L’union sacrée. L’expression est lâchée. En ce début de printemps pluvieux de l’année 2010, les quatre « patrons » des intersyndicales de praticiens hospitaliers, Rachel Bocher pour l’INPH, François Aubart pour la CMH, Roland Rymer pour le Snam-HP, et Pierre Faraggi pour la CPH, ont donné rendez-vous à la presse dans un hôtel du XIVe arrondissement parisien pour dénoncer, comme un seul homme, la mise à l’écart de la communauté médicale dans la bonne marche des établissements de santé. Pour le moins excédés, les syndicalistes médecins s’en sont pris très vivement aux décrets HPST sur la gouvernance hospitalière, qui rognent les uns après les autres les prérogatives des médecins. Un décret, un seul, a mis le feu aux poudres. Il s’agit du décret sur la CME. La raison du courroux ? La CME n’est plus qu’un organe de consultation, dont la composition a été renouvelée1. Tous ses pouvoirs, issus de l’ordonnance du 1er septembre 2005, lui ont été retirés. Jusqu’à la parution de ce décret, la CME participait activement à la nomination des praticiens hospitaliers. Ce ne sera plus le cas, désormais.
Abrogation !
Résultat : les syndicalistes demandent son abrogation sans délai. Une doléance que le ministère de la Santé n’est pas prêt d’honorer : « Le décret sur la CME a été l’un des plus concertés. Jusqu’au passage en Conseil d’État, nous avons continué à faire des réunions avec les syndicats de PH, les conférences, etc. Sur le volet composition, nous avons apporté des adaptations pour les CHU. Quant aux missions, les acteurs réalisent maintenant ce qu’il advient des instances consultatives, et dont la loi ne parle pas, il est vrai. Nous avons rédigé les décrets CME, CTE2, commission de soins infirmiers, en tenant compte des nouvelles prérogatives du directoire. Il s’agit d’une véritable évolution pour la CME, puisqu’elle se repositionne dans des domaines qu’elle ne faisait qu’effleurer. Actuellement, le cœur de son métier, ce sont les carrières médicales, les nominations, etc. Demain, la CME se focalisera sur la qualité et la sécurité des soins. C’est un gros changement pour le corps médical et il n’est pas étonnant que ce soit un peu dur à accepter. En matière de statut, ne reste à la CME que les avis en matière disciplinaire. Mais en amont, si la CME refuse de se prononcer, le directeur reprend la main. Car nous avons connu de nombreux cas où la CME retardait les procédures disciplinaires. Ce ne sera dorénavant plus possible. » Les syndicalistes ne l’entendent pas ainsi. Et, plutôt que de s’en tenir à l’abrogation de ce décret, pestent contre de nombreux aspects de la loi HPST, tout en déplorant la dégradation des conditions de travail dans les hôpitaux. « Que ce soit le décret sur la CME, sur la conférence régionale de santé et de l’autonomie (CRSA), ou sur le DPC3, les textes parus dépossèdent les professionnels de santé de tout pouvoir. Nous sommes bien loin du pilotage médico-économique tel qu’il a été institué par la réforme Mattei en 2005 », regrette Rachel Bocher, de l’INPH. Pour elle, les textes votés ne répondent pas au défi de taille qu’est l’attractivité des carrières dans le public. « En Franche-Comté, 30 % des postes sont vacants ! Croit-on que l’on va inciter les jeunes PH à travailler dans le public avec ce nouveau statut de clinicien hospitalier, nul et non avenu ? » Roland Rymer, président du Snam-HP, s’en prend au concept de communauté hospitalière de territoire (CHT) en craignant qu’il ne soit vidé de son sens, et met en garde le ministère de la Santé au sujet de la délégation de gestion : « Nous attendons le décret concernant le chef de pôle. Et nous voulons une large délégation de gestion ! » Autre sujet qui fâche : les retraites. « Avec la réforme de l’Ircantec, nous accusons une baisse comprise entre 20 et 30 % de nos pensions ! Qui plus est, le problème des hospitalo-universitaires (HU) n’est toujours pas réglé, puisqu’ils ne perçoivent pas de retraite sur leur activité hospitalière. Des textes sont prêts et répondent à ces problèmes, ils doivent être signés avant la fin du mois ! » Pour Pierre Faraggi, président de la CPH, « 80 % des médecins sont indignés par le décret sur la CME », affirme-t-il, fort d’un sondage réalisé auprès des PH par la CPH. Et de menacer : « Nous allons mener des actions déterminées pour le retrait de ce décret. »
« CDD » risible
Dénonçant le statut de clinicien hospitalier, « un CDD risible », François Aubart, président de la CMH, plaide lui pour « une gouvernance participative ». On l’aura compris : l’accalmie entre les médecins hospitaliers et le pouvoir central a été rompu. Rappelons qu’en avril 2009, plusieurs dizaines de milliers de praticiens avaient battu le pavé pour s’opposer à la nouvelle gouvernance issue de la loi HPST. Pour calmer le jeu, le président Nicolas Sarkozy avait expressément demandé aux sénateurs d’amender le texte, après avoir déjeuné en mai avec onze mandarins. Résultat : si les pouvoirs des directeurs sortent confortés par la loi HPST, les présidents de CME participeront également à la nomination et des chefs de pôle, et des praticiens. Un décret du 31 décembre 2009 renforce en effet les prérogatives du président de CME. Que tempère Rachel Bocher : « Quant aux nouvelles prérogatives de vice-président du directoire, c’est de la fumée ! N’oublions pas que le président de CME est élu par la CME. Si l’existence de la CME est menacée comme c’est le cas actuellement, alors le président de CME pourrait fort bien disparaître au profit d’un directeur médical, choisi par la direction. »
Il n’empêche : ce décret fut interprété comme un compromis de dernière minute qui a eu le mérite d’apaiser un temps la grogne des médecins. Un temps seulement… Coté directeurs d’hôpital, l’accueil fait à ces décrets, qui concernent la place des médecins au sein de l’enceinte hospitalière a été plutôt favorable. Même si les avis sont nuancés.
