DE UN À DEUX pour cent des mineurs en danger sous mesure de protection sociale et/ou judiciaire en milieu fermé sont qualifiés d' «incasables» par les foyers d'accueil eux-mêmes, qui se sentent impuissants face à des jeunes en difficultés multiples. C'est le constat des trois équipes de chercheurs* qui ont travaillé sur le sujet à la demande de l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED). Plus d'un millier de garçons et de filles sont concernés. Tous sont en très grande souffrance et ont coupé les ponts avec le milieu scolaire. Ils vont d'établissement en établissement d'accueil, d'où ils sont rejetés, certains devenant des électrons libres. L'emploi même du terme «incasable» renvoie, d'une part, à la douleur vécue par le jeune et, d'autre part, à l'incapacité de l'institution de répondre aux errements d'un pensionnaire à la dérive.
D'un côté un enfant qui ne trouve pas sa place, en face une structure qui campe sur des normes faites pour tous, négligeant par trop l'histoire de chacun, fait comprendre au « Quotidien » Paul Durning, directeur de l'ONED. La victime cumule plusieurs facteurs de vulnérabilité : alcoolisme parental, décès d'un frère et grande fratrie, par exemple ; et on peut parler de surmortalité et de surmorbidité dans les familles concernées.
Mais ces caractéristiques n'apportent qu'un éclairage. Le foyer est aussi à mettre en cause, le placement et l'accompagnement posent question. Les intervenants qui se succèdent, compte tenu de fugues et des changements d'établissement, ignorent les raisons du mal-être profond de l' «incasable». On se contente de gommer le symptôme : qui casse tout, qui se rebelle de manière récurrente est puni ou mis à la porte. On protège, mais on ne soigne pas la douleur en remontant aux origines du clash. Les équipes apparaissent trop spécialisées, trop parcellisées. Ici on s'occupe de l'instruction, là du problème familial, et la plupart du temps on néglige la pédopsychiatrie, tant le secteur est sinistré, même si des centres médico-psychologiques jouent encore un rôle.
Travail en réseau.
Pour que ça change, les chercheurs appellent à un travail en réseau des intervenants, qui doivent être mis sur un pied d'égalité. L'objectif est de ne jamais perdre de vue l' «histoire» de l' «incasable» et de la faire vivre tout au long du parcours de l'enfant à protéger. Il convient de dépasser le symptôme, d'aller au-delà de la stigmatisation, avant que les choses ne se détériorent. Il faut aussi articuler les politiques d'aide sociale à l'échelon départemental avec les actions sanitaires (santé mentale en faveur des familles) régionales. Enfin, et surtout, la séparation d'avec les parents et la petite enfance doivent être comprises, consignées et véhiculées par les acteurs de la chaîne de la protection de l'enfance. C'est là le sésame d'un placement vécu comme un moindre mal.
* L'une en Haute Bretagne (Institut de criminologie et sciences humaines), l'autre dans le Val-de-Marne et le Val-d'Oise (Centre d'étude, de documentation, d'information et d'action sociale), et la 3e dans le Pas-de-Calais (Groupe de recherche sur les interventions éducatives et sociales). Les résultats de leurs travaux feront l'objet d'une journée d'information, à l'initiative de l'ONED (www.oned.gouv.fr), le 12 décembre au lycée Balzac de Paris.
Repères
L'ONED, créé par la loi du 2 janvier 2004, est un des deux piliers, avec le 119 (Allô Enfance en danger), du GIP Enfance en danger, dont Paul Durning est le directeur général.
295000 jeunes de 21 ans et moins font l'objet d'une mesure de protection sociale (ASE) et/ou judiciaire (PJJ), au 31 décembre 2005. Parmi eux, 147 000 se retrouvent en familles d'accueil (50 %) ou en foyers (50 %), ces derniers offrant en moyenne de 25 à 30 places.
Le rôle des médecins
En 2009, l'ONED entend recadrer avec l'Ordre l'intervention des médecins, libéraux ou hospitaliers, dans le repérage de l'enfance en danger. Ici, ils occupent la tête de cellules départementales de recueil des traitements et d'évaluation des informations préoccupantes, là ils y sont très effacés, voire absents. En outre, lorsqu'ils font un signalement, ils saisissent directement le parquet, alors que la loi du 5 mars 2007 renforçant la protection de l'enfance demande d'avertir par courrier le conseil général, avec un double au procureur de la République.
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