De notre correspondante
à New York
« CHAQUE ANNÉE, 140 000 patients atteints d'un cancer du poumon non à petites cellules sont identifiés rien qu'aux Etats-Unis, et plus de 1 million à travers le monde », souligne dans un éditorial du « New England Journal of Medicine » le Dr Mark Green (université médicale de Caroline du Sud, Charleston). « Même si moins de 10 % d'entre eux ont une tumeur avec une mutation gain de fonction (de l'Egfr), il reste plusieurs milliers de patients chez qui le gefitinib serait indiqué, probablement en première intention pour la maladie avancée. »
Le cancer du poumon non a petites cellules (Cpnpc), qui représente 85 % des cancers du poumon, est la première cause de décès par cancer aux Etats-Unis, en France et dans de nombreux pays. La chimiothérapie au stade avancé n'est guère efficace.
Réfractaire aux chimiothérapies.
Le gefitinib (Iressa), un produit oral qui inhibe la tyrosine kinase du récepteur de l'EGF (Egfr, epidermal growth factor receptor), est autorisé depuis un an par la FDA en traitement du Cpnpc réfractaire aux chimiothérapies.
La raison initiale de son utilisation est l'observation fréquente d'une surexpression de l'Egfr dans ce cancer pulmonaire. Le gefitinib inhibe ce récepteur (en ciblant l'espace ATP de la tyrosine kinase) à la surface cellulaire, et stopperait ainsi le signal de prolifération et de survie cellulaire de l'EGF qui aboutit à la croissance non contrôlée des cellules cancéreuses.
Dans les essais de phase 2, Iressa, en traitement du Cpnpc réfractaire, entraîne une régression tumorale chez 10 à 19 % des patients, et une stabilisation clinique dans 30 % des cas. Parfois, les réponses sont spectaculaires et durables.
Toutefois, le mécanisme moléculaire expliquant la réponse au gefitinib restait mystérieux, et les cancérologues étaient placés devant la difficulté de savoir à qui offrir ce traitement approuvé.
En effet, l'expression de l'Egfr (détectée par immunohistochimie) n'est pas corrélée à la réponse au gefitinib. L'adjonction de la molécule à la chimiothérapie s'est révélée décevante et une analyse rétrospective montre une grande variation du taux de réponse dans des sous-groupes (de 5 à 30 %). Les taux de réponse sont plus élevé chez les Japonais que chez les Américains, par exemple, ainsi que chez les femmes, les non-fumeurs, et dans l'adénocarcinome.
Deux études mises en ligne, l'une sur le site de « Science », l'autre sur celui du « New England Journal of Medicine », (parution le 20 mai) élucident l'énigme. Une découverte qui permet de sélectionner les patients chez qui le traitement ciblé par gefitinib devrait être efficace.
Mutations du domaine kinase de l'Egfr.
L'équipe du Dr Daniel Haber, du Massachusetts General Hospital (Boston), a recherché la présence de mutations du gène Egfr dans les échantillons tumoraux prélevés chez des patients avant traitement par gefitinib. Des mutations du domaine kinase (espace ATP) de l'Egfr ont été trouvées chez 8 des 9 patients qui ont répondu au gefitinib, mais chez aucun des 7 patients résistants. L'effet de ces mutations, étudié in vitro, est un gain de fonction majorant (par 2 ou 3) le signal du facteur de croissance et une sensibilité accrue (par 10) à l'inhibition par le gefitinib. « Ces mutations sont sans précédent puisqu'elles augmentent la prolifération des cellules tumorales tout en les rendant plus sensibles aux traitement médicamenteux », remarque le Dr Haber dans un communiqué.
Les chercheurs travaillent au développement rapide d'un test de dépistage des mutations Egfr. Ils projettent également des études cliniques de traitement intégrant ce dépistage. Ils espèrent aussi débuter des études de gefitinib en traitement du stade précoce et en traitement adjuvant de l'exérèse chirurgicale.
26 % des Japonais, 2 % des Américains.
L'autre équipe, dirigée par les Drs Sellers, Johnson et Meyerson du Dana-Farber Cancer Institute (Boston) et comprenant des chercheurs japonais, a également recherché des mutations du gène Egfr dans les Cpnpc de 58 patients japonais et de 61 patients américains. Des mutations Egfr dans la tumeur ont été identifiées chez 15 des 58 Japonais (26 %), mais seulement chez 1 des 61 Américains (2 %). Ces mutations étaient aussi plus fréquentes dans les adénocarcinomes (15/70, 21 %) que dans les autres Cpnpc (1/49, 2 %), et plus fréquentes chez les femmes (9/45, 20 %) que chez les hommes (7/74, 9 %). Ces mutations sont ainsi trouvées chez 57 % des femmes japonaises atteintes d'adénocarcinome. Enfin, les tumeurs de 5 patients américains sensibles au gefitinib portaient toutes des mutations Egfr, tandis qu'aucune mutation n'était trouvée dans les tumeurs résistantes.
« Jusqu'à présent, la médecine ne pouvait pas faire grand chose pour la plupart des patients atteints du Cpnpc, observe dans un communiqué le Dr Matthew Meyerson. Cette étude indique pour la première fois qu'un traitement ciblé pour un groupe spécifique de patients peut avoir un impact sur ce cancer. Elle démontre comment la compréhension croissante de la biologie humaine et le projet du génome humain convergent pour produire un effet immédiat sur le traitement du cancer. »
Sciencexpress.org, 29 avril 2004 ; « New England Journal of Medicine », 20 mai 2004.
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