LE TEMPS DE LA MEDECINE
« CERTAINES ESPÈCES sont étudiées en tant que modèles biologiques. C'est le cas des raies torpilles qui produisent des décharges électriques pouvant aller jusqu'à 500-600 volts pour immobiliser leurs proies. L'étude de ces poissons a permis dans les années 1950 de mieux comprendre les connexions nerfs-muscles d'une manière générale, explique Nicolas Bailly, du Muséum d'histoire naturelle (Paris). D'autres font l'objet de recherches parce qu'elles possèdent des particularités propres, comme les requins, qui présentent des taux de cancers inférieurs à ceux des humains. Des espèces antarctiques sont étudiées parce qu'elles présentent des protéines antigel
Les atouts du poisson-zèbre.
Le poisson-zèbre (Danio rerio) est devenu en quelques années l'un des modèles préférés des chercheurs pour l'étude du développement des vertébrés. C'est au début des années 1990 que ce banal petit poisson tropical (3-4 cm à l'âge adulte), aux rayures bleu-vert et beige dans le sens de la longueur, que l'on retrouve dans grand nombre d'aquariums d'appartement, connaît son ascension. Alors qu'une équipe dirigée par le Pr Tresinger a commencé à travailler sur le système nerveux dans un centre de recherche de l'université d'Oregon, Christiane Nüsslein-Volhard - prix Nobel de médecine en 1995 pour ses travaux sur les mutants de développement chez la drosophile - lance un vaste programme international de recherche génomique sur Danio rerio. La découverte en 1998 des cellules souches adultes chez l'humain renforce encore l'intérêt des chercheurs pour ce vertébré. Il faut dire que Danio rerio a de nombreux atouts à faire valoir : son élevage est facile ; il est bon marché ; on peut suivre aisément son développement (ses embryons sont transparents) ; il est facilement manipulable ; son développement adulte se fait en un temps très court. En outre, il s'adapte aisément aux techniques de transgenèse, ce qui permet de fournir de nombreuses lignées de mutants. Fin du fin : il a un génome quasi identique à celui des humains.
Une autre de ses caractéristiques est l'étonnante possibilité de régénération de certaines parties de son corps. En cas d'amputation, il ne faut que deux ou trois semaines au poisson-zèbre pour reconstruire sa nageoire caudale, et cela intégralement et parfaitement comme chez les amphibiens. Des capacités identiques ont été révélées pour la rétine, la moelle épinière et le cœur. Une équipe de la Harvard Medical School, dirigée par le Dr Poss, a montré en 2002 que moins de deux mois sont nécessaires pour que le cœur d'un poisson-zèbre amputé de 20 % de son volume retrouve sa taille, sa forme et ses propriétés contractiles normales.
Cancérologie, maladie neurodégénérative, dystrophies, régénération du muscle cardiaque : il est aujourd'hui utilisé dans différents domaines. Le laboratoire de neurogénétique Inserm E343 de l'université de Montpellier travaille sur les migrations cellulaires chez le poisson-zèbre pour comprendre les métastases. Son travail lui a permis de montrer que certains des facteurs contrôlant ces migrations sont semblables aux facteurs responsables de la formation de métastases dans certains types de cancers humains. Une équipe de Jefferson Medical College of Thomas Jefferson University vient d'étudier les effets des radiations et des UV chez les embryons de poisson-zèbre.
Un programme national a été lancé il y a deux ans au Japon sur un autre petit poisson de la même famille, le médaka, utilisé comme modèle, notamment en biologie du développement et en génétique.
Au service de la génétique.
Les poissons font aussi partie des premières espèces ou organismes à avoir été inscrits au programme du génome humain. Le séquençage de génome du poisson-zèbre, mené par le Sanger Institute, au Royaume-Uni, a démarré en février 2001. Celui d'une espèce du fugu, le Takifugu rubripes, a abouti en 2002 à la publication d'une ébauche de la séquence du génome par des chercheurs américains. En France, le Génoscope d'Evry a lancé en 1997 un projet de séquençage du génome du tetraodon. Effectué conjointement avec le Whitehead Institute Center for Genome Research de Cambridge (Massachusetts), ce projet s'est achevé en 2002 avec un assemblage couvrant 90 % de l'euchromatine de ce poisson exotique. D'autres projets sont en cours (poisson-chat, perche du Nil, saumon, etc.).
« C'est ainsi, grâce aux premiers résultats sur le tetraodon, que les chercheurs ont pu supposer, dès l'année 2000, que le nombre de gènes humains devait se situer autour de 30 000, alors que des estimations bien plus élevées (50 000-90 000) avaient cours », rappelle-t-on au Génoscope d'Evry. Pauvre en ADN superflu, le génome du tetraodon est le plus petit connu à ce jour parmi les vertébrés. L'ensemble de ses gènes est compris dans une quantité d'ADN environ huit fois plus petite que le génome humain, ce qui permet aux scientifiques de cibler rapidement leurs recherches sur la partie intéressante des gènes. Des écores - c'est-à-dire des régions conservées au cours de l'évolution - ont pu être obtenues par la comparaison homme-tetraodon via un outil de génomique comparative développé par le Génoscope (baptisé Exofish). Ils ont été utilisés dans la procédure d'annotation d'un certain nombre de chromosomes humains publiés.
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