Nominations en « petit comité »
En pointe dans le combat pour une plus grande responsabilisation des chefferies d’établissement, le SNCH ne boude pas son plaisir. « Tout le monde est train de réaliser que les choses changent. Ce n’était pas forcément le cas au moment du vote de la loi, notamment en ce qui concerne le renforcement du pilotage interne des établissements. Le directeur qui a énormément de responsabilités a enfin les moyens de les assumer : il fixe le budget, il participe beaucoup plus à la nomination des médecins. La CME ne joue plus, en la matière, le rôle clé qui était le sien. Les nominations maintenant s’organisent entre les chefs de pôle, le président de CME et le directeur. C’est très important, parce que je pense qu’une assemblée ne peut pas gérer de l’individuel, des ressources humaines », analyse Philippe Blua, président du SNCH. Et, lorsqu’on lui demande s’il comprend la demande d’abrogation du décret CME, sa réponse est sans ambiguïté : « Quelle est la demande ? Veulent-ils à nouveau que la CME gère les carrières individuelles ? Je pense que c’est une mauvaise chose, il faut que cela se fasse en petit comité. » Mais le « camp » des directeurs n’est pas unanime sur la question.
Ligne managériale
Michel Rosenblatt, président du Syncass-CFDT, décrypte, dans la loi HPST, un affaiblissement de toutes les instances collégiales, au profit d’une ligne managériale claire, qui irait du ministre de la Santé jusqu’au directeur d’hôpital, en passant par le directeur d’ARS : « Le décret CME affaiblit le collectif de la CME, en tant que collectif… Ce qui est vrai de la CME est aussi vrai de toutes les instances de concertation au sein de l’hôpital. La CME en est réduite à devenir un CTE bis, le CTE étant l’instance qui avait le moins de prérogatives. Il est clair que l’on veut mettre en place une ligne managériale du ministère jusqu’au directeur d’hôpital, en passant par l’ARS. Il y a un transfert de compétence de l’assemblée délibérante vers le directeur, et une dépendance du chef d’établissement vis-à-vis du directeur d’ARS. Tout est ramené à une ligne managériale. Le dialogue social ne fait plus partie des préoccupations du directeur. » Un constat sévère. D’autant plus sévère que Michel Rosenblatt ne croit pas non plus que le directeur dispose désormais de davantage de marge de manœuvre. « Formellement on peut dire qu’il y a un accroissement des attributions du directeur. Il vote l’EPRD4, mais le déterminant de l’EPRD, c’est l’activité, que le directeur ne contrôle pas… »
Délégation de gestion ?
Dépités, les médecins se raccrochent aux branches ; en l’occurrence la branche a pour nom « chef de pôle ». Attendu avec inquiétude par les médecins, le décret sur l’organisation interne et les pôles devraient redorer le blason de la communauté médicale, à condition que ce décret prévoie une large délégation de gestion. Mais pas seulement : « Il faut de la délégation de gestion, mais aussi une rémunération à la clé. Les chefs de pôle passent la moitié de leur temps à faire du management », ajoute Rachel Bocher. Sur ce point précis, il est fort probable que les chefs de pôle soient satisfaits. Interrogé par Décision Santé, le ministère a précisé que ce décret, pas encore publié au moment où nous mettons sous presse, prévoit « une délégation de signatures. Le décret énumère un certain nombre de matières pour lesquelles directeur et chefs de pôle devront convenir d’une possible délégation. La délégation de signature garantit le caractère opérationnel de ces délégations. Les matières que l’on peut déléguer concernent les petits investissements, la gestion du personnel contractuel, la formation, etc. » De quoi apaiser les médecins ? « Le plus probable, c’est que cela ne change rien. Cette loi a été faite par des gens qui ne connaissent pas l’hôpital conseillé par des gens qui l’ont quitté il y a longtemps. Il faut essayer de faire perdurer la dynamique médico-économique engagée depuis 2005, malgré la loi HPST ! », résume Michel Rosenblatt. Directeur d’hôpital de métier…
2. Comité technique d’établissement.
3. Développement professionnel.
4. Confédération des praticiens des hôpitaux.
5. État des prévisions des recettes et des dépenses.
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