Ils ont beau s'en défendre, médecins et pharmaciens ne s'aiment pas toujours... Aimable courtoisie ou indifférence hautaine laissent bien souvent la place aux spasmes d'une relation tumultueuse, ombrageuse, voire totalement conflictuelle.
« Schéma dépassé », s'insurge le Dr Alain Aubrège. « Préjugé d'un autre temps », confirme Jean-Marie Cordier. Tous deux sont nancéiens ; l'un généraliste, l'autre pharmacien. Ils ont créé, il y a deux ans, l'association Pharmaciens et Médecins de Lorraine (PML), qui s'est fixé comme objectif « de promouvoir la collaboration entre les deux professions, dans le but d'élaborer des actions d'information et de recherche ».
Aujourd'hui, au terme d'une réflexion de plusieurs mois, l'association a mis sur pied le protocole d'une vaste étude, « première du genre en France », précise le Dr Alain Aubrège, destinée à améliorer l'observance du traitement de la dépression ; mais aussi à évaluer l'intérêt de la coopération du médecin généraliste et du pharmacien d'officine, pour une meilleure information des malades dépressifs. L'antidépresseur choisi est la fluoxétine.
Pourquoi avoir opté pour un traitement antidépresseur ? « Parce que c'est sur ce type de traitement que le respect de l'observance laisse le plus à désirer », explique Jean-Marie Cordier, secrétaire général de PML. « Mais aussi parce que le suivi d'un malade dépressif est plus aisé que celui d'un hypertendu. » De plus, un lien a pu être établi entre le défaut d'observance du traitement et la rechute ou récidive de l'état dépressif*.
Les quelque soixante adhérents de l'association PML, médecins et pharmaciens, ont, bien sûr, déjà été informés du projet. Les dernières séances de formation à la méthodologie de l'étude auront lieu en mars.
« Seule petite difficulté de mise en route, reconnaît le Dr Aubrège, les médecins, beaucoup plus souvent sollicités que les officinaux, ont été un peu plus difficiles à recruter. D'autant que, fait rare, l'étude n'est pas sponsorisée... »
Vingt médecins et quarante pharmaciens participeront à l'étude.
Une méthodologie rigoureuse
Sur le plan méthodologique, le rôle du Pr Jean-Dominique de Korwin, coordonnateur du comité scientifique, a été prépondérant. « Il a apporté son expérience universitaire et hospitalière », tient à souligner Jean-Marie Cordier. L'étude, de type comparative, randomisée en simple aveugle, inclura quatre groupes de patients (une centaine par groupe) définis selon le niveau d'information délivré par les professionnels : un groupe témoin profitera des pratiques habituelles des médecins et pharmaciens, deux groupes recevront une information supplémentaire soit de leur médecin, soit de leur pharmacien (l'autre professionnel pratiquant classiquement), et enfin un quatrième groupe bénéficiera de la double information médecin/pharmacien.
En pratique, cette information consistera en un entretien codifié (message plus questionnaire) délivré par le pharmacien ou le médecin aux jours J0, J14, J28, puis tous les mois (entretien de remotivation allégé), jusqu'au terme de l'étude. Avec l'accord des patients qui auront signé le protocole d'inclusion à l'étude, les professionnels instruiront un cahier d'observance qui servira de base à l'analyse des résultats.
« Pour garantir la rigueur de l'étude et éviter tout risque de compérage, les patients volontaires ne seront pas dirigés par les médecins vers un pharmacien particulier. Le surnombre de pharmacies participant au projet (deux pharmacies pour un médecin) devrait limiter la "perte" de sujets-test », souligne Jean-Marie Cordier.
Au total, par cette étude qui a reçu la « bénédiction » des Ordres professionnels, le président de PML espère bien « valider l'efficacité de l'information délivrée par les médecins et les pharmaciens, et surtout montrer que l'association des deux messages amplifie la portée de ces messages au profit de l'observance, et, finalement, des patients ».
L'étude « Observance du traitement antidépresseur par fluoxétine » devrait débuter en avril. Les premiers résultats sont attendus pour octobre.
* Melfi, Arch Gen Psy, 1998.
Pour tout renseignement, vous pouvez contacterl'association PML : 16, rue Montesquieu 54000 Nancy, ou Jean-Marie Cordier au 03.83.28.44.66, ou le Dr Alain Aubrège au 03.83.28.28.01.
Première thèse soutenue par un duo médecin-pharmacien
Pour la première fois en France, une thèse de médecine et de pharmacie devrait être présentée à « deux voix » sur un même thème et en un même lieu. Deux étudiantes nancéiennes, l'une future médecin, Nathalie Coquet, l'autre futur pharmacien, Agnès Charlon, suivent en effet de près la réalisation de l'étude organisée par l'association PML. « Une fois l'étude terminée, et si tout se passe bien, modère le Dr Alain Aubrège, elles pourront soutenir leur thèse devant un double jury composé de médecins et de pharmaciens... dans douze ou dix-huit mois. »
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