La semaine des prix Nobel va s'ouvrir aujourd'hui, avec l'attribution du prix de médecine. Les vainqueurs de ces récompenses les plus prestigieuses du monde (il y en a six avec le prix Nobel de la paix, de la littérature, de la physique, de la chimie et de l'économie) auront certainement un caractère rassembleur puisqu'il s'agit, cette année, de fêter le 100e anniversaire de ces distinctions.
Tous les prix Nobel sont attribués à Stockholm (Suède), par l'Assemblée Nobel du Karolinska Institut en ce qui concerne la médecine, à l'exception du prix de la paix, attribué à Oslo par le comité Nobel norvégien. Outre un diplôme et une médaille, les lauréats de la promotion 2001 recevront un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (1,07 million d'euros), à partager éventuellement en cas de vainqueurs multiples. En 2000, le prix Nobel de médecine a ainsi distingué trois chercheurs : Arvid Carlsson (Suède), Paul Greengard (Etats-Unis) et Eric Kandel (Etats-Unis), pour leurs découvertes concernant la transmission du signal dans le système nerveux. La remise formelle des prix a traditionnellement lieu lors de cérémonies à Stockholm et à Oslo le 10 décembre, jour anniversaire de la mort d'Alfred Nobel, savant et industriel suédois à qui l'on doit ces prix annuels.
Des placements de toute sécurité
Ingénieur et chimiste, Alfred Nobel (1833-1896), l'inventeur de la dynamite, lègue la plus grande partie de sa fortune - provenant de ce qu'il avait créé dans le domaine des explosifs à l'usage purement civil - afin de favoriser les progrès de l'humanité dans trois sphères intellectuelles : les sciences, la littérature et la paix. « Le capital sera investi par mes exécuteurs testamentaires en placements de toute sécurité et constituera un fonds dont l'intérêt devra être annuellement distribué, sous forme de prix, à ceux qui, pendant l'année précédente, auront apporté les plus grands bienfaits à l'humanité », écrit-il dans son testament.
C'est en médecine que l'on compte le plus de lauréats récompensés ces 99 dernières années (voir page 26). Sur 720 lauréats (dont seulement 30 femmes récompensées), on compte 172 personnalités médicales récompensées (pour la physique 162, la chimie 135, la littérature 97, la paix 88 et les sciences économiques 46). La raison en est que les prix Nobel de médecine sont le plus souvent des prix d'équipe, des prix partagés (entre trois personnes au maximum), comme le souligne Daniel Raichvarg, historien des sciences à l'université de Bourgogne, à Dijon, et fondateur de la compagnie théâtrale Les Bateleurs de la science, qui regroupe des historiens des sciences, des scientifiques et des gens de théâtre. Certains lauréats ont d'ailleurs ardemment souhaité ces distinctions de groupe. En 1923, raconte Isabelle Levy dans son livre « Nobel, 100 ans de prix, 100 ans d'histoires » (Editions Josette Lyon, Ville de Sevran, 2001), Frederick Banting, découvreur de l'insuline, partage le Nobel de médecine avec John Mcleod. Mais furieux que son proche collaborateur, Charles Best, ne soit pas également récompensé, Banting partage le montant de son prix avec son fidèle associé. Par la suite, le comité Nobel reconnaîtra son erreur, ce qui, pratiquement, ne change pas grand-chose puisque ses décisions sont irrévocables.
De même, les Américains John Bishop et Harold Varmus sont couronnés par le Nobel de médecine, en 1989, pour la découverte de l'origine cellulaire des oncogènes rétroviraux. Toutefois, de nombreux savants français ont regretté que Dominique Stehelin, qui découvrit le premier oncogène alors qu'il n'était que stagiaire postdoctoral en 1976 dans le laboratoire de Bishop et de Varmus à l'université de Californie, à San Francisco, n'ait pas été appelé à partager ce prix. Quant à Paul Portier, il n'eut malheureusement pas droit à la même gloire que Charles Richet, lauréat en 1913, bien que les deux chercheurs aient travaillé en commun sur l'étude du phénomène de l'anaphylaxie.
Un effet indéniable
Recevoir un prix Nobel change incontestablement le cours de la vie du lauréat. « L'effet d'annonce du prix Nobel auprès du grand public est indéniable, confirme Daniel Raichvarg. Certaines découvertes prennent alors une ampleur considérable comme celle d'Albert Einstein, pour n'en citer qu'une. Les prix Nobel ont participé à améliorer les efforts de vulgarisation des recherches scientifiques. » Le Pr Jean Dausset, Nobel de médecine en 1980 pour sa découverte du système HLA (Human Leucocyt Antigen A), témoigne des effets médiatiques du Nobel. « Le jury Nobel m'avait récompensé pour mes travaux d'immunohématologue, explique-t-il. J'ai alors été invité à la télévision pour parler de mes travaux. Une téléspectatrice fortunée a été à ce point impressionnée qu'elle a décidé de faire de moi son légataire universel. Deux ans plus tard, elle mourrait en laissant un capital considérable qui m'a permis de créer la fondation qui porte mon nom et le centre d'études du polymorphisme humain. » (« Le Quotidien » du 11 octobre 2000.)
