«CE QUI PEUT faire évoquer une maladie d'Alzheimer débutante, tant par un professionnel de santé que par l'entourage, touche les domaines cognitif, psychothymique et fonctionnel, c'est-à-dire les comportements dans la vie quotidienne. Mais l'atteinte peut se révéler plus précocement dans l'un de ces trois versants, explique, en préambule, Jocelyne de Rotrou (docteur en neuropsychologie, hôpital Broca, Paris). Mon expérience, confortée par la littérature, me fait penser que, dès lors qu'un petit trouble est perceptible cliniquement dans l'un de ces domaines, que l'observateur soit expert ou non, cela signifie que la maladie a déjà évolué et que les niveaux les plus sophistiqués des fonctions cognitives sont touchés.» Il peut s'agir de petits troubles de l'orientation temporelle ou spatiale, attentionnels, exécutifs… par exemple, le patient n'utilise plus son portable. À ne pas confondre avec les difficultés normales pour l'âge. La désorientation se marque davantage dans un univers mal connu, elle n'apparaît pas dans les automatismes.
Et elle n'est pas compensée avec efficacité, comme elle le serait chez les normaux.
Des capacités de compensation.
La suspicion diagnostique se complique de l'extrême hétérogénéité des capacités de compensation. «Par exemple, un comptable pourra compenser, masquer, là où une autre personne n'ayant pas de compétence dans ce domaine ne le pourra pas. Les domaines les plus exercés résistent le plus longtemps. Les troubles se manifestent dans les domaines les plus faibles.»
Confronté à ce patient, le médecin doit explorer son orientation dans l'espace et le temps, son attention, sa mémoire, ses fonctions exécutives et visioconstructives, son langage (expression et compréhension), sa thymie. L'objectif final étant de déterminer si ce patient est ou non totalement autonome. Des tests de repérage destinés à la pratique quotidienne sont disponibles. Il s'agit des MMS, MIS, MIS D, GP-Cog ou 7 Mn-test. Il peut s'y adjoindre une échelle fonctionnelle évaluant les difficultés de la vie quotidienne. Leur positivité justifie une évaluation neuropsychologique à six mois.
Chaque équipe utilise les tests qu'elle maîtrise le mieux, en se fondant sur les recommandations de la HAS. Leur détail n'est plus du ressort du praticien libéral, mais J. de Rotrou insiste sur deux points essentiels.
L'effet Flynn.
En premier lieu, «face à ces patients, nous n'avons pas de données normatives satisfaisantes. Les étalonnages de la plupart des tests sont faits pour des gens de 60-65ans, mais, pour ceux dépassant 75ans, ils sont quasi inexistants ou peu fiables. On risque alors d'attribuer à la maladie ce qui relève de l'âge. Il faudrait des batteries de tests qui donnent le même poids à la mémoire, ainsi qu'aux fonctions exécutives et instrumentales, pour ne pas attribuer à la mémoire, de façon erronée, un poids qu'elle n'a pas. Il faut aussi tenir compte de l'effet Flynn, c'est-à-dire l'amélioration des performances aux tests avec le progrès. À âge égal, les performances actuelles sont supérieures à celles d'il y a vingt ans».
Le second point porte sur les réponses aux tests. Elles fournissent un signe très précoce d'atteinte. «Entendre “je ne sais pas” n'est pas le plus important. Un individu sain peut ne pas mémoriser, mais il en prend conscience et s'autocorrige. Le patient atteint d'un trouble cognitif peut répondre aussi “je ne sais pas”. Il peut aussi donner une réponse fausse, dite intrusion, mais sans en être conscient. Surtout, il est incapable de se corriger, même aidé par des indices. Ce type d'échec ajouté à un petit retrait social, un désinvestissement que tout le monde banalise, fournit un faisceau d'arguments péjoratifs.»
Enfin, uniquement dans le cadre de la recherche, il semble maintenant possible d'établir le risque de survenue de la maladie d'Alzheimer en fonction de l'âge, du sexe, de facteurs neuropsychologiques et fonctionnels, des risques vasculaires (dont l'HTA), de l'imagerie, de protéines anormales dans le liquide céphalo-rachidien et de l'existence d'un génotype epsilon 4.
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