JUSQU’à 1 200 euros la journée : les sommes empochées par les médecins mercenaires donnent le tournis, et dépassent largement le plafond autorisé pour les remplacements hospitaliers – qui correspond aux revenus d’un PH de 4e échelon.
Les rumeurs vont bon train sur ce sujet : des médecins en auraient fait leur unique fond de commerce. «Ils viennent taper sans scrupule les coffres-forts des hôpitaux», balancent des PH écoeurés. Certains mercenaires exigeraient du cash, pour être exonérés de cotisations sociales. Comble de l’illégalité, il y aurait même des internes dans leurs rangs.
L’Igas a apporté quelques éléments de réponse en 2003, dans un rapport consacré au développement des emplois temporaires médicaux. Plus récemment, la FHF (Fédération hospitalière de France) a tenté d’évaluer la situation. Son enquête menée l’an passé est révélatrice. Cent vingt des 292 hôpitaux qui lui ont répondu avouent recourir à de l’intérim médical ou à des remplacements financés au-delà du 4e échelon de PH, le plafond réglementaire. Le phénomène existe donc bel et bien, surtout dans les petits établissements peu attractifs.
Sept spécialités surtout concernées.
Sont concernées l’anesthésie-réanimation, les urgences, la radiologie, la gynéco-obstétrique, la chirurgie, la pédiatrie, et, dans une moindre mesure, la psychiatrie. En clair, les spécialités en pénurie.
Certaines régions où les médecins se font rares recourent plus que d’autres au mercenariat. C’est notamment le cas de la Bourgogne. Le Dr Naoufel Krir a ainsi l’occasion de venir un ou deux jours par mois à Nevers, où il fait des remplacements ponctuels. Parfois, cet urgentiste se rend aussi à l’hôpital de Saint-Nazaire. Les remplacements représentent 10 % de son temps de travail, et 20 % de ses revenus. La démarche, de son propre aveu, est «lucrative» : 700 euros la journée en semaine, jusqu’à 1 000 euros un samedi ou un dimanche. Et 500 euros la garde, quand un PH ne touche que 300 euros dans le même temps. De quoi s’attirer des rancoeurs ? «Les PH n’ont pas à être jaloux, libre à eux d’en faire autant s’ils le veulent», répond le Dr Krir. Un conseil toutefois : mieux vaut éviter l’hôpital d’à côté, «pour ne pas risquer d’être reconnu par un patient».
En revanche, le Dr Krir n’a nullement le sentiment d’enfreindre la réglementation en faisant des ménages ici ou là. «Je ne suis pas au courant qu’il existe un tarif à ne pas dépasser. Le directeur d’hôpital et le médecin négocient, ils ont une relation classique de client à vendeur». En clair, l’offre et la demande font loi.
Les médecins libéraux aussi.
L’affaire se présente sous un jour tellement alléchant, qu’elle attire aussi des médecins libéraux. «Une journée à l’hôpital est autant payée qu’en clinique, mais l’avantage, c’est qu’on touche un salaire net tout compris, sans charges à déduire et sans assurance coûteuse», explique le Dr Olivier de Cock, anesthésiste membre du SML (Syndicat des médecins libéraux). Lui aussi ignore l’existence de tarifs réglementaires pour les remplacements hospitaliers de courte durée. «Il est normal que, en situation de pénurie, les gens fassent monter la mise», dit-il. Une façon de se rattraper sur la précarité de l’emploi : «Les intérimaires n’ont ni sécurité de l’emploi ni couverture maladie, fait-il valoir. En plus, ces gens ne font pas grève, et on leur met un maximum de travail sur le dos.»
Ces dernières années, Olivier de Cock a multiplié les remplacements assez courts dans les hôpitaux d’outre-mer. Aujourd’hui, il songe à se réinstaller dans le libéral. Et pourquoi pas à l’hôpital ? «Je n’y ai aucun intérêt, je ne serai repris qu’au 4eéchelon», explique l’anesthésiste. De même, l’urgentiste Naoufel Krir n’envisage pas de faire carrière à l’hôpital. «Ce n’est pas très bien payé, et le travail y est dur; personne n’est intéressé à être PH à long terme aux urgences», dit-il.
L’hôpital, devenu plus attractif que le libéral pour les remplacements, reste donc avec ses postes vacants.
La question du manque d’attrait des carrières hospitalières demeure entièrement posée.
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