« AU COURS de missions dans des villages, je voyais de nombreux épileptiques considérés comme contagieux. Ils étaient exclus, marginalisés, mangeaient à part. Beaucoup pensaient que cette maladie était due à la sorcellerie ou à une malédiction. L'entourage avait peur de les approcher », se rappelle le Dr Karamoko Nimaga. Alors assistant de recherche dans le programme OMS contre l'onchocercose, il ne pouvait se pencher sur cette maladie. Aujourd'hui installé comme médecin de campagne, il est l'un des moteurs du réseau recherche-action en épilepsie mis en place à l'initiative de Santé-Sud et de l'Association des médecins de campagne maliens qu'il préside. Le réseau est également soutenu par les facultés et CHU de Bamako et de Marseille.
Le Dr Nimaga insiste d'abord sur l'importance de développer une médecine rurale, seule capable d'assurer le suivi des patients chroniques. « Il fallait réparer une injustice : la population rurale, qui constitue 70 % du Mali, a droit à des soins médicalisés : l'installation de médecins de campagne permet d'enlever du sous-développement », explique-t-il, tout en soulignant que cette nouvelle organisation de santé en dehors des grandes villes permet aussi de « réduire un gâchis » : celui des 200 à 300 médecins formés chaque année à grands frais par le pays et qui, faute de postes dans les hôpitaux, restent au chômage ou sont obligés de s'exiler.
C'est pour cela que, depuis plusieurs années, l'association Santé-Sud met en place, avec les intéressés, un programme d'aide à l'installation de médecins de campagne (voir encadré). De cette façon, quatre-vingts généralistes ont déjà pu ouvrir un cabinet de brousse dans différentes régions du Mali. Réunis au sein de l'Association des médecins de campagne, ils définissent leurs priorités d'action et suivent des formations continues régulières, en épilepsie notamment.
Une forte prévalence.
« La médecine moderne a permis à l'épileptique d'être un patient comme un autre, mais pas dans les pays en développement où le taux de prévalence brute de la maladie est pourtant de trois à dix fois supérieur à celui des pays industrialisés », explique le Dr Guy Farnarier, chef de service de neurophysiologie à l'hôpital Nord de Marseille et membre du conseil d'administration de Santé-Sud, responsable de ce programme épilepsie. Il cite les facteurs de risque liés au climat tropical, à la consanguinité, à la périnatalité, aux traumatismes et surtout au niveau économique et à la sous-médicalisation qui favorisent des maladies secondairement épileptogènes.
La prise en charge actuelle de l'épilepsie est effectuée dans les régions de Baguineda et de Tyenfala, d'accès difficile. Elle a été précédée d'enquêtes anthropologiques destinées à cerner les aspects culturels de la maladie, puis d'une enquête épidémiologique d'abord menée dans dix-huit villages. Ce qui a permis d'élaborer un protocole de soins adapté. Tout commence par l'information des patients, des familles et des responsables de village et se poursuit avec l'approvisionnement régulier en phénobarbital générique (choisi pour son bon rapport efficacité-prix et son large spectre) et le suivi régulier des patients. Les médecins qui avaient commencé avec une soixantaine de patients épileptiques enregistrent maintenant 560 cas et constatent une montée en puissance progressive dans les 34 villages concernés.
Le miraculé.
Ils ont ainsi vu sortir des malades ignorés de tous. Le Dr Farnarier cite notamment le cas d'un jeune homme d'une trentaine d'années, épileptique depuis l'âge de 7 ans et qui vivait enfermé dans une case pestilentielle, ravitaillé par son frère qui était son seul contact. Un comprimé quotidien de 100 mg de phénobarbital a permis de maîtriser ses crises. Il se consacre désormais à la culture des oignons, il va se marier et le village l'a surnommé « le miraculé ».
Une autre malade, répudiée par son mari pour cause d'épilepsie, a pu se remarier et avoir des enfants. Des enfants traités retournent à l'école, des jeunes filles se marient. Les fiches individuelles de suivi, très complètes, remplies depuis trois ans pour permettre une exploitation épidémiologique, montrent une observance « correcte » du traitement chez 80 % des patients et la disparition des crises chez 60 % d'entre eux.
