DES LETTRES, des coups de téléphone inquiets arrivent au « Quotidien » comme à la Carmf (Caisse autonome de retraite des médecins de France). «Dois-je prendre ma retraite tout de suite pour être certain qu'elle soit correcte?», «Il paraît que je vais toucher des clopinettes alors que j'ai cotisé des milliers d'euros pendant trente ans?», «A la retraite, je vais être au-dessous du seuil de pauvreté», «Un scandale se prépare!»… Pourquoi de telles craintes ?
Les perspectives de la démographie médicale sont effectivement plus que mauvaises pour un régime de retraite par répartition. Mais, dans les faits, les modifications planifiées aujourd'hui pour les médecins libéraux se comptent sur les doigts de la main.
Pour le régime de base (qui représente 19 % des allocations moyennes versées aux libéraux retraités), seule la durée d'assurance requise va changer : de 160 trimestres de cotisations aujourd'hui nécessaires, on va passer à 161 trimestres en 2009, puis à 164 en 2012. Ce régime de base assure aux retraités des pensions mensuelles moyennes de 968 euros. Du côté du régime complémentaire (42 % de la retraite des médecins), rien de neuf à l'horizon. Le taux d'appel des cotisations est stable (à 9 %) depuis 2000 et la pension moyenne versée est de 1 037 euros. Les « noires » perspectives démographiques ne motivent pas, pour l'instant, de révolution pour ce régime complémentaire. «Jusqu'en 2027, c'est mauvais, ironisait le Dr Jean-Yves Boutin, de la Carmf, lors de la grand-messe annuelle sur la retraite organisée par la caisse dans le cadre du MEDEC. Puis, assez miraculeusement, tout remonte. Nous avons des réserves pour compenser le trou démographique des années 2015-2030.»
L'ASV au bout du rouleau.
Beaucoup moins riantes sont les prévisions relatives au régime ASV (allocation supplémentaire de vieillesse qui représente aujourd'hui 39 % des allocations et correspond à une pension moyenne mensuelle de 968 euros). Ce régime, on le sait depuis plusieurs années, est au bout du rouleau. «C'est le gouffre, scandait une nouvelle fois au MEDEC le Dr Jean-Luc Friguet, administrateur de la Carmf. En 2006, pour trente années de cotisations, en cotisant 180C, on touchait une retraite ASV de 600C; en 2030, on cotisera 250C et on en touchera 400.» La cessation de paiement est pour 2013, insiste la Carmf dont les statistiques sont vertigineuses : cette même année 2013, le déficit du régime sera de 106 millions d'euros ; dès 2020, il sera de 3,6 milliards d'euros ; en 2030, il atteindra 13,1 milliards d'euros, 23,6 milliards, en 2040. A retraite inchangée, on peut imaginer à l'horizon 2010 des cotisations avoisinant les 15 000 euros annuels (elles sont aujourd'hui de 3 600 euros, supportés pour les médecins de secteur I aux deux tiers par les caisses d'assurance-maladie). «Beaucoup de thérapeutes se sont penchés sur cette ASV agonisante, a rappelé le Dr Friguet. Certains se sont prononcés pour l'euthanasie, d'autres pour les soins palliatifs, d'autres encore ont milité pour l'acharnement thérapeutique. Mais, en matière d'innovation thérapeutique, on ne s'est pas bousculé au portillon.» Pourtant, pour l'administrateur de la Carmf, «le casse du siècle aux dépens des jeunes générations doit être évité».
Un cadre juridique qui reste creux.
Il y a quatre ans, l'Igas (Inspection générale des affaires sanitaires et sociales) a suggéré une réforme de l'ASV à laquelle la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006 a donné un cadre juridique (prévoyant une entrée en vigueur le 1er janvier… 2006). Problème : les décrets d'application ne sortent pas. Les années passent et l'ASV s'avance toujours plus sûrement vers le rouge.
Que proposait l'Igas ? Plusieurs cas de figure. Celui des retraités, tout d'abord : leur point n'était pas revalorisé, ce qui induisait une perte en pouvoir d'achat de 2 % par an environ ; au total, dans quinze ans, la retraite annuelle de ces « déjà retraités en 2006 » baissait de 3 000 euros, passant de 11 500 à 8 500 euros. Deuxième cas : les médecins encore en activité. Pour ceux-là, la valeur des points acquis entre 1972 et 1991 baissait de 66 % ; celle des points acquis entre 1992 et 2005 baissait de 30 % ; celle des points acquis à partir de 2006 chutait de 50 %. Quant aux cotisations (déclinées entre une cotisation forfaitaire et, le cas échéant, une deuxième cotisation d'ajustement proportionnelle au revenu), elles augmentaient de 50 % sans que soit garantie leur prise en charge, comme aujourd'hui, aux deux tiers par l'assurance-maladie (ce que viennent de perdre pour leur part les chirurgiens-dentistes – voir ci-dessous).
Ce dispositif, pour l'heure, est dans les limbes. Et le flou alimente certainement les craintes des médecins. Des craintes que le Dr Gérard Maudrux, président de la Carmf, comprend bien sûr mais veut calmer sur un point : celui d'une éventuelle casse brutale des pensions. «Si la réforme de l'ASV se fait, il n'y aura pas d'effet de seuil, insiste-t-il, le dispositif sera lissé. Il est impensable que les choses se passent autrement.»
En 2006, la Carmf comptait 30 484 médecins retraités, soit 46 % de plus qu'en 1994. Tous régimes confondus, ces retraités percevaient une pension moyenne annuelle de 29 580 euros. Selon les projections de la Carmf, du fait de la forte baisse de l'ASV, la retraite globale des médecins ne devrait plus représenter que 24 220 euros en 2020, soit une baisse de 17 % (voir tableau). «Un bon résultat quand, dans la même période, les médecins seront 25% de moins», commente le Dr Maudrux.
Pour les PH, une réforme au point mort
Le régime complémentaire obligatoire des praticiens hospitaliers – l'Ircantec* – est en situation financière délicate. Il est question de le réformer pour assurer sa pérennité. La négociation amorcée avec les organisations syndicales de personnels concernés – les PH, mais aussi les élus, les militaires, etc. – est au point mort depuis que Dominique de Villepin a stoppé net les discussions, en décembre 2005.
Les échanges ont repris en 2006, mais le ministère de la Santé les qualifie de «virtuels», à la grande déception des intersyndicats de PH, unis au coude à coude sur ce dossier pour obtenir une meilleure retraite, ou tout au moins conserver les acquis.
Les PH rappellent que le gouvernement a pris deux engagements, à ce jour non tenus : l'intégration des astreintes dans l'assiette de cotisation Ircantec, et l'élargissement de l'assiette de cotisation des PH à temps partiel (ceux-ci ne cotisent que sur les deux tiers de leurs revenus pour leur retraite complémentaire, ils espèrent passer à 100 %). «Avec les élections, les négociations ne reprendront pas avant 2008, et il est probable qu'on reparte alors de zéro», déplore le Dr François Thuilliez (CMH).
Les hospitalo-universitaires, en revanche, ont obtenu une avancée : depuis peu, la loi reconnaît la part hospitalière de leurs revenus dans la retraite, alors que, jusqu'à présent, seuls les revenus issus de leur activité universitaire étaient pris en compte dans le calcul de la retraite.
* Ircantec : Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques.
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