E document du Medef, intitulé « Propositions pour une refondation de l'assurance- maladie », constitue une bombe pour les pharmaciens d'officine. Rédigé par des administrateurs de caisses d'assurance maladie appartenant au mouvement patronal et présenté la semaine dernière lors d'une réunion destinée à préparer un argumentaire que le Medef pourrait publier pour accompagner son retrait de la CNAM, il propose de supprimer le circuit officinal afin de réaliser de substantielles économies, évaluées entre 35 et 46 milliards de francs par an.
A la suite de la parution de l'article du « Quotidien du Pharmacien », le Medef a publié un communiqué dans lequel il affirme que les propositions contenues dans le document des trois administrateurs de caisse ne sont pas les siennes.
Certes, il ne s'agit que de suggestions qui n'engagent que leurs auteurs, mais l'affaire est suffisamment grave pour que l'ensemble des professionnels concernés en soient informés.
Un système jugé
trop coûteux
Le constat dressé est le suivant. « La production, la distribution et la fixation des prix des prestations pharmaceutiques relèvent actuellement de techniques protectionnistes et autoritaires. Environ 300 laboratoires produisent quasi exclusivement pour le marché français un nombre excessif de médicaments dont l'utilité médicale est souvent contestée, dont les prix sont fixés autoritairement
et dont la distribution est effectuée sous l'égide des pharmaciens qui en détiennent le monopole. En conséquence, l'absence de concurrence et le contrôle des prescripteurs par les laboratoires pharmaceutiques sont à l'origine d'une surconsommation de l'ordre de 30 % par rapport à la moyenne européenne » (source : Credes 1994).
Principalement visé par ce document, « le monopole de distribution détenu par les pharmaciens aggrave l'incidence financière du phénomène en raison notamment des marges bénéficiaires dont ils disposent (30 %) ». Le poids financier de la pharmacie dans l'économie de la santé est jugé « écrasant » : « 115 milliards de francs pour les trois principaux régimes auxquels il conviendrait d'ajouter 20 milliards de francs environ à la charge des organismes complémentaires. En conséquence, le potentiel d'économies réalisables sur ce poste est énorme : de 35 à 46 milliards de francs annuels. Les solutions qui peuvent être apportées sur ce point revêtent donc une importance considérable », soulignent les auteurs de ce document.
Dès lors, la solution proposée tombe comme un couperet, simple et brutale : il suffit de supprimer la marge bénéficiaire des officines.
La formule envisagée, les auteurs ne s'en cachent pas, est directement inspirée par le système américain où les assureurs négocient directement des contrats d'achat de médicaments. Cela passe par la liberté des prix du médicament et la suppression du monopole de distribution des pharmaciens. Ainsi, « l'organisme gestionnaire de l'assurance-maladie est en mesure d'obtenir des tarifs en fonction des quantités commandées et, parallèlement, de privilégier le produit le moins cher dans chaque classe. La distribution des médicaments s'effectue sans intermédiaire dans le cadre du réseau de l'organisme gestionnaire ».
Le document chiffre même l'indemnisation qui devrait être versée aux pharmaciens en contrepartie de leur disparition. « Une évaluation approximative de la valeur vénale de l'ensemble des officines pharmaceutiques en établit le montant à : 20 000 pharmaciens x 5 millions de francs en moyenne par pharmacien = 100 milliards de francs. »
« Cet ordre de grandeur, certes considérable, correspond à un retour sur investissements de moins de trois ans ! » précise le document. Deux options sont envisagées pour indemniser les pharmaciens :
- option n° 1 : « rachat pur et simple de l'officine » ;
- option n° 2 : « indemnisation, à hauteur de 50 %, de la valeur de l'officine, celle-ci pouvant continuer à fonctionner indépendamment des circuits de l'assurance-maladie (vente libre de produits, parapharmacie) ».
« Selon le choix qui sera fait par les pharmaciens, le coût final de l'opération se situe entre un minimum de 50 milliards de francs et un maximum de 100 milliards de francs. » Qui paiera ? La réponse est assez floue : « En toute hypothèse, une première négociation devra porter sur le financement de l'opération. Les gestionnaires de l'assurance-maladie, en qualité de bénéficiaires de cette disposition, pourraient en supporter la charge étalée sur plusieurs années, selon des formules à négocier. »
Un point - pourtant essentiel - dans ce dispositif semble ne pas avoir été envisagé. Les pharmaciens sont-ils disposés à se laisser ainsi manger tout cru ?
Humour noir
Dans ses conclusions générales, le document du Medef estime que « la rationalisation de la distribution des soins découlant du projet est de nature à améliorer le bien-être général et l'état sanitaire de la population tout en éliminant l'effroyable gaspillage qui, de toute manière, condamne à brève échéance le système actuel ». L'amélioration de l'état sanitaire de la population grâce à la disparition des pharmaciens, il fallait y penser ! Quant à « l'effroyable gaspillage », en quoi les officinaux sont-ils responsables ? Pour pousser leur logique jusqu'au bout, les auteurs de ce document auraient plutôt dû envisager la disparition des prescripteurs ou même, plus radical et plus efficace encore, la suppression des malades. Enfin, faut-il y voir la marque du cynisme ou de l'humour noir, on peut également lire dans les conclusions la recommandation suivante à l'intention des professionnels de santé : « Il importe de mettre en lumière les avantages que présente le projet pour les professionnels de santé. Ces derniers n'ont jamais été véritablement à l'aise en compagnie de la Sécurité sociale. Ils s'en sont accommodés tant bien que mal sans comprendre clairement l'intérêt d'un combat pour la libéralisation de l'assurance-maladie. »
A la lecture d'un tel document, à présent ils comprennent mieux.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature