Apporter une réponse thérapeutique appropriée à la plainte douloureuse exprimée par un patient nécessite d'en appréhender les différentes composantes et, notamment, la part neuropathique. Cela implique de disposer d'instruments d'évaluation adaptés.
LA PRISE en charge appropriée de la douleur dont souffre un patient impose une évaluation précise des plaintes. Au cours des trente dernières années, l'enquête étiologique s'est bien souvent limitée à rattacher la douleur à une cause unique : un cancer, un ulcère, une hernie discale ou autre. A la suite de cette évaluation clinique et sémiologique, le médecin formulait un diagnostic qui débouchait sur un geste thérapeutique.
Un mécanisme à plusieurs facettes.
Cette approche est aujourd'hui révolue, car l'on s'est aperçu que le mécanisme physiopathologique à l'origine de la plainte douloureuse n'est jamais univoque. La douleur ressentie par le patient est, en réalité, la résultante des altérations d'un système de régulation complexe, qui comprennent toujours un élément mécanique (par exemple, une hernie discale), sur lequel viennent se greffer non seulement des modifications tendineuses et musculaires, mais également des perturbations des voies nerveuses aussi bien motrices que sensitives.
Le troisième élément est représenté par le « réglage » d'ensemble, qui intègre la notion globale de contrôle, d'adaptation et d'évolution.
Toute la complexité de l'évaluation d'une plainte douloureuse tient à l'intrication de ces facteurs qui sont propres à chaque individu et peuvent même varier au cours de la vie : tout en conservant la même apparence sémiologique, un processus douloureux peut répondre à des causes différentes selon qu'il se manifeste à 20 ou 40 ans.
Cette réalité complexe impose aux médecins et à tous les soignants une nouvelle grille d'analyse de la plainte douloureuse.
Pour bien comprendre les « logiciels » de saisie de l'information douloureuse, il faut avoir à l'esprit que la plainte douloureuse a trois fondations principales : un élément mécanique, un élément neuropathique et un troisième élément représenté par le mauvais contrôle de la douleur. La douleur éprouvée par un individu est la résultante de l'information transmise au cerveau diminuée du processus de contrôle descendant qui tend à l'annuler. Le thérapeute doit donc être en mesure d'apprécier quelles sont les causes probables, pondérées, à la base de cette équation algébrique.
S'il est indispensable de disposer d'un instrument permettant de mesurer ces trois composantes, cela n'est toutefois pas suffisant ; il faut aussi expliquer au patient ce qui se passe afin qu'il modifie la perception qu'il avait jusqu'alors de sa douleur et qu'il devienne ainsi un partenaire à part entière de la démarche diagnostique, puis thérapeutique.
Avec cette nouvelle façon de concevoir l'explication d'une plainte douloureuse, le soignant ne se situe plus dans des conclusions cartésiennes figées : il ne peut plus prétendre guérir une hernie discale par une simple intervention chirurgicale ou soulager pleinement un rhumatisme en se contentant de pratiquer une infiltration médicamenteuse.
A partir de ces conceptions multifocales, il faut donc construire un discours qui soit intelligible par toute l'équipe soignante. C'est donc une nouvelle approche qui se met en place, fondée sur les éléments théoriques qui viennent d'être formulés, mais aussi sur des considérations pratiques. Il est, en particulier, nécessaire de bien connaître la sémiologie de la douleur neuropathique, puisqu'il est désormais apparent que toute douleur a en partie un fondement neuropathique qui requiert sa propre évaluation et sa propre prise en charge thérapeutique.
Il faut donc recentrer la clinique sur la douleur neuropathique, dont les différentes expressions sont bien mesurées par le DN-IV. Avec Didier Bouhassira, Patrick Giniès et coll. ont mené une étude dans une dizaine de centres français de la douleur, dont les résultats ont été publiés dans la revue « Pain » et montrent que, en s'appuyant sur quatre types de questions, cet instrument permet de faire à plus de 80 % le diagnostic de la part neuropathique de la plainte douloureuse d'un patient.
