L'arthrose est une affection locale, touchant une ou un petit nombre d'articulations. Son évolution est chronique, sans stigmates biologiques généraux. Les signes radiographiques n'apparaissent que tardivement, après une longue évolution infraclinique. Pouvoir déterminer les prémices de l'arthrose, bien avant l'apparition des premiers signes cliniques, est un espoir nourri de longue date ayant motivé de nombreuses recherches. Celles-ci se sont heurtées à plusieurs difficultés, ne serait-ce que par le fait que le dosage sanguin ou urinaire d'une substance issue de l'articulation et ayant « voyagé » de la synoviale à la circulation systémique via le système lymphatique ne peut qu'être le reflet imparfait de la destruction cartilagineuse. De plus, il existe dans l'arthrose une participation cartilagineuse, mais aussi synoviale et osseuse. Les marqueurs supposés se trouvent en faible quantité et reflètent le métabolisme cartilagineux en général, c'est-à-dire celui des articulations mais aussi celui d'autres localisations (côtes, oreilles, etc.), occasionnant un « bruit de fond » perturbant. Enfin, il existe d'importantes variations d'un sujet à l'autre.
Néanmoins, deux pistes intéressantes se sont ouvertes ces dernières années. Celle de la combinaison de plusieurs marqueurs et celle de l'élargissement de la palette des marqueurs aux différentes structures impliquées : cartilage, synoviale et os sous-chondral.
L'utilisation de ces marqueurs potentiels pourrait, elle-même, avoir un triple objectif : le diagnostic précoce de la maladie avant l'émergence des signes cliniques ; la prédiction du risque de progression avec, dans ce cas, un rôle pronostique, et, enfin, l'évaluation des traitements anti-arthrosiques à visée chondromodulatrice.
Le Pr Bernard Mazières (Toulouse) a présenté à cet égard des résultats très intéressants obtenus grâce à la cohorte des 507 coxarthrosiques ayant participé à l'étude ECHODIAH qui a comparé, sur une durée de trois ans, la diacerhéine à un placebo, en utilisant des critères radiographiques. Cet essai, qui a montré une différence significative en faveur du produit actif, a bénéficié de deux extensions. En premier lieu, les malades ont continué à être suivis après la fin de l'étude, cliniquement et radiologiquement, de façon à reconstituer une cohorte pour l'histoire naturelle de la maladie au long cours. Une deuxième initiative a été de constituer une sérothèque et une urinothèque grâce à des prélèvements effectués au début et à la fin de l'essai, afin de pouvoir doser différents marqueurs.
Dix marqueurs ont été évalués :
- deux reflétant le métabolisme osseux dans les urines, le C-terminal cross-linking-telopeptide du collagène de type I ou CTX-I, et, dans le sang, le N-propeptide du collagène de type I ou PINP ;
- deux reflétant le métabolisme du cartilage dans le sang, la cartilage oligomeric matrix protein ou COMP, et, dans les urines, le CTX-II ;
- deux marqueurs sériques reflétant le métabolisme synovial, l'acide hyaluronique et le N-propeptide du collagène de type III ou PIIINP ;
- trois marqueurs sériques reflétant le métabolisme du cartilage et de la synoviale, YKL40, la métalloprotéase de type 1 ou collagénase (MMP1), et la métalloprotéase de type 3 ou stromélysine (MMP3) ;
- la C-réactive protéine ultrasensible, en tant que marqueur non spécifique d'inflammation.
Dans une première étude transversale, menée auprès de 376 patients par P. Garnero et coll., avec analyse en composante principale, le CTX-II, le PINP et le CTX-I se sont révélés être un reflet de la dégradation cartilagineuse et du remodelage osseux. La COMP, le PIIINP et l'acide hyaluronique « marquaient » plutôt la synoviale, tandis que la CRP ultrasensible et YKL40 étaient des indicateurs d'inflammation systémique. Seules les métalloprotéases 1 et 3 n'ont pu être classées dans un compartiment particulier.
Après ajustement sur l'âge, le sexe et l'indice de masse corporelle, des corrélations significatives ont été mises en évidence : entre douleur et CTX-II et CRP, d'une part, et entre inflammation articulaire et COMP, d'autre part. De plus, les signes radiographiques de coxarthrose étaient d'autant plus importants que le taux de CTX-II était élevé.
Un deuxième travail, mené auprès des 333 patients dont les dossiers étaient complets, avait pour objectif d'étudier les capacités prédictives de ces marqueurs sur le pincement articulaire. Il a confirmé que le sexe féminin, l'âge supérieur ou égal à 66 ans, une impotence fonctionnelle et l'existence d'un interligne articulaire inférieur à 2 mm constituent des facteurs prédictifs de progression radiographique de la maladie. L'ensemble de ces paramètres cliniques et radiologiques ne permettait toutefois d'expliquer que 9 % de la variabilité de la progression radiographique. En analyse multifactorielle, il est apparu que deux marqueurs biologiques, le CTX-II et l'acide hyaluronique, prédisent significativement la progression.
Plus simplement, les sujets dont les taux de CTX-II et d'acide hyaluronique se trouvaient dans le tertile supérieur avaient un risque de progression radiographique multiplié par 3,73 par rapport aux patients dont les valeurs se situaient dans les tertiles intermédiaire et inférieur.
Au total, les données issues de la cohorte ECHODIAH, la plus importante étudiée à ce jour, suggèrent l'intérêt prédictif de certains marqueurs biologiques, dans l'arthrose. Pour l'instant non utilisables en médecine de ville, les dosages de ces marqueurs pourraient bientôt être inclus dans les protocoles d'essais thérapeutiques.
D'après un entretien avec le Pr Bernard Mazières (Toulouse).
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