CERTES, IL NE S’AGIT PAS d’un sondage en bonne et due forme. Il n’en reste pas moins que la grande consultation nationale lancée fin 2005 par la Fédération des médecins de France (FMF, non signataire de la convention) auprès de l’ensemble des médecins libéraux (123 273 questionnaires envoyés, 8 218 réponses traitées) donne une photographie édifiante de la population médicale libérale au début de 2006 et permet de cerner au plus près l’opinion et les aspirations de ces praticiens (1).
Comment perçoivent-ils leur métier ? Comment jugent-ils la convention ? Quelle est la vision de leur avenir professionnel et quelles solutions pour l’améliorer ? Dans ces trois grands chapitres passés au crible du questionnaire de la FMF (pour un coût global de 85 000 euros), les réponses dessinent un corps médical en proie au doute, souvent inquiet des réformes qui se succèdent à un rythme effréné (médecin traitant, nouvelle nomenclature technique, évaluation, DMP...) mais qui, paradoxalement, est prêt à accepter de nouvelles mutations. Etat des lieux.
Métier: une perception initiale idéalisée. Interrogés sur leur perception de l’exercice, les médecins libéraux envoient un message instructif : 71,6 % de ceux qui ont répondu n’ont pas le sentiment d’exercer leur métier tel qu’ils l’imaginaient durant leurs études. Seul un cinquième d’entre eux (et 15 % des femmes !) estiment que la réalité du métier est fidèle à l’image qu’ils en avaient en tant que carabins. Même si les protestataires et les déçus répondent plus volontiers, une forme de discordance existe entre la réalité de la pratique quotidienne et la perception initiale (idéalisée ?) du métier. La FMF estime que ce décalage soulève «le problème grave de la démographie et de la crise des vocations» et traduit sans doute un certain «mal-être» professionnel.
Si la réalité de la pratique ne correspond pas forcément aux espérances, quels sont les obstacles à l’exercice d’une médecine idéale ? Les libéraux répondent par ordre d’intérêt (voir diagramme) «les contraintes économiques du pays» (26 %), les «conditions matérielles d’exercice» (22 %) devant la «pression excessive des caisses»,le «statut libéral du médecin», le «comportement des patients»,le «risque médico-légal» et « la disponibilité en temps».
Avenir: pour des honoraires moins encadrés. Corollaire de leur perception du métier, les libéraux réclament d’abord, pour améliorer leur exercice, des «moyens financiers supplémentaires» (37 %). Paradoxe : un nombre non négligeable de médecins (un quart des réponses traitées) estiment qu’un statut «différent» (salariat, capitation ou autre) pourrait augmenter la qualité de l’exercice.
Certains piliers de l’exercice libéral pourraient-ils être remis sur la table ? Si certains points ne sont pas négociables (secret professionnel, liberté de choix du médecin, liberté de prescription), les réponses des libéraux sont moins tranchées sur le paiement à l’acte et, surtout, la liberté d’installation qui n’apparaît plus comme un dogme intangible. Ce dernier point est une «grande surprise» pour la FMF... même si les jeunes médecins (donc les premiers intéressés) seront moins enclins à ouvrir ce débat que leurs aînés. Plus précisément interrogés (sous forme de réponses suggérées) sur les solutions pour leur avenir professionnel, les médecins citent en premier lieu (40 %) la création d’un «système d’honoraires libres et modulables ouverts à tous» (proposition récurrente de la FMF...) devant la diversification des modes de rémunération(15 %) à égalité avec la réouverture du secteur II.
Faut-il y voir un signe ? La «fonctionnarisation» est citée dans 8 % des réponses comme une solution d’avenir alors que l’exercice hors convention (parfois agité par certains) recueille deux fois moins de suffrages.
Convention et réformes: malaise et attentisme. Même si les réponses doivent ici être analysées avec prudence (la formulation de certaines questions induisant un biais négatif), l’enquête confirme au minimum les inquiétudes à l’égard de la convention et, au-delà, des principales réformes en cours.
Certaines modalités du médecin traitant restent mal perçues. Seuls 36 % des libéraux jugent que la pénalisation des patients «hors parcours» est une bonne décision. Une majorité de médecins (63 %) ne croient pas que les objectifs d’économies régionalisés (dans le cadre de la maîtrise médicalisée) permettront d’optimiser leurs prestations. Sans surprise, l’immense majorité des libéraux (85 %) jugent que les efforts demandés (prescriptions, protocoles, référentiels...) ne sont pas équitablement partagés avec l’hôpital. Pour la FMF, ce sentiment d’injustice du monde libéral est même «un des éléments majeurs du malaise».
Les autres grandes réformes récentes de l’exercice ne suscitent pas d’adhésion massive. Si une (courte) majorité de libéraux estiment désormais que la télétransmission est une évolution «souhaitable»,ils n’épargnent pasla nouvelle nomenclature technique (la Ccam est «critiquable» pour 48 % d’entre eux, «inacceptable» pour 25 %).
Sans doute, faute de lisibilité, les chantiers du dossier médical personnel (DMP) et de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) laissent les médecins perplexes (en témoigne le grand nombre de « sans avis »). Du moins le gouvernement pourra-t-il se réjouir du faible pourcentage de rejet de ces deux réformes puisque 15 % des médecins libéraux considèrent que le DMP est une évolution «inacceptable» (11 % pour l’EPP).
(1) La société de marketing Réponse Directe a assuré le traitement informatique et statistique de cette enquête. A noter que les hommes sont surreprésentés dans l’échantillon (76 %). Les 46/60 ans représentent 67 % des réponses, les généralistes 44 %, les spécialistes 47 % et les MEP 6 %. Les médecins qui ont répondu exercent majoritairement en milieu urbain (61 %) ou semi-urbain (23 %) et en secteur I (72 %).
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