LE DECRET daté du 23 août 2005 (1), qui instaure un dispositif de pénalités financières graduées jusqu'à 5 000 euros contre les professionnels de santé, assurés, établissements de santé ou employeurs auteurs d'abus ou de fraudes à l'assurance-maladie, provoque une nouvelle poussée de fièvre dans le monde médical.
Malgré les explications de la Cnam sur le caractère « très minoritaire » (1 %) des pratiques ou comportements frauduleux des assurés et des médecins susceptibles de faire l'objet de contrôles ciblés et de sanctions financières (« le Quotidien » du 14 novembre), quelque deux cents praticiens « de toutes opinions, hospitaliers, libéraux, généralistes et spécialistes » lancent un appel aux « confrères, aux syndicats médicaux et aux conseils de l'Ordre » pour exiger le retrait de ce décret. L'Association médicale de défense de la déontologie et des droits des malades (Amdddm), créée en 1990 et qui dit représenter 1 200 médecins, soutient ces praticiens « sans réserve » et a déposé un recours en Conseil d'Etat pour l'annulation du décret.
Délivrer les soins les plus appropriés à chaque patient.
Président de cette association, le Pr François Guérin précise qu' « il ne s'agit pas d'une action corporatiste », qui refuserait par principe toute politique de contrôle de l'assurance-maladie. Mais bien d'un combat « dans l'intérêt du malade » pour que soit respecté le cœur du métier de médecin et le code de déontologie médicale : article 8 sur la liberté des prescriptions les plus appropriées, article 32 sur la délivrance de soins consciencieux fondés sur les données acquises de la science, article 103 sur le médecin chargé du contrôle qui ne doit pas s'immiscer dans le traitement, etc.
Pour le Pr Guérin, ce décret « comptable » sur les pénalités « bafoue l'éthique » puisqu'il vise à « réduire les dépenses » (indues), ce qui ouvre la porte, affirme-t-il, à toutes les « extrapolations dangereuses ».
Par exemple, l'obligation pour les médecins (sous peine d'amendes) de mentionner systématiquement les éléments médicaux justifiant les arrêts de travail ou de transport, mais aussi de prescrire aux patients en ALD un traitement « en conformité » avec le protocole, constituerait non seulement une « violation » du secret médical mais entravera dans de nombreuses situations la liberté souveraine de prescrire « en conscience » certains soins ou traitements appropriés. Pour le président de l'Amdddm, il est impossible pour un médecin d'appliquer uniformément à tous les malades une « thérapeutique standard », car « il n'existe pas de malade moyen, de malade-type ». Le décret, ajoute-t-il, « enferme les médecins dans un carcan » et créé les conditions d'une « médecine au rabais » en obligeant les professionnels à « restreindre les examens complémentaires, les thérapeutiques ».
Le cas des exercices particuliers.
Plusieurs médecins témoignent de la difficulté d'exercer leur métier dans ce contexte d'encadrement des prescriptions et d'enveloppes budgétaires fermées. « La Cnam a créé en son sein une direction de la répression des fraudes, constate ce praticien, à juste titre. Quelle rapport avec les médecine ? On nous demande de remplir les bonnes cases pour le médecin traitant, de renseigner le dossier médical, de respecter les protocoles, demain il faudra mentionner sur la feuille de soins si le malade mange des légumes, et quoi encore? » Pour ce médecin, la « relation avec le malade est altérée » par des dispositions qui « pénaliseront » les patients « les plus lourds et les plus vulnérables ».
La forte pression de la Cnam pour que les médecins respectent strictement la réglementation sur l'ordonnancier bizone dans le cadre de la prise en charge des patients en ALD (en distinguant ce qui relève du remboursement à 100 % et du droit commun) est également mal vécue. « Prescrire dans la case 100 % pour des patients âgés, qui ont une retraite très faible, une pension d'invalidité relève-t-il de la fraude? », interroge un médecin.
Le Dr Bui, médecin généraliste acupuncteur à Paris, met l'accent sur un autre « effet pervers » du dispositif : l'obligation, toujours sous peine de pénalités, de mentionner le caractère non remboursable des actes et prestations. « De nombreux acupuncteurs ou rhumatologues ont un exercice qui s'écarte des AMM (autorisation de mise sur le marché) ou qui n'entre pas dans les indications des protocoles. Seront-ils sanctionnés ? »
Une inquiétude partagée par ce praticien hospitalier, hématologue, qui craint lui aussi une remise en cause de sa liberté de prescription pour certains traitements particuliers. Ou encore par ce psychiatre qui rappelle que les pratiques, dans sa discipline, « ne sont pas formatables ».
Reste à savoir si cet appel trouvera un écho dans la profession. Quant aux syndicats médicaux, si certains ont fait pression pour amender le décret antifraudeurs avant sa publication (pour que la procédure soit plus équitable, contradictoire, susceptible de recours...), ils veulent juger sur pièces et n'exigent pas pour l'instant l'abrogation du nouveau dispositif.
(1) Décret « pénalités » publié au « Journal officiel » du 25 août 2005.
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