Cependant, il ne suffit pas d'avoir validé cet élément théorique ; pour faire passer cette nouvelle conception de la douleur parmi le corps médical, il importe également de disposer d'un instrument de mesure. Les premiers à avoir été mis au point sont les échelles d'évaluation de la douleur, numériques, verbales ou analogiques. A côté de ces outils de quantification de la douleur, il y a toutefois lieu de développer également des instruments visant à qualifier cette dernière.
L'horloge de la douleur.
C'est ce qui a conduit l'équipe de Montpellier à concevoir une « horloge de la douleur », qui est maintenant en usage depuis une vingtaine d'années. L'instrument comporte douze icônes figurant les principaux termes utilisés par les patients pour décrire leur douleur : la petite aiguille sert à indiquer l'intensité douloureuse et la grande aiguille à désigner l'icône exprimant le mieux, pour le patient, le caractère de sa douleur. Pourquoi avoir eu, pour cela, recours à des dessins ? Parce que, chez un patient qui souffre, la raison est souvent submergée par l'émotion, ce qui empêche ce patient de communiquer une sémiologie précise au soignant et de gérer de façon pertinente ce qu'il ne comprend pas. Le thérapeute n'est donc pas en situation de le soulager efficacement. En procurant à ce patient un instrument lui permettant de décrire sa plainte, on le rassure parce qu'on l'aide à la verbaliser. Enfin, un tel instrument procure au patient une autre représentation cognitivo-émotionnelle de sa plainte douloureuse. Cela constitue, de fait, un début de reprogrammation neurolinguistique qui, en retour, contribuera à la remise en ordre du processus physiologique de contrôle de la douleur.
La réglette Antalkit.
Après cette horloge de la douleur, Patrick Giniès et coll. ont développé la réglette Antalkit, dont la vocation est un peu d'être à l'algologie ce que le stéthoscope est à la cardiologie.
Cette réglette Antalkit a été spécifiquement conçue pour faire le diagnostic des douleurs neuropathiques. Sur l'un de ses côtés, elle comporte une classique échelle d'évaluation numérique de 10 cm, alors que, sur l'autre, sont figurés sous forme de dessins les sept termes (validés) principalement utilisés par les patients pour décrire leur plainte douloureuse : brûlure, décharge électrique, sensation de froid douloureux, fourmillement, picotement, engourdissement et démangeaison. Le patient est ainsi à même d'indiquer celui ou ceux de ces termes qui expriment le mieux les caractéristiques de sa douleur.
La réglette est, en outre, complétée par deux accessoires, disposés à chacune de ses extrémités. Le premier est un filament de von Frey, en plastique souple, destiné à rechercher une perte de sensibilité au niveau de la zone douloureuse.
Le second accessoire est une petite brosse permettant de rechercher une allodynie, autre signe clinique majeur de la douleur neuropathique : le simple effleurement de la zone concernée au moyen de cette brosse suffit à provoquer une sensation douloureuse. Par les éléments sémiologiques (termes descriptifs) et les renseignements cliniques (hypoesthésie, allodynie) qu'elle procure, la réglette Antalkit permet de faire le diagnostic de la composante neuropathique d'une douleur à plus de 80 %. Tout aussi important, cet instrument permet d'expliquer précisément au patient pourquoi il souffre ; celui-ci sera, dès lors, plus enclin à adhérer au traitement qui lui est proposé. Les recherches se poursuivent néanmoins afin de développer d'autres outils permettant une meilleure qualification de la douleur. Parmi ces instruments figure notamment une échelle d'évaluation en relief destinée aux personnes qui sont dans l'incapacité d'exprimer l'intensité de leur douleur sur une échelle graduée en centimètres.
A cette première phase de compréhension mécanique de la douleur, doit faire suite une phase de compréhension des mécanismes psychosociaux qui influent sur l'efficacité des contrôles inhibiteurs de la douleur. Pour ce faire, il faudra développer des outils permettant d'optimiser le processus d'évaluation globale de ces mécanismes psychosociaux. Il s'agit là d'une autre voie de recherche.
D'après un entretien avec le Dr Patrick Giniès, responsable du centre d'évaluation et de traitement de la douleur, CHU de Montpellier.
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