On peut encore citer Alphonse Laveran qui, avec les fonds du prix Nobel (1907), aménage le laboratoire des maladies tropicales et du paludisme à l'Institut Pasteur.
Le Nobel 2000, Paul Greengard, quant à lui, a doté avec sa part de prix un fonds créé il y a deux ans dans le but de récompenser chaque année les recherches de confrères du sexe féminin. Doit-on y voir une élégante façon de dénoncer la relative misogynie des académies Nobel qui désignent les prix ?
Un abonnement à vie au base-ball
Certains lauréats estiment cependant mériter une récompense personnelle. Ainsi, Max Theiler (Afrique du Sud), nobélisé en 1951 pour ses travaux sur la fièvre jaune et la mise au point de son vaccin, choisit de consacrer une partie (qui reste infime) du montant de son prix à s'offrir un abonnement à vie afin d'assister aux grands matchs de base-ball.
La médiatisation des nobélisés n'a pas que des effets heureux. « L'un des plus risqués, me semble-t-il, c'est la prise de position de scientifiques sur des sujets de société », commente Daniel Raichvarg. Si l'on désire être un Nobel incontesté, mieux vaut donc garder le silence.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Konrad Lorentz (Autriche), Nobel de médecine en 1973, écrit des articles à teneur raciste : « Il faudrait, pour la préservation de la race, être attentif à une élimination des êtres moralement inférieurs, encore plus sévère qu'elle ne l'est aujourd'hui. » Toutefois, après la cérémonie de Stockholm, soit plus de 33 ans après la parution de ses écrits, Lorentz fait paraître dans la presse internationale quelques mots d'expiation. De même, Alexis Carrel (prix Nobel en 1912) est plus connu pour ses théories sur l'eugénisme que pour ses travaux fondamentaux sur la suture de vaisseaux et la transplantation de vaisseaux et d'organes.
Mais c'est bien indépendamment de sa volonté que l'Allemand Gerhard Domagk a décliné, en 1939, l'invitation à recevoir son prix Nobel de médecine. Contraint de refuser cette distinction à cause d'un décret adopté en 1937 par Adolf Hitler, il recevra malgré tout son prix à la fin du régime nazi.
Malgré les égarements de lauréats (le génie est rarement global), il est difficile de considérer qu'un lauréat n'a pas mérité son prix. Peut-on, par exemple, reprocher à l'académie Nobel d'avoir distingué, en 1949, le Portugais Antonio de Abreu Freire Egas Moniz pour sa pratique de la lobotomie dans la thérapie de graves troubles mentaux, alors qu'elle apparaît aujourd'hui barbare et inefficace face au traitement de psychotropes ?
Patience
Cela dit, chacun pourra juger que de grands noms ont été oubliés. Dans son ouvrage, Isabelle Lévy rend ainsi hommage à Oswald Avery, découvreur du rôle de l'ADN dans la transmission de l'hérédité, ou encore à Hugo de Vries, spécialiste des mutations génétiques. « Aujourd'hui, note Daniel Raichvarg, il est de toute façon inimaginable de récompenser, comme l'a écrit Alfred Nobel dans son testament, la découverte de l'année. Les connaissances ont besoin d'être validées. Et cela demande de plus en plus de temps. » Ceux qui espèrent pouvoir se glorifier d'un prix Nobel devront donc être géniaux, mesurés et patients (la moyenne d'âge des lauréats de médecine ne dépasse toutefois par 56 ans et demi). Et mieux vaut croire, comme le suggérait Camille Flammarion, fondateur de la Société astronomique de France en 1887, au « Père Nobel ».
Une visite du « Paris Nobel » en bus
Afin de célébrer le centenaire des prix Nobel, la palais de la Découverte (fondé en 1937, grâce à la persuasion de Jean Perrin, sous-secrétaire d'Etat à la recherche scientifique et Nobel de physique en 1926), organise une balade du Paris Nobel d'environ une heure, les 20 et 21 octobre prochains. A bord d'un bus rétro de 1934, Daniel Raichvarg, historien des sciences et acteur, retrace avec humour l'histoire des Nobel, ceux qui ont foulé le sol parisien ou ceux qui ont simplement donné leur nom à des rues, des places, des squares. Charles Richet, William Shockley, Pierre et Marie Curie, Jean Dausset, Jacques Monod, Alphonse Laveran, Charles Nicolle et d'autres encore y seront évoqués pêle-mêle.
Renseignements sur www.palais-decouverte.fr
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