Neuf patients sur dix ayant subi une laparotomie développent des adhérences postopératoires. En dépit de leur fréquence, surtout après des interventions abdomino-pelviennes, elles étaient considérées comme une conséquence inévitable de la chirurgie. Deux études publiées en 1999 ont ont conclu à la nécessité d'une prévention. L'étude SCAR (1) a suivi, pendant dix ans, 29 790 opérés : 35 % ont dû être réadmis pour des événements en rapport avec des adhérences postopératoires (22 % dans la première année). L'étude américaine Medicare (2) a estimé, chez 18 912 patients, à 17 % l'incidence des subocclusions intestinales au cours des deux années qui suivent une intervention abdominale ou colo-rectale. « La formation des brides et adhérences est un phénomène complexe et multifactoriel qu'il faut, à mon avis, bien connaître pour apprécier les traitements à préconiser », déclare le Pr Jean-Jacques Duron (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris).
Phase critique : les trois premiers jours
La couche mésothéliale qui signe l'intégrité du péritoine est extrêmement fragile et tout geste chirurgical constitue une agression. Le traumatisme péritonéal conduit, au niveau du tissu lésé, à la formation d'un exsudat inflammatoire et d'une matrice de fibrine.
A ce stade, la bonne cicatrisation dépend de la capacité fibrinolytique du péritoine. La dégradation de la fibrine, grâce à la transformation du plasminogène en plasmine, permet la restauration des cellules mésothéliales. Un activateur tissulaire du plasminogène facilite la fibrinolyse. Or, il semble qu'au niveau du péritoine lésé, l'augmentation d'un inhibiteur de cet activateur empêche la résorption de la fibrine : des fibroblastes prolifératifs envahissent l'exsudat et remplacent la fibrine par du collagène plus solide. En deux à trois jours, les brides et adhérences se forment alors. Elles ont différents aspects selon leurs grades, de l'adhérence pellucide à la bride constituée. Différents facteurs favorisant la formation de ces brides et adhérences ont été mis en évidence. En particulier, les corps étrangers dont la présence est plus fréquente au niveau des adhérences que dans le péritoine adjacent sain : particules d'amidon provenant des gants, fragments de compresses, de bavettes et de masques chirurgicaux, fils de résorption lente.
D'autres facteurs, directement liés aux techniques chirurgicales, sont une source de traumatisme : utilisation de bistouri électrique, pratique de la péritonisation lors de la fermeture de la cavité péritonéale (en effet celle-ci réunit deux éléments propices à la formation des adhérences : l'ischémie et l'apport de corps étrangers par les fils), la dessiccation provoquée par l'exposition à la lumière des scialytiques. Les complications peropératoires, hématomes, abcès et fistules, augmentent aussi le risque d'adhérences.
Des mesures préventives chirurgicales
Ainsi, des mesures préventives chirurgicales peuvent être préconisées : utilisation d'un bistouri froid, manipulation sans traumatisme des anses intestinales et du péritoine, éradication des foyers septiques, élimination des tissus ischémiés, limitation des corps étrangers (utilisation de gants sans poudre), protection contre la lumière du scialytique et humidification des anses intestinales lors des interventions longues. La fermeture du péritoine doit être mise en question (des études ont montré qu'elle n'apportait aucun avantage, Kalchen, 1996). La laparoscopie a prouvé son efficacité sur la réduction des adhérences en chirurgie gynécologique, mais elle n'a pas encore fait ses preuves en chirurgie digestive.
Des dispositifs barrières efficaces
Des substances susceptibles de réduire les dépôts de fibrine en limitant la réponse inflammatoire ou de favoriser la fibrinolyse, ont été expérimentées. Leurs effets secondaires (infection, cicatrisation retardée de la plaie) ont fait de la séparation des surfaces tissulaires l'option la plus intéressante. Seprafilm, développée par Genzyme, est une de ces barrières anti-adhérence. Elle se présente sous l'aspect d'un film synthétique, biorésorbable (il s'élimine en vingt-huit jours), stérile et translucide. Son principal composant est l'acide hyaluronique qui, à l'état naturel, lubrifie et protège les tissus et les articulations. Placé dans la cavité abdominale, Seprafilm se transforme en un film hydrophile qui se résorbe en sept jours, ce qui lui permet de jouer pleinement son rôle de barrière pendant la période « critique » de repéritonisation (trois jours après l'intervention). Des études ont prouvé son efficacité et son innocuité dans la prévention des adhérences en chirurgie digestive et gynécologique : elles sont moins fréquentes, moins étendues et d'un grade inférieur.
Ainsi, les adhérences secondaires sont devenues un risque inacceptable. Le seul traitement est la chirurgie, mais les récidives sont nombreuses. Les moyens de prévention sont essentiels. Les précautions opératoires doivent être encore diffusées : « Une étude suédoise récemment publiée a montré que seulement 50 % des chirurgiens prenaient des précautions anti-adhérencielles, notamment des gants sans poudre », confirme le Pr Jean-Pierre Triboulet (CHRU, Lille). Les barrières, comme Seprafilm, sont efficaces, même si leur coût est encore élevé et si des formes plus faciles d'emploi et accessibles aux zones entre les anses intestinales sont attendues (spray).
103e Congrès français de chirurgie de l'association française de chirurgie. Symposium satellite, avec les Prs Jean-Pierre Triboulet (CHRU, Lille), Jean-Jacques Duron (Pitié-Salpêtrière, Paris) et Hisao Osada (gynécologie-obstétrique, Japon). Communication du Pr David E. Beck (Oschner Clinic, New Orleans, Etats-Unis).
(1) « Lancet », mai 1999.
(2) « Diseases of the Colon and Rectum », mars 1999.
Les études prospectives sur l'efficacité de Seprafilm
En 1996, une première étude prospective, randomisée et contrôlée, menée par le Pr David E. Beck (Oschner Clinic, New Orleans) sur 183 patients, a montré l'efficacité de Seprafilm en chirurgie digestive. Après un contrôle laparoscopique de huit à douze semaines suivant une intervention, la réduction du nombre d'adhérences était significative : 49 % contre 94 % dans le groupe contrôle. L'étendue et le grade étaient diminués. Une tendance, non significative, aux abcès postopératoires avait été constatée dans le groupe Seprafilm. Celle-ci n'est pas confirmée par l'étude actuellement en cours.
La deuxième étude prospective, randomisée et contrôlée, a débuté en 1998. Elle porte sur 22 centres et devrait inclure 1 700 patients. Elle cherche à démontrer l'innocuité de Seprafilm et son efficacité dans la prévention des occlusions mécaniques postopératoires. Les premiers résultats portent sur 1 013 patients inclus en novembre 2000 et confirment qu'il n'existe pas de différence significative, en ce qui concerne les abcès en postopératoires, entre le groupe Seprafilm et le groupe contrôle. Cependant, le nombre de fistules y est significativement plus élevé (2,4 % contre moins de 1 %) ; le Pr Becker pense que le contact de Seprafilm sur les anastomoses inhibe des adhérences et des brides indispensables à une bonne fermeture. Elle remplirait trop bien son rôle. Les résultats concernant la fréquence des occlusions ne sont pas encore connus.
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