PAR LE Dr MAURICE BERGER *
La loi de mars 2002 légalisant la résidence alternée a été votée sans que les parlementaires n'aient demandé l'avis des sociétés scientifiques de pédopsychiatrie et de pédiatrie, ou pris connaissance des travaux existants à ce sujet. Cette loi a été faite d'abord pour des adultes sous la pression d'associations de pères virulentes, sans respecter aucun principe de précaution. Certes, elle donne aux pères une place plus importante auprès de leur enfant que précédemment, ce qui est plus juste, mais elle ne fait aucune différence entre les besoins d'un bébé et ceux d'un adolescent. Et pour un médecin, la question n'est pas celle des droits des mères ou des pères, mais la protection du développement affectif de l'enfant.
Dans la réalité, il est courant que des enfants de moins de 2 ans vivent en résidence alternée une semaine sur deux, que des nourrissons changent sept fois de lieu d'hébergement en dix jours, et que des bébés de 7 à 12 mois soient séparés de leur mère pendant un mois lors des vacances d'été. Les pédopsychiatres (C. Jousselme, 2008) et les pédiatres (F. Lecat, 2007) voient donc apparaître chez de nombreux enfants de moins de 6 ans des troubles totalement prévisibles. Cette pathologie peut être très impressionnante même si tous les enfants ne la présentent pas.
Ces troubles sont un sentiment d'insécurité, avec apparition d'angoisses d'abandon qui n'existaient pas auparavant, l'enfant ne supportant plus l'éloignement de sa mère et demandant à être en permanence en contact avec elle ; un sentiment dépressif, avec un regard vide pendant plusieurs heures ; des troubles du sommeil, de l'eczéma, de l'asthme ; de l'agressivité, en particulier à l'égard de la mère considérée comme responsable de l'éloignement ; une perte de confiance dans les adultes, en particulier dans le père, dont la vision déclenche une réaction de refus. Ces symptômes se retrouvent chez les nourrissons lorsque le droit d'hébergement comprend de grands week-ends depuis le vendredi matin jusqu'au lundi soir.
Ces troubles ont deux origines qui peuvent être intriquées. La première, souvent mise en avant, est la conflictualité dans le couple. Il n'y a alors que peu de communication entre le père et la mère concernant l'enfant, si bien qu'il vit deux vies complètement indépendantes, « perdant » un parent quand il va chez l'autre. Plus même, il peut y avoir une forte opposition entre les parents, ce que l'enfant perçoit dès son plus jeune âge, et un clivage s'installe en lui, une sorte de double personnalité, l'enfant apprenant de plus à ne pas montrer ses sentiments réels.
La deuxième cause est l'impossibilité pour l'enfant de se constituer un sentiment de sécurité interne. On sait qu'un enfant a besoin pour cela de bénéficier, dans les premières années de sa vie, de la présence stable d'un adulte, prévisible, accessible, figure d'attachement, sécurisante qu'il pourra intérioriser peu à peu. Un enfant petit peut bénéficier de plusieurs figures d'attachement, mais il existe une hiérarchie, et plusieurs travaux confirment que c'est habituellement la mère qui constitue la figure principale d'attachement. La résidence alternée entraîne un sentiment d'insécurité permanent, ce que ne produit pas le fait d'être quotidiennement en crèche car, tous les soirs, l'enfant retrouve alors sa « base de sécurité » stable, matérielle et affective.
Des troubles psychologiques avérés.
Des travaux récents montrent que des troubles psychiques peuvent être observés chez des enfants plus grands ayant commencé une vie en résidence alternée entre 3 et 11 ans, alors même que leurs parents sont d'accord entre eux pour la mise en place de ce mode d'hébergement et qu'ils se rencontrent régulièrement de manière non conflictuelle pour parler de leur enfant. Les psychothérapies de ces enfants montrent qu'ils présentent au minimum une absence d'insouciance et, en fait, souvent des traits dépressifs qu'ils tentent de masquer. Surtout, on constate que beaucoup sont envahis par la confrontation permanente à la perte, perte répétée des lieux, des objets, de la présence d'un parent, et qu'ils utilisent une grande partie de leur énergie psychique pour y faire face. Cela peut se traduire par des rituels obsessionnels, des cauchemars répétitifs, une angoisse à l'origine de phobies et, parfois même, un état de bouleversement émotionnel, l'enfant ne parvenant pas à trier ses sentiments et à donner un sens à ce qu'il vit. On est alors proche d'un authentique syndrome posttraumatique, éprouvé dans la solitude car ces enfants cachent leur souffrance ou la manifestent indirectement par de l'agressivité plus ou moins explosive. Ils ont une bonne réussite scolaire, l'école et l'enseignant étant même ce qui change le moins pour eux. En psychothérapie, ils montrent qu'ils se sacrifient en acceptant ce mode de vie pour ne pas décevoir leurs père et mère, et se présentent comme parfaits, adaptés aux désirs de leurs parents.
Il est actuellement presque impossible de faire reconnaître la souffrance de ces enfants. Les magistrats sont très réticents à revenir sur leur décision de résidence alternée. Et les médecins doivent observer la plus grande prudence dans la rédaction de leurs certificats médicaux sous peine de poursuites ; au mieux, ils peuvent préconiser une expertise. Il est à noter que la Californie, après quinze ans de recul, a renoncé à une loi semblable à la nôtre, suite à la constatation des troubles décrits ci-dessus, et n'autorise plus que les résidences alternées organisées avec l'accord des deux parents et à condition que l'intérêt de l'enfant soit préservé.
On est frappé par le peu de recherches concernant le devenir affectif de ces sujets à l'âge adulte, mais les témoignages individuels révèlent une souffrance non négligeable qui a été effectivement cachée aux parents. Beaucoup racontent avoir éprouvé comme un manque profond d'être éloignés longtemps et répétitivement de leur mère. Il persiste en eux un sentiment permanent de mal-être, un fond dépressif et une difficulté à supporter le changement.
En conclusion, la pratique de la résidence alternée chez l'enfant petit est une bombe à retardement (J. Phelip, 2005), et l'indifférence du ministère de la Santé face à ce problème est inquiétante. En cas de conflictualité importante entre les parents, la précaution minimale serait d'utiliser le calendrier de Brazelton pour les enfants de moins de 6 ans, adapté par plusieurs pédopsychiatres français, et qui propose un droit d'hébergement progressif permettant au père de bénéficier fréquemment de la présence de son enfant et réciproquement sans créer de discontinuité préjudiciable dans la relation avec la mère (M. Berger, 2005). Enfin, il faut informer les parents séparés sur les problèmes que pose la résidence alternée avant l'adolescence.
* CHU de Saint-Étienne, hôpital Bellevue, service de pédopsychiatrie.
Berger M., 2005, « La résidence alternée, une loi pour les adultes ? », Journal des Psychologues, n° 228, 37-42. (www.mauriceberger.net).
Phelip J., 2005, « le Livre noir de la résidence alternée », Dunod.
Lecat F., 2007, « Quatre Observations de résidence alternée », Médecine et Enfance, 431-5.
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