La filiarisation remise en question

Des internes en gynécologie-obstétrique souhaitent se réorienter en chirurgie générale

Publié le 02/09/2004
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PHILIPPE DOUSTE-BLAZY a reçu une requête un peu particulière cet été. Une cinquantaine d'internes en gynécologie-obstétrique lui ont demandé l'autorisation de s'inscrire en diplôme d'études spécialisées (DES) de chirurgie générale.
Pierre, signataire de cette lettre, dit rencontrer les pires difficultés pour achever sa formation. Classé 1 300e au concours de l'internat de 2000, « à 10 places du dernier étudiant affecté en chirurgie », il a choisi de se spécialiser en gynécologie-obstétrique. « C'est le cas de près de 80 % des étudiants recalés en chirurgie », explique Anne-Sophie Bats, présidente de l'Association des gynécologues-obstétriciens en formation (Agof).
En 1999, la gynécologie-obstétrique a été filiarisée pour résoudre la crise démographique de la spécialité, les départs à la retraite étant à l'époque largement plus nombreux que les formations de nouveaux médecins. Depuis cette date, ce ne sont pas moins de 819 étudiants qui ont décidé de se spécialiser en gynécologie-obstétrique (GO). Un effectif qui a triplé par rapport à 1998 sans que les moyens de formation ne soient revus à la hausse. « La situation des promotions qui terminent leur internat est dramatique », commente Raphaël Coursier, vice-président de l'Intersyndicat national des internes des Hôpitaux (Isnih). « Le nombre d'internes en GO a été augmenté de manière démesurée (de 111 en 1999 jusqu'à 200 en 2002), mais rien n'a été prévu pour compléter leur formation. Dès cette année, beaucoup d'entre eux n'auront pas de poste de chef de clinique à l'issue de leur internat. Ils devront accepter des postes dans des hôpitaux périphériques sans encadrement universitaire ou attendre une ou plusieurs années pour que des postes se libèrent », prédit-il. Il y a actuellement en France 160 postes de chef de clinique assistant. Or ils sont 251 étudiants en 4e et 5e année d'internat susceptibles de postuler à un tel poste à la rentrée. Et leur nombre devrait encore croître dans les années à venir. « Dans ma ville, nous somme dix à attendre pour deux postes », s'insurge Pierre.
La demande des cinquante internes met en lumière les effets de la filiarisation de la gynécologie-obstétrique. Celle-ci a entraîné un déficit important des autres spécialités chirurgicales que le Pr Jacques Domergue ne manque pas de souligner dans son rapport de février 2003 : « La prospective de la chirurgie française s'est aggravée en 1999 lorsque le nombre de postes de chirurgien au concours de l'internat a été réduit de moitié au profit de la gynécologie-obéstétrique. » Dans certaines régions, n'ayant pas suffisamment de stages dans leur discipline, certains internes en GO se forment dans des services de chirurgie, ce qui n'est pas sans créer quelque tension entre les internes des deux DES. « A Rouen, lors du dernier choix de stage, un interne d'urologie n'a pas pu accéder à un stage en urologie car il était bloqué par deux internes en GO plus âgés que lui... Il y a eu un scandale, la procédure a été annulée et il en a fallu une nouvelle pour régler la situation », explique Pierre.

Soutien du Syngof, pas de l'Agof.
Le Dr Guy-Marie Cousin, secrétaire général du Syndicat des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof), est conscient des problèmes que rencontrent les étudiants de sa spécialité : « Notre filière n'est plus attractive et la moitié des internes décrochent en cours de route et demandent à se réorienter. » Pour faire face au manque de terrains de stage et de postes de chef de clinique, il suggère de réfléchir à une évaluation des services et, pourquoi pas, à l'ouverture de nouveaux postes « dans le public et le privé ». Quant à la réorientation des cinquante internes en chirurgie générale, il n'y voit pas d'inconvénient « dans la mesure où les étudiants ont bien rempli leur nouveau cursus ». Le Pr Domergue se déclare très favorable à ce que, d'un « coup de plume », on valide leur demande. « Il y a un obstacle réglementaire et certains ne manqueront pas de s'élever si cette réorientation devait avoir lieu. Mais la chirurgie viscérale connaît une crise dramatique. Ce serait une aubaine si ces internes pouvaient renforcer cette spécialité. ».
Dans le rapport remis au ministre de la Santé, le Conseil national de la chirurgie suggérait d'ailleurs la validation de chaque dossier après analyse. L'Association des gynécologues-obstétriciens en formation est, en revanche, formellement opposée à une telle démarche. « Il y aura toujours des internes en gynécologie-obstétrique qui auraient préféré faire de la chirurgie. Nous ne pouvons pas accepter que certains ne jouent pas le jeu et soient autorisés à se réorienter, ce serait dévaloriser notre filière », juge Anne-Sophie Bats.
Dans l'entourage de Philippe Douste-Blazy, on reconnaît « l'échec de la filiarisation » et la nécessité d'un système de régulation plus efficace. La tâche devrait en revenir à la mission Berland qui a été pérennisée cet été par Philippe Douste-Blazy. Les compétences de cette mission devraient être élargies pour permettre de définir les besoins et les disponibilités dans chaque région, avec l'Observatoire national de la démographie des professions de santé. « Il faut donner au système de formation une plus grande réactivité pour faire face aux problèmes de santé publique », indique-t-on dans l'entourage du ministre où l'on assure que les services concernés se pencheront sur le dossier de Pierre. L'interne ne cache pas son inquiétude : « Après dix années d'études, je me pose de plus en plus de questions sur mon avenir. J'ai peur de ne jamais pouvoir exercer la médecine en France. »

> CHRISTOPHE GATTUSO

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7582