DIVERSES maladies infectieuses sont susceptibles de provoquer de nouvelles épidémies en France et dans le monde. C'est le cas des fièvres hémorragiques africaines qui, il y a quelques années, semblaient concerner uniquement les pays tropicaux où elles apparaissaient. A l'heure actuelle, du fait de la rapidité des déplacements d'un continent à l'autre, aucun pays n'est à l'abri. Ces infections virales d'une gravité extrême et à potentiel contagieux très élevé ont, en effet, une durée d'incubation de 8 jours à 3 semaines, un délai largement suffisant pour permettre le retour dans notre pays d'un sujet infecté encore asymptomatique qui peut être à l'origine d'une poussée épidémique. D'autres pathologies qui ont des durées d'incubation plus brèves, comme le choléra (dont une nouvelle souche, ELtor 0139, a fait des ravages en Amérique du Sud, il y a une dizaine d'années), représentent aussi une menace potentielle, mais à un moindre degré, car les foyers épidémiques sont en général très vite identifiés.
A côté de ces infections « exotiques », le risque d'éclosion, au sein même de notre pays, d'une affection ayant toutes les caractéristiques d'une maladie infectieuse émergente doit être envisagé. La situation s'est déjà produite : une nouvelle variété de Escherichia coli (E. coli 0157H7) a été à l'origine d'épidémies de toxi-infections alimentaires aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et de quelques cas en France. Quant aux infections respiratoires, la première qui préoccupe les infectiologues est la grippe. D'année en année, l'hypothèse de l'apparition d'un virus mutant est évoquée, avec toutes les conséquences médico-sociales et économiques qu'impliquerait son émergence dans une population totalement naïve. Or, dans la situation de crise actuelle, les services hospitaliers français auraient beaucoup de difficultés pour assumer cette situation.
Exemplaire.
Le sras a été très exemplaire d'une situation épidémique qui a pris naissance dans un lieu donné (la Chine), puis s'est exportée d'abord dans les pays voisins. L'apparition des premiers cas à Toronto a montré que cette épidémie, dont on ignorait alors les conséquences, pouvait rapidement gagner du terrain, très à distance de son origine. D'où l'inquiétude de la direction générale de la Santé (DGS) et de l'Institut de veille sanitaire (Invs), mais aussi des autorités sanitaires de tous les pays. La nécessité d'une organisation permettant de faire face à cette épidémie s'est très vite imposée. Il faut ici souligner l'impact des attentats du 11 septembre 2001 de New York à la suite desquels des dispositions ont été prises pour parer à d'éventuels actes de bioterrorisme. La réflexion menée dans ce cadre depuis deux ans a permis de disposer de services mieux préparés. En mars 2003, au début de l'épidémie de sras, la DGS et la direction de l'Hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos) ont décidé que les centres de référence de zone et les services référents impliqués dans les plans spécifiques bioterrorisme seraient également des services référents pour cette situation. Dès le 13 mars 2003, soit le lendemain de l'alerte mondiale déclenchée par l'OMS, la DGS a réuni une cellule de crise dans le cadre du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (Cshpf). Les experts consultés ont été chargés de rédiger des protocoles de prise en charge du sras. Devant cette pneumopathie d'origine inconnue, il est très vite apparu que les patients devaient être placés dans des conditions d'isolement parfaites, afin de limiter tout risque de transmission nosocomiale de l'infection au contact d'un cas probable ou suspect, en particulier pour le personnel de soins.
Les procédures.
L'expérience du service de maladies infectieuses et tropicales (MIT) de l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon illustre la lourdeur des procédures mises en place. Tous les cas suspects ont été dirigés directement sur le service. Le plan reposait sur des mesures géographiques, organisationnelles et techniques. Un secteur dédié - réservé normalement à l'hospitalisation de semaine - a été organisé, avec transformation du couloir en sas d'accueil, une chambre pour la consultation, cinq chambres pour l'hospitalisation des cas suspects et une chambre de niveau P4 pour les cas probables (ouverte en 2000 à la suite de l'installation dans la ville d'un laboratoire P4 dans lequel sont manipulés des agents viraux hautement contagieux). Deux chambres, dont l'une servant de sas, ont également été réservées dans le service de réanimation de l'hôpital. Pendant toute cette période, l'accueil des urgences et le tri s'effectuaient devant le service d'accueil des urgences (SAU) de l'hôpital par un personnel en tenue Biotox ; les patients suspects étaient isolés et examinés par les cliniciens dans le sas réservé aux ambulances réorganisé pour la circonstance. Des précautions standards renforcées en fonction des modalités de transmission du sras ont été appliquées pour les patients (port d'un masque « chirurgical ») et le personnel (masque « respiratoire » FFP2 ou P3 double paire de gants à manchettes, surblouse, cagoule, lunettes, surbottes, etc.). La création de circuits de distribution des examens biologiques diagnostiques et de routine n'a pas trop posé de problème puisqu'elle avait déjà fait l'objet d'une réflexion suscitée par le risque de fièvre hémorragique virale et, plus récemment, lors de l'installation du laboratoire P4.
Entre le 17 mars et le début juillet, près de 160 malades ont été reçus dans le service des MIT de la Croix-Rousse, la majorité répondant à la définition des cas. Vingt-deux ont été hospitalisés. Aucun d'entre eux ne présentait finalement de sras... L'implication du service a été lourde de conséquences : astreintes, besoins en matériels, dont le coût, élevé, n'est pas encore totalement chiffré, blocage d'un secteur d'hospitalisation, auxquels il faut ajouter l'angoisse du personnel qui a pourtant remarquablement réagi.
En France, aucun cas secondaire de sras n'est apparu, contrairement au Canada, où les mesures de protection ont été prises trop tardivement. Excellente mise en condition pour la prise en charge d'un éventuel acte de bioterrorisme, le sras a permis de vérifier la qualité des protocoles élaborés, d'insister sur la nécessité d'une parfaite coordination entre les différents intervenants. Cette épidémie a également permis de convaincre les plus incrédules que « tout est possible ». Une évolution capitale par rapport aux années 1990. On se souvient, par exemple, que, lors de l'épidémie de fièvre à virus à Ebola au Zaïre en 1995, aucune recommandation n'avait été formalisée. Si le cas se produisait aujourd'hui, une réaction rapide serait possible, mais pour combien de temps ? Une évaluation faite par l'administration de l'hôpital de la Croix-Rousse pour le sras montre que, pour un patient, il faut compter un surplus d'environ 1 500 euros par jour (hors médicaments). Un coût qu'il faudrait pouvoir assumer dans la durée.
* Hôpital de la Croix-Rousse, Lyon.
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