Les élections en Poitou-Charentes

Des médecins peu engagés

Publié le 23/05/2006
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DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

ILS SONT exactement 3 003 médecins libéraux en Poitou-Charentes (environ 1 800 généralistes et 1 200 spécialistes en 2003, selon les comptes de l’Urcam). Trois mille trois médecins qui cohabitent au sein d’une région paisible et rurale, où la fureur de vivre semble avoir cédé la place à la douceur de vivre.

Dans le département de la Vienne, les deux villes sont Poitiers (87 000 habitants) et Châtellerault (34 000 habitants) ; le reste de la population (près de 300 000 habitants, hormis ces deux villes) se répartit entre petits ou gros bourgs ruraux, et rase campagne. «Faites dix kilomètres en sortant de la ville, conseille le Dr T., jeune généraliste à Poitiers, qui tient à rester anonyme, et vous comprendrez ce que ruralité veut dire.»

Dans la Vienne, selon les médecins eux-mêmes, les problèmes de la médecine libérale ne semblent guère aigus. La PDS est organisée et pacifiée (en moyenne trois ou quatre gardes par semestre), et la démographie médicale, sans être au meilleur de sa forme, n’atteint pas les seuils critiques auxquels elle parvient ailleurs. Au sein-même de l’Urml Poitou-Charentes, les syndicats représentés cohabitent plutôt paisiblement, selon le Dr Philippe Boutin, généraliste à Poitiers, et président Csmf de l’Urml : «Même quand la campagne a commencé, l’ensemble des élus, toutes tendances syndicales confondues, a pu continuer son travail sur le terrain.» Un esprit d’équipe qu’il attribue au fait que l’Urml Poitou-Charentes serait l’une des pionnières en matière de cohabitation syndicale. Ainsi une mission sur la délégation des tâches, et une autre sur la consultation spécifique ados y sont-elles gérées par des élus MG-France, tandis que la section spécialistes de l’Urml est dirigée par un élu SML.

Une certaine langueur.

Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si ce petit paradis médico-rural ne souffrait d’une étrange langueur : le désintérêt des médecins libéraux pour la prochaine élection. Témoin, le Dr Raymond Jaworski, pédiatre depuis plus de quarante ans à Châtellerault. «Leurs listes pour les Urml, je m’en fous complètement! dit-il. Et si je dois voter, je le ferai au jugé.» Même sentiment chez le Dr Michel Suteau, généraliste à La Villedieu-du-Clain : «Je suis allé à deux réunions électorales dans la Vienne, mais ça ne m’intéresse pas, je suis loin de tout ça.» Il reconnaît cependant avoir déjà voté, «à la fois pour un candidat ami, et pour les idées qu’il défend». Retour à Châtellerault, où le Dr Laurence Zai est neurologue : «Les Urml, ça ne me motive pas et je n’en attends rien. Mais je vais voter tout de même car j’ai des confrères amis qui sont candidats.» Certains médecins ont malgré tout quelques idées sur les missions des Urml, et se sentent un peu plus impliqués. A Beaulieu, dans la banlieue de Poitiers, le Dr Anne Coulibaly est généraliste. «Les missions des Urml, je ne les connais pas trop, à part l’EPP et la prévention», reconnaît-elle . Anne Coulibaly regrette que la campagne soit «omniprésente: tous les matins, je reçois des mails et des courriers sur la campagne, et les journaux professionnels en sont pleins. Leur bilan me fait d’ailleurs sourire, car chaque syndicat affirme que le C à 20euros, c’est lui qui l’a obtenu». Si bien qu’elle votera pour une liste «aux propositions raisonnables: comme nous allons tous payer pour le fonctionnement de l’Urml, autant que ses membres me représentent».

De son côté, le Dr Jean-Noël Yollant, otho-rhino à Montmorillon, va «voter par acquis de conscience: il faut voter, car si on ne le fait pas, on laisse la porte ouverte à tous les abus. Je reconnais que la convention signée m’arrange personnellement, car je suis le seul otho-rhino de ma ville et tous mes patients sont en parcours de soins coordonné. Mais beaucoup de mes confrères n’y trouvent pas leur compte». Et les missions des Urml, dans tout ça ? «Nous, médecins, sommes individualistes, et nous ne nous impliquons pas beaucoup, répond-il. Pour ma part, j’attends plus des syndicats que des Urml.»

