Rappelons
qu’une dizaine de biosimilaires ont été enregistrés en Europe et donc en France, mais aucune insuline. Depuis 2003, un nouveau parcours est en place au sein de l’Union Européenne (UE) pour l’approbation des médicaments biosimilaires. L’essentiel de l’évaluation est une comparaison sur des critères stricts du biosimilaire avec sa référence, en termes de qualité, de sécurité et d’efficacité, pour montrer qu’il n’y a entre eux aucune différence significative. Les études portant sur la qualité incluent des comparaisons complètes et détaillées de la structure et de l’activité biologique de leurs principes actifs, tandis que celles portant sur la sécurité et l’efficacité doivent montrer qu’il n’existe pas de différence significative entre eux sur le plan des bénéfices et des risques, notamment le risque de réactions immunitaires. Enfin, les autorités procèdent à des inspections périodiques des sites de fabrication.
Ces principes ne sont pas appliqués par la Food and drug administration (FDA), l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et encore moins en Asie ou en Amérique latine. La FDA, à l’inverse de l’Europe, n’applique pas aux « copies » de l’insuline un véritable statut de biosimilaire mais celui de simple générique. Elle ne le fera qu’à partir de 2020. Si l’on compare des exigences de l’OMS, de la FDA et de l’EMA, celles-ci diffèrent notablement.
Lilly, et les autres
Depuis deux ans, des données sont communiquées en congrès et publiées sur un biosimilaire de l’insuline glargine produit par le groupe Eli Lilly (LY2963016) avec un programme étoffé, préclinique, de PK/PD et clinique intitulé ELEMENT 1 (DT1) ELEMENT 2 (DT2). Nous reviendrons sûrement sur ces données en détail. On en retiendra l’essentiel : une non-infériorité comparée à la glargine originale chez des patients naïfs d’insuline ou antérieurement traités, sans différence pour les effets indésirables (hypoglycémies, réactions locales au site d’injection, ou allergiques générales). En somme, Lilly est un groupe suffisamment connu pour sa maîtrise de la fabrication des insulines, pour imaginer que nous pourrions disposer là d’une « authentique » insuline biosimilaire « sûre ». Quid d’autres fabricants qui ont déjà mis certains biosimilaires sur le marché ?
Bien que les brevets de l’Humalog n’aient expiré que depuis 2013 et pour la glargine en 2015, plusieurs pays disposent déjà depuis quelques années de leurs biosimilaires, du fait de réglementations beaucoup moins strictes, comme la Chine, l’Inde, la Thaïlande, le Mexique, le Pérou et le Pakistan. Il existe déjà des insulines humaines recombinantes en Pologne et en Inde pour la glargine, avec des copies telles que Basalin, Glaritus, Basalog (dont les profils en HPLC-RP diffèrent nettement de l’original), sur des marchés orientaux.
Pour beaucoup d’experts, il ne devrait pas être admis de les qualifier de biosimilaires et de permettre la substitution simple, sinon à exposer les patients à des conséquences métaboliques immédiates ou immunitaires à court terme (quelques fois rapportées) ou à long terme.
Les objectifs de la mise sur le marché
Citons le texte de l’ANSM : « on peut légitimement se poser la question de l’intérêt de mettre sur le marché des médicaments biologiques similaires (biosimilaires), ces médicaments n’apportant potentiellement aucune amélioration aux médicaments existants puisque le besoin médical est satisfait. La concurrence stimule toutefois la performance et tend à faire baisser les prix, un enjeu toujours plus important pour garantir un large accès à l’innovation pour tous les patients. Il arrive également que la production délicate des médicaments issus de la biotechnologie entraîne des difficultés d’approvisionnement. En acceptant plus d’un produit et en autorisant la mise sur le marché de biosimilaires, l’Agence Européenne et l’ANSM rendent le marché de ce type de médicaments moins sensible aux tensions, accidents de production et/ou aux ruptures de stock ». En somme, pour l’ANSM, les besoins sont couverts mais la baisse des prix est un enjeu, évidemment légitime, tout comme la garantie de ne pas être exposés à une éventuelle rupture de stock.
Pour les prix, on peut imaginer qu’une baisse de 30 %, comme pour les biosimilaires, peut aussi être envisagée pour l’original (Lantus) après plus de 10 belles années de succès ! Dans ces conditions, le marché européen serait alors étroit.
En revanche, pour les pays qui disposent de biosimilaires mal évalués, l’opportunité est réelle. Pour ceux qui accèdent difficilement aux insulines « modernes » (en Afrique d’abord), c’est une possibilité d’améliorations thérapeutiques. Il faudrait aussi, dans le même temps, que ces produits ne soient pas réservés aux seuls nantis, car leur coût, qui reste à la charge des patients et leur famille, sera encore bien trop élevé pour les plus modestes, donc pour la plupart. Il faut savoir qu’actuellement la disponibilité et l’accès aux « anciennes » insulines demeurent problématiques dans de très nombreux pays africains, du fait de rupture d’approvisionnement, du coût, de la conservation, etc.. Et puis, faudra-il aussi que la maîtrise médicale des schémas permis (basal bolus, etc) soit assez répandue. Ceci est loin d’être le cas dans nombre de pays !
Pharmaciens ou prescripteurs, qui décidera ?
La question des conséquences pour les prescripteurs et les pharmaciens est, bien entendu, capitale lorsqu’il s’agit des insulines, pour des raisons de sécurité clinique qui n’échappent à personne. Remplacer une hormone de croissance ou une EPO est une chose, mais l’insuline pose des questions spécifiques.
L’EMEA ne se prononce pas à ce propos : « L’EMA évalue les médicaments biosimilaires à des fins d’autorisation. Les évaluations de l’Agence n’incluent pas de recommandations sur le bien-fondé de l’utilisation d’un médicament biosimilaire de manière interchangeable avec son médicament de référence. Pour toute question relative au passage d’un médicament biologique à un autre, les patients doivent s’adresser à leur médecin ou leur pharmacien ». Alors, qui décidera demain ?
D’ores et déjà, on peut espérer que le principe – droit ou devoir de substitution des pharmaciens – qui s’applique en France pour les génériques ne sera pas reconduit tel quel pour les insulines biosimilaires. On peut imaginer qu’aucune substitution ne soit proposée à des patients déjà traités par l’original. En revanche, quid des initiations d’insuline ou changements tels que de premix à glargine ? Comment cela sera-t-il géré dans notre pays ? Cette question reste ouverte et nous ne pouvons qu’espérer que l’attitude des tutelles et des pharmaciens sera basée sur le bon sens, le respect du prescripteur, l’intérêt et la sécurité des patients.
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