QUI VOUDRAIT SINCEREMENT voter dans le cadre d'un référendum sur l'adhésion de la Turquie à l'UE avant un autre référendum sur la Constitution européenne ? Qui, de surcroît, voudrait que cette consultation nationale ait lieu avant le 17 décembre, date où le Conseil intergouvernemental européen prendra sa décision sur la Turquie ?
Ce n'est pas du tout que la question ne soit pas importante, essentielle, vitale. C'est que ce charivari est prématuré. Certes, on a vu Jacques Chirac accélérer la cadence. On l'a vu s'engager en faveur de la Turquie sans avoir consulté grand monde. Mais, d'une part, il y a quarante ans que les Turcs frappent à la porte de l'Europe ; et, d'autre part, il faudra dix à quinze ans pour que cette porte soit ouverte. Et, comme le dit fort bien M. Raffarin, dans une ou deux décennies, la plupart des problèmes posés par la Turquie (influence de la religion et de l'armée, droits de l'homme, reconnaissance du génocide arménien, démographie, émigration) auront été résolus par l'évolution naturelle des choses. Si par malheur la Turquie devait devenir une République théocratique ou une dictature militaire, eh bien l'UE aura le temps de lui dire non.
Passion bizarre.
Ce qui est bizarre, c'est la passion avec laquelle nos élus se sont emparés de l'affaire. Sans doute ont-ils le sentiment que le gouvernement se moque de leur avis, ce qui n'est pas faux. Mais enfin, la France ne manque pas de problèmes à résoudre. En dépit d'une croissance raisonnable, le taux de chômage est reparti à la hausse. Nous en sommes à 10 % et deux millions et demi de sans-emploi . N'est-ce pas un sujet plus préoccupant que le statut de la Turquie dans quinze ans ?
Comment se fait-il que l'Europe, puisqu'on parle d'elle, se contente de subir le choc pétrolier, ne fait rien (mais pas moins que les Etats-Unis) pour l'atténuer, ne l'a pas prévu, n'a pas constitué des stocks ? Comment se fait-il que le gouvernement ne se concentre pas sur une crise énergétique qui risque de ralentir la croissance et d'augmenter le chômage ? Pourquoi attend-il que les marins-pêcheurs se mettent en grève, pourquoi n'étudie-t-il pas des mesures, comme la réduction de la taxe sur les carburants, que Lionel Jospin avait judicieusement adoptée ?
L'AVENIR, C'EST L'EMPLOI, LA FIN DE LA VIOLENCE, LA CROISSANCE. CE N'EST PAS LA TURQUIE
A corps perdu.
Et enfin, pourquoi nos députés, au lieu de faire des propositions dans ce sens, qui n'ont d'ailleurs rien à voir avec les disputes idéologiques, mais relèvent du pur bon sens, se jettent-ils à corps perdu dans le débat turc ? Et qu'est-ce que c'est que cet engouement soudain pour la procédure référendaire qui sollicite le peuple bien au-delà de sa disponibilité alors que, pour ce qui le concerne, le niveau de salaire et la menace du chômage sont des questions beaucoup plus sérieuses ?
On ne saurait soupçonner François Bayrou et Laurent Fabius d'être antieuropéens. Mais enfin, ils cultivent avec soin leur différence. Ils se sont retrouvés très proches sur la Turquie, quelques semaines à peine après que l'ancien Premier ministre eut déclenché un tollé au PS - et ailleurs - en choisissant le non à la Constitution européenne.
On lit, dans nombre d'articles, qu'il ne faut pas réduire les partisans du non à des débiles ou à des gêneurs, qu'il faut respecter leur point de vue, qu'il faut débattre. Bien. Mais en attendant, le PS se déchire et à droite, tandis que l'UDF prend le large, l'UMP se dresse contre M. Chirac sans que, cette fois, Nicolas Sarkozy soit le bénéficiaire du mouvement.
Les dangers du monde.
Toutes ces querelles sont-elles utiles dans un contexte international aussi dangereux, avec une guerre en Irak, un conflit permanent au Proche-Orient, des attentats partout, des otages que nous ne parvenons pas à récupérer, un pétrole qui risque de ruiner la faible croissance que nous avons tant attendue ? Jamais le monde n'a semblé aussi dangereux depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais la Turquie n'a pris une telle importance historique aux yeux du gouvernement et des parlementaires français. Ce sont des jeux d'enfants, même si on nous rebat les oreilles sur la gravité des choix pour l'avenir. L'avenir, c'est d'abord l'emploi, pas la Turquie. L'avenir, nous aurions dû commencer par le donner vierge à nos enfants en nous abstenant de prolonger la Crds (une contribution sociale qu'ils paieront quand ils seront adultes). L'avenir, c'est d'en finir avec la violence, donc avec les violents, terroristes de tout poil et fanatiques de tous les pays.
La vérité est que la Turquie ne peut être qu'en Europe. Si elle n'y est pas un jour, c'est que nous l'aurons perdue, en la laissant prendre le large vers cette folie humaine que tant de civilisations n'ont pas réussi à maîtriser.
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