TRENTE MOIS après l'explosion de l'usine AZF de Toulouse, le 21 septembre 2001, c'est le fait nouveau rapporté par les épidémiologistes : « L'analyse du registre des cardiopathies ischémiques de Haute-Garonne (l'un des trois registres fonctionnant en France, avec ceux du Bas-Rhin et du Nord) fait apparaître un excès de cas d'infarctus du myocarde et d'événements coronaires aigus dans les cinq jours qui ont suivi l'explosion. » Les scientifiques, qui sont remontés pour leur étude jusqu'à 1986, notent une fréquence 3,3 fois plus élevée que dans des périodes comparables, ou que dans le reste du département. « Cette fenêtre des cinq jours après la catastrophe est spectaculaire et cohérente avec les données recueillies par les Américains et les Japonais après des catastrophes telles que les tremblements de terre », commente le Pr Thierry Lang (CHU Rangueil et Institut de veille sanitaire), président du comité de suivi scientifique.
En tête, les traumatismes auditifs et psychologiques.
Les autres données épidémiologiques corroborent les précédents rapports d'étape : il se confirme ainsi que les séquelles les plus nombreuses à avoir fait l'objet d'une indemnisation sont les traumatismes auditifs (44 %) et psychologiques (44 %) (enquête de la caisse primaire d'assurance-maladie de Haute-Garonne). Des symptômes de stress post-traumatique (cauchemars, souvenirs répétitifs et envahissants, conduites d'évitement de tout ce qui pourrait évoquer la catastrophe, signes d'irritabilité ou de nervosité pathologiques) persistent chez 12 % des hommes et 17 % des femmes qui travaillaient dans la zone de Toulouse la plus proche de l'explosion.
Ce sont les femmes qui sont significativement les plus concernées par ces tableaux psychologiques.
Chez les enfants et les adolescents, l'enquête réalisée par le service médical du rectorat neuf mois après l'explosion et celle diligentée par l'InVS seize mois après, estime à environ 400 le nombre de collégiens vivant dans la zone la plus rapprochée et qui présenteraient encore des symptômes reliés à l'événement du 21 septembre, les filles étant toujours plus concernées que les garçons, ceux-ci récupérant plus nettement et plus vite que celles-là.
L'enquête du service de la protection maternelle et infantile montre que les troubles du comportement observés par les parents (troubles du sommeil, agitation, peur du bruit) chez les enfants de 2 à 5 ans sont d'autant plus fréquents que l'école qu'ils fréquentent se trouve proche du site de l'explosion.
« Toutes les données issues des différentes enquêtes se confortent mutuellement », souligne le Pr Lang. Chez les travailleurs de l'agglomération toulousaine et les sauveteurs qui les ont secourus, l'enquête, pour laquelle près de 50 000 autoquestionnaires ont été postés, conclut à un retentissement de la catastrophe sur la santé mentale, lié à l'impact de l'explosion tant sur la vie personnelle que professionnelle. Les symptômes de stress post-traumatique, un an après l'explosion, concernent 12 % des hommes et 17 % des femmes, avec un retentissement chez les employés et les ouvriers (20 %) supérieur à celui mesuré chez les cadres (7 %).
Une autre enquête menée auprès des habitants de Toulouse à l'instigation de la ville fait ressortir que près de 30 % des femmes et 13 % des hommes qui résident dans la zone la plus touchée ont suivi un traitement somnifère, anxiolytique ou antidépresseur du fait de l'explosion. Une proportion trois fois supérieure à celle constatée parmi les habitants des quartiers plus éloignés du sinistre.
D'autres investigations sont à venir, sur l'impact des perturbations familiales, sociales et professionnelles engendrées par l'explosion ; dans dix ans, une analyse sera pratiquée à partir des certificats de décès. Il restera enfin à dresser le bilan de tant d'investigations épidémiologiques. « Il ne se limite pas à la seule approche de la recherche, estime le Pr Lang, mais il permet de reconnaître les préjudices et d'en apprécier l'impact. »
C'est ainsi que, dans les deux mois qui viennent, 700 audiogrammes vont être réalisés par la Ddass dans un rayon de 700 mètres autour de l'ancienne usine AZF ; le principe de cette mesure de dépistage inédite en France a été acquis grâce aux enquêtes, alors que les victimes ne se rendent généralement pas compte du déficit auditif qu'elles ont subi et ne vont pas consulter spontanément
« Si la France est en pointe avec des pays comme les Etats-Unis ou les Pays-Bas, l'intérêt pour des investigations épidémiologiques à grande échelle après les catastrophes, déplore le président du comité de suivi d'AZF, reste peu partagé par la communauté internationale. Les Espagnols, par exemple, ne semblent pas avoir déclenché d'enquête à la suite des attentats de Madrid. »
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