Des Martiens au H5N1, les psychoses collectives font la une

Publié le 22/03/2006
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C’EST UN CAS d’école, comme on dit, immanquablement mentionné lorsqu’il s’agit d’évoquer les phénomènes de psychose collective. Qui n’a pas à l’esprit ce scénario de folie bien réelle venu se greffer, par une nuit d’avant-guerre, sur un roman de science-fiction, oeuvre de H. G. Wells ? Malgré des avertissements très explicites au début et à la fin de l’émission diffusée sur la radio CBS, et en dépit des annonces en bonne et due forme publiées dans la presse, en particulier dans le « New York Times », les habitants de Boston auraient été victimes d’une panique collective en entendant la voix d’Orson Welles lire au micro un bulletin exceptionnel : «Le professeur Smith a observé il y a quelques instants une explosion d’une intensité peu commune sur la planète Mars. Demeurez à l’écoute de ce poste. Nous vous transmettrons les plus récents développements de cette nouvelle au fur et à mesure qu’ils nous parviendront.»

C’est ensuite l’escalade dans l’horreur. Une grosse météorite est tombée dans le New Jersey. L’équipe envoyée sur place annonce qu’il s’agit en fait d’un vaisseau spatial. Mais voilà que des Martiens en sortent. Ils commencent à trucider tout ce qui bouge à l’aide d’un rayon de la mort. On entend des cris de terreur, des hurlements à la mort.

L’interprétation et les bruitages du Mercury Theatre déclenchent instantanément un phénomène de masse. Les gens descendent dans les rues, se réfugient dans les églises, en proie à une angoisse de fin du monde.

Dans ses éditions du lendemain, le « New York Times » raconte des scènes terribles : comme l’histoire de cet homme qui retrouve son épouse paniquée dans la salle de bains, une main sur un flacon de poison, l’autre sur le syntoniseur d’un poste de radio. Elle aurait avalé le poison, n’eût été l’intervention du mari. La dame, explique-t-elle, préférait mourir plutôt que de se faire violenter par les Martiens… Voitures filant à 120 à l’heure dans les deux sens, campagnards se précipitant à la ville et citadins fuyant vers la campagne, suicides, jambes cassées, fausses couches, invasions massives des hôpitaux et des commissariats de police, la psychose collective aurait duré une douzaine d’heures avant que la ville ne recouvre son rythme habituel. Et même, on raconte que des sauveteurs avaient dû se rendre plusieurs semaines plus tard dans les montagnes du Dakota pour libérer des réfugiés toujours sous l’effet de la terreur.

Overdose d’information.

Dans le genre phénomène de masse, on n’a pas fait mieux. L’événement consacra la légende et la gloire d’Orson Welles, tant il est vrai que notre monde réserve un traitement privilégié à ceux qui savent lui faire peur.

Dans son livre « Overdose d’info »*, le Pr Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie à la faculté de médecine de Paris VII et chef de service à l’hôpital Bichat et à Perray-Vaucluse, démonte les rouages du mécanisme qui fait trembler les foules au gré de l’actualité. «La névrose collective d’aujourd’hui, observe-t-il, porte sur l’actualité, l’information et les prévisions pessimistes. La planète va de travers, court à sa perte, fonce vers le terrorisme, le réchauffement climatique et le chômage de masse. Les titres d’actualité alimentent un nouveau syndrome, l’overdose d’information. En une semaine, nous trouvons de quoi justifier une année d’angoisse.»

Et le PU-PH d’inventorier les sujets de ces peurs nourries collectivement sur la Terre malade de la surproduction, la crise des fanatismes religieux, les polluants cancérigènes.

La contagion a aussi gagné les rayons alimentaires. Dans les années 1990, la crise de l’encéphalopathie spongifome bovine (ESB) a provoqué l’effondrement des ventes aux rayons boucherie, malgré les dispositifs de sécurité drastiques mis en oeuvre à tous les maillons de la chaîne, de la fourche à la fourchette. C’est maintenant le poulet qui défraye la chronique. Un foyer contaminé par le H5N1 dans un élevage de l’Ain aura suffi pour que le marché avicole français enregistre un effondrement de 30 % de ses ventes, foin des adjurations officielles et des explications scientifiques sur l’absence de tout danger de contamination alimentaire. L’obsession du danger imminent, la logique de l’hypocondrie médiatique est plus forte que tout. Sans doute, explique le Pr Lejoyeux, «parce que l’actualité est devenue une sorte d’exutoire de nos angoisses les plus intimes, les plus secrètes, avec un mode d’expression collectif. Bien sûr, les médias ont leur part de responsabilité dans ce jeu du pire qui consiste à grossir les nouvelles en apparence banales et à envisager les conséquences les plus graves. C’est comme si le public était captivé par une actualité déchiffrée comme un roman policier».

Le traitement des névroses médiatiques.

Pour guérir des névroses médiatiques, l’auteur propose divers exercices : ne pas appliquer immédiatement à sa situation les actualités médicales, trouver une compensation dans une autre passion, décrocher de l’info dure en passant par l’histoire, passer de la position de spectateur pétrifié d’angoisse à celle d’acteur de l’actualité, lire le journal de la veille (pour ne plus être pris dans l’angoisse du présent).

Voilà de sages prescriptions face à des périls essentiellement imaginaires. Mais la question reste posée de la gestion des peurs collectives en présence d’un péril bien réel. Par exemple, en cas de pandémie aviaire déclarée chez l’homme, «comment préserver la confiance indispensable lorsqu’un désastre suscite terreur et accablement, demande Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à la faculté de médecine de Paris-XI ? Comment déjouer les stratégies du pire, éviter que l’état d’exception justifie les arbitraires? Comment envisager une pédagogie de la responsabilité?».

Bref, comment prendra-t-on en charge cette seconde pandémie que sera la psychose collective ?

* Editions du Seuil, 200 pages, 19 euros.

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7925