La médecine traditionnelle (avec laquelle s'est installée une « coexistence pacifique ») demandait de coûteux sacrifices de moutons et de taureaux. Peu à peu, les familles ruinées se sont tournées vers les traitements qui faisaient leurs preuves à moindre coût. Après trois ans de gratuité due à des sponsors, parmi lesquels l'institut Aventis, qui a fourni le phénobarbital, la charge pour les malades a été fixée à l'équivalent de 0,5 euro par mois, ce qui semble compatible avec le pouvoir d'achat de cette population. Reste à convaincre de poursuivre le traitement à long terme, lorsque les symptômes ont disparu.
Un modèle pour d'autres maladies chroniques.
« Tout a été possible car ils ont eu confiance dans notre démarche : un médecin qui connaît chaque famille, se rend chez eux d'abord tous les mois, puis de façon plus espacée mais régulière pour qu'il n'y ait pas de rupture thérapeutique », constate le Dr Nimaga. « Pour toutes sortes de raisons, la prise en charge des maladies chroniques est difficile en Afrique, mais cette expérience montre que le médecin de campagne est en mesure de changer cette situation », estime-t-il.
Une expérience qui sert de modèle pour d'autres maladies chroniques invalidantes comme le diabète et l'hypertension (pathologies émergentes du fait de l'allongement de l'espérance de vie) ou le VIH, pour lesquelles d'autres médecins de campagne commencent aussi à créer des réseaux.
140 parrains français
Pour aider les médecins maliens à ouvrir un cabinet en brousse (souvent dans le cadre d'un centre de santé communautaire, qui ne dispose que d'un d'infirmier ou d'une matrone), l'association Santé-Sud leur procure un « kit » d'installation comprenant du petit matériel médical, une première dotation en médicaments de premier recours, une installation solaire pour faire fonctionner un éclairage et un frigo à vaccins, une moto pour faire la tournée des villages, des revues et livres médicaux.
Pour financer ces « aides au démarrage », Santé-Sud propose aux médecins français de parrainer leurs confrères maliens en versant à l'association la valeur d'une ou deux consultations par mois. Des échanges sont également organisés, permettant à des médecins français de participer aux activités de leur confrère ou consœur de brousse pendant une ou deux semaines, puis de l'accueillir dans leur cabinet de ville ou de campagne. L'expérience semble montrer que la plupart des Français apprennent surtout des gestes de médecine clinique et les Africains surtout un mode d'organisation, mais tous évoquent la richesse d'échanges humains qui se prolongent au-delà du voyage.
Information : www.santesud.org, santesud@wanadoo.fr, tél. 04.91.95.63.45.
Tableau d'honneur
La recherche-action sur l'épilepsie lancée par Santé-Sud a été primée par la Société française de neurologie, « en reconnaissance de la contribution que les Drs Guy Farnarier et Karamoko Nimaga ont apporté à la lutte contre l'épilepsie ».
FMC bien adaptée
Les discussions, lors d'un premier séminaire organisé à Bamako, ont permis de mettre en place une formation rapide mais efficace en épileptologie pour des médecins de campagne non spécialisés en neurologie : quatre journées d'enseignement interactif, avec enregistrements vidéo de crises, planches d'EEG et discussion de cas cliniques concrets, suivi d'une mise en pratique lors de consultations en conditions habituelles.
Un séminaire avec des spécialistes maliens et français réunis à Bamako actualise les connaissances thérapeutiques des médecins du réseau tous les six mois.
Des réunions régionales de l'Association des médecins de campagne maliens permettent un partage de connaissances tous les trois mois.
Le réseau épilepsie a démarré avec six médecins de campagne particulièrement motivés, qui vont être rejoints par cinq autres. Chacun de ces pionniers devrait former ensuite d'autres confrères, de façon que les quatre-vingts médecins de campagne actuels et ceux qui attendent de s'installer soient tous opérationnels en matière d'épilepsie d'ici à trois ans.
Le même schéma de formation commence à être mis en place pour d'autres maladies chroniques.
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