que l'épuisement émotionnel des médecins est supérieur à celui des aides-soignants et des travailleurs sociaux, et presque deux fois plus élevé que celui des pompiers. Selon l'étude de l'Urml de Bourgogne, les déterminants du burn-out des médecins sont, pour une part, la charge de travail, mais surtout les relations avec les patients, citées en tête des situations ayant provoqué « stress, tension, ras-le-bol » par les praticiens interrogés. Les attitudes en cause sont, d'abord, l'agressivité des patients, puis leurs demandes de visites non justifiées, les cas complexes, les demandes excessives assimilées à un harcèlement. Etonnamment, les menaces de poursuites judiciaires à l'encontre du praticien ne sont citées qu'en fin de liste.
En 2003, un étude menée en Champagne-Ardenne a complété ce tableau, établissant un distinguo entre les sexes - les femmes auraient un plus faible épuisement émotionnel que les hommes et dépersonnaliseraient moins leurs patients -, entre les spécialités - les généralistes auraient un moindre accomplissement personnel que les spécialistes - et entre les zones géographiques - les médecins ruraux tendraient plus que leurs confrères urbains à être émotionnellement épuisés et à ressentir un faible accomplissement personnel.
Chez les infirmières, le burn-out fait aussi son chemin. Une sur quatre, dans les hôpitaux généraux et tous services confondus, serait touchée, et certains experts n'hésitent pas à mettre leurs derniers grands mouvements sociaux sur le compte d'un burn-out généralisé du corps infirmier tout entier.
A noter : les conséquences du burn-out ne seraient pas les mêmes pour les infirmières que pour les médecins. Atteintes, les premières auraient tendance à délaisser leur travail, voire à ne plus l'accomplir du tout. Chez les seconds, l'absentéisme est exceptionnel. Les médecins continuent à travailler, mais ils exercent en se dénigrant et en se désengageant de la relation avec leurs patients.
Les nouveaux risques
Dans le rapport sur l'éthique biomédicale qu'il a remis l'an dernier au ministre de la Santé (« le Quotidien » du 22 mai), Alain Cordier consacre un chapitre, sous le titre « Un monde de la santé en souffrance », aux changements auxquels sont confrontés les médecins et qui peuvent rendre leur exercice plus difficile.
Tout d'abord, l'affaiblissement du principe d'autorité : le soignant n'a plus la sécurité du sillon tracé par les maîtres et il n'est vu par le patient que comme « l'interlocuteur technique et scientifique du moment ». Deuxièmement, l'exercice se situe dans un temps déstructuré : le rythme des découvertes laisse peu de temps à la réflexion, les patients veulent des résultats immédiats, les soignants sont en chronique « manque de temps ». Troisième difficulté potentielle : les limites de l'interdit sans cesse repoussées et les médecins sont l'objet de sollicitations de toutes natures auxquelles ils ne peuvent guère répondre. De nouveaux risques pour les soignants sont aussi apparus avec le principe de précaution et les devoirs instaurés par la loi : obligation d'information, obligation de sécurité de résultat, notion de perte de chance...
Les malades ont vu leurs droits reconnus et ont de plus en plus une exigence consumériste , « où l'acte de soins et le produit prescrit deviennent la seule revendication immédiate et pressée, sans considération pour ce que l'art médical exige aussi de silence confiant, de patience... et quelquefois d'attente avant d'agir. » Enfin, les problèmes économiques pèsent aussi de plus en plus, avec la menace d'un contingentement des soins face aux problèmes de la Sécurité sociale.
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