« LA GAZETTE Médicale de Paris », l'un des principaux titres médicaux français du tournant du XXe siècle, s'est ouverte dès 1899 au monde de l'automobile. Cette année-là, le Salon du cycle, ancêtre du Salon de l'auto, se tient dans le jardin des Tuileries. Marcel Baudouin, rédacteur en chef de « la Gazette » et grand passionné de voitures, en présente les nouveautés et invite ses lecteurs à s'exprimer sur le sujet. Dès lors, « la Gazette » va demander régulièrement aux médecins quels sont, pour eux, les caractéristiques de «l'automobile médicale idéale»: elle ne doit être ni trop chère ni trop lourde, et doit privilégier la simplicité, la robustesse et le côté pratique. À cette époque, la plupart des véhicules abordables pour les médecins sont des voiturettes ou des tricycles à moteur, mais, regrette « la Gazette », il n'en existe presque aucune qui réponde vraiment à leurs attentes.
Moins de dix ans plus tard, au contraire, les fabricants rivaliseront d'imagination pour proposer aux praticiens des véhicules adaptés à leurs besoins, avec ou sans chauffeur. La voiture reste chère, mais s'en offrir une, au-delà de l'image de statut social qu'elle donne, peut grandement aider les médecins dans leur travail, surtout à la campagne. En ville, en revanche, expliquent les journaux médicaux dès 1910, les embarras de la circulation entravent l'usage de la voiture ou, alors, il faut avoir un chauffeur, pour ne pas perdre de temps ni s'énerver, déjà, dans les embouteillages !
Que ce soit dans « la Gazette » ou dans d'autres titres publiés ailleurs, en particulier « The Lancet », en Angleterre, et le « JAMA », aux États-Unis, les médecins sont nombreux à dialoguer sur les avantages et les inconvénients de leur voiture respective, mais aussi à se mettre en garde contre certains pièges. Il importe d'éviter certains garagistes particulièrement «forbans», dont les listes sont publiées par ces revues, et il est bon aussi de se former aux rudiments de la technique automobile pour parer aux pannes les plus simples. Le problème des pneus, dont la longévité est très brève, préoccupe les médecins, qui comparent, dans le courrier des lecteurs, les avantages des différents modèles proposés.
Plus hygiénique que le cheval.
Les médecins commencent aussi, dès les années 1900, à s'intéresser aux aspects médicaux de l'automobile. Si la population générale se montre hostile à la voiture jusque vers 1910, voire 1920, en raison de son bruit, de son odeur et de la poussière qu'elle génère sur les routes non asphaltées, les médecins sont beaucoup plus autophiles que leurs contemporains. Pour beaucoup d'entre eux, la voiture est même plus hygiénique que les attelages, car elle règle le problème des déjections des chevaux sur les routes. Elle serait aussi bien moins dangereuse que les véhicules à chevaux, qui causent plus de 1 000 morts par an et de nombreux blessés. D'autres médecins s'inquiètent, eux, des effets de la poussière, mais aussi des «germes et microbes» projetés par les roues lorsqu'ils retombent sur les piétons croisés ou dépassés par les voitures.
En cas d'urgence.
En outre, les médecins commencent à observer d'étonnants changements de comportement chez des conducteurs : certains deviennent agressifs, ou ne vivent plus que pour leur auto. En 1906, un praticien américain se demande dans « JAMA » si «l'automanie, aussi appelée chauffeurmanie, n'est pas en train de devenir une nouvelle maladie se propageant aussi vite que le développement de l'automobile elle-même».
L'automobile peut aussi se révéler très utile en cas d'urgence, comme le raconte avec humour un médecin d'Angers, le Dr Monprofit : en juillet 1898, au cours d'une excursion à la campagne au volant de sa Peugeot, il rencontre par hasard, «au milieu d'un attroupement de commères, un chemineau se tordant sur un tas de pierres au milieu de ses vomissements». Diagnostiquant peu après une hernie étranglée droite, il se résout à l'opération d'urgence dans une ferme voisine, mais ne dispose que d'une petite trousse d'instruments. Il décide alors de laver le champ opératoire avec l'essence du réservoir de sa voiture et flambe ses instruments avec l'alcool servant à allumer les brûleurs. À l'issue de l'intervention, il applique sur la plaie un morceau de carton d'amiante, servant à réparer les joints de la circulation d'eau du moteur. et le malade se remit fort bien de cette intervention. C'est bien la preuve, conclut-il, de l'utilité absolue de la voiture pour un médecin !
Plus rapide que le cheval, l'automobile est aussi un moyen idéal pour transporter les malades et organiser les secours : les toutes premières ambulances automobiles, remplaçant les ambulances tirées par des chevaux, apparaissent à New York au tournant du siècle, une formule très vite adoptée par plusieurs capitales européennes.
L'enthousiasme des médecins pour l'automobile ne se tarira plus, et ils seront au fil des années de plus en plus nombreux à s'équiper, avec plusieurs décennies d'avance sur le reste de la population. Ce n'est qu'après 1910, et surtout après 1920, que les médecins commenceront à porter un regard plus critique sur les voitures et les motos, moins en raison de la pollution qu'elles génèrent qu'à cause des accidents, qui augmentent parallèlement à la progression du nombre de véhicules. Un certain nombre de praticiens, d'ailleurs, trouveront la mort au volant de leur voiture dès cette période, mais il faudra attendre encore de très longues années avant que la sécurité ne devienne une vraie préoccupation pour eux, comme d'ailleurs pour les pouvoirs publics.
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