Cacophonie.

Sur cette génération de médecins désenchantés, le président Csmf de l’Urml, Philippe Boutin, a sa petite explication : «Si les médecins de la région se désintéressent du scrutin, c’est que ça va bien pour eux. Et si ça va bien pour eux, c’est grâce à l’action de l’Urml.» Cqfd.

Et puis, il y a les médecins qui, sans se mobiliser à fond pour ces élections, ont malgré tout leur petite idée sur la question. Pour le Dr T., jeune médecin installé depuis un an à Poitiers, «les élections aux Urml constituent une préoccupation d’une autre génération, prévient-il, si bien que je n’ai pas trop envie de m’y impliquer.Mais elles ont tout de même un intérêt, celui de servir de contre-pouvoir aux décisions du ministère et des caisses». Le Dr T. a le sentiment «que l’Urml est dirigée par des médecins qui décident entre eux, pour eux. Je ne vois pas comment l’Urml pourrait me défendre». Pour le prochain scrutin, il a vite fait le tour des listes en présence : «Je reproche aux syndicats signataires de la convention de l’avoir signée à la va-vite. Ils ont créé un système de plus en plus contraignant pour les libéraux, on ne s’y retrouve plus. Quant aux autres syndicats, je les sens radicaux, leur discours ne m’intéresse pas. Je pense donc que je ne voterai pas.» Un silence, puis le Dr T. lâche à mi-voix : «Au fond, c’est peut-être plus moi qui me désintéresse de l’Urml que l’inverse. Mais le problème, c’est que, entre l’Urml, les syndicats et l’Ordre départemental, on ne sait plus qui fait quoi. C’est la cacophonie.»

Autre lieu, autre jugement. Le Dr Philippe Legrand est généraliste à Saint-Georges-Lès-Baillargeaux. Il assure n’avoir «rien vu de la campagne électorale pour les Urml», mais juge tout de même que «ces élections sont très politisées; l’objectif, c’est d’avoir de l’influence». Mais il votera «pour un syndicat réaliste qui a le souci de l’avenir de la médecine libérale.» Car le Dr Legrand estime que les pouvoirs publics «font tout ce qu’ils peuvent pour dégoûter de la médecine générale». Il en veut notamment pour preuve le moratoire de cinq ans décidé par Xavier Bertrand, qui dispense les patients de pénalités s’ils vont voir un jeune médecin généraliste sans qu’il soit leur médecin traitant : «Les caisses s’en fichent complètement et minorent le remboursement. Les patients ne comprennent plus rien.» Quant à l’abstention à ce scrutin, le Dr Legrand la condamne, même s’il ne se reconnaît pas beaucoup dans l’Urml : «C’est comme la différence entre la maîtrise comptable et la maîtrise médicalisée. La première est faite par les caisses, la seconde par les médecins. Si les médecins libéraux ne se prennent pas en charge eux-mêmes, leur avenir sera géré par les pouvoirs publics et par les caisses.»

L’Urml en chiffres

L’Urml Poitou-Charentes réunit quatre départements : les Deux-Sèvres, la Vienne, la Charente-Maritime et la Charente. Elle est composée de 30 médecins élus, pour 3 003 médecins libéraux électeurs. Elle est présidée par le Dr Philippe Boutin, Csmf, généraliste. Les bureaux des sections spécialistes et généralistes sont respectivement présidés par les Drs Bernard Alliat et Eric Liaud.

Parmi les dossiers et projets en cours, on peut noter :

– « La consultation de prévention tous âges », un outil d’aide à la réalisation de consultations de prévention.

– Asalee (Action de santé libérale en équipe), un projet de délégation de tâches en médecine générale, notamment par la mise à la disposition de cabinets de groupe expérimentaux, d’une infirmière de santé publique.

– Micado, ou comment veiller à la santé de l’adolescent. Un groupe de médecins généralistes conduit par l’Urml a conçu et testé un outil d’aide à la réalisation d’une consultation de prévention spécifique à l’adolescent.

Les listes déposées pour ce scrutin sont les suivantes :

– Collège des généralistes : Csmf, FMF, MG-France, SML.

– Collège des spécialistes : Csmf, FMF, SML.

> HENRI DE SAINT ROMAN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7966