Recours à la toxine botulique

Des indications de plus en plus larges

Publié le 21/11/2007
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Par le Dr Patrick KLAP*

PLUSIEURS pathologies musculaires des différents organes de la sphère ORL peuvent être traités par la toxine botulique, qu'il s'agisse du larynx, de l'œsophage, de l'appareil masticateur, du voile du palais, des paupières ou d'autres muscles de la face et du cou.
En laryngologie, la toxine botulique n'a pas obtenu en France d'AMM, bien qu'elle ait été reconnue scientifiquement efficace dans de nombreux articles internationaux et par plusieurs groupes d'experts français et étrangers.

Des résultats spectaculaires dans la dystonie du larynx.
Le plus souvent, cette dystonie est à l'origine de la dysphonie spasmodique, mais elle peut aussi se manifester de façon permanente sous la forme d'une dyspnée inspiratoire de repos qui se majore à l'effort. La toxine botulique est considérée depuis plusieurs années comme le traitement de référence de la dystonie du larynx. En effet, les autres traitements sont peu ou pas efficaces ; les médicaments, essentiellement les anticholinergiques, n'apportent qu'un bénéfice partiel avec des effets secondaires non négligeables, la rééducation orthophonique a une efficacité très limitée, pour une durée de traitement extrêmement longue, et la chirurgie donne souvent des résultats décevants. Les injections de toxine botulique sont réalisées en ambulatoire stricte, sans anesthésie, sous contrôle électromyographique (figure 1). Le traitement de la dysphonie spasmodique en adduction et de la dystonie laryngée permanente consiste à injecter les muscles thyro-aryténoïdiens (figure 2) ; les muscles crico-aryténoïdiens postérieurs seront injectés dans le traitement de la dysphonie spasmodique en abduction. Les résultats sont spectaculaires, avec une récupération d'une voix normale dans plus de 90 % des cas et disparition ou réduction de la dyspnée de façon quasi constante. La durée d'action de la toxine botulique est en moyenne de quatre à six mois. Les principaux effets secondaires sont locaux et toujours transitoires car leur durée n'excède pas deux ou trois semaines. Ils se limitent à une hypophonie et à des troubles mineurs de la déglutition, essentiellement aux liquides. La dystonie du larynx était une pathologie dénuée de solution thérapeutique réellement efficace. La toxine botulique est certes un traitement symptomatique de durée d'action limitée dans le temps, mais elle a transformé le pronostic fonctionnel et parfois vital des patients. Le tremblement de la voix, notamment chez le patient âgé, peut bénéficier de la toxine botulique à condition de diminuer fortement les doses injectées. Plusieurs auteurs proposent une mise au repos du larynx par la toxine botulique dans de nombreuses pathologies, comme les tics vocaux de Gilles de la Tourette, les désarticulations crico-aryténoïdiennnes, les granulomes des cordes vocales et les synéchies glottiques postérieures. La toxine botulique est de même utilisée pour traiter les syncinésies laryngées associées à une réinnervation aberrante après une paralysie récurrentielle.
Le bégaiement peut être assimilé à des spasmes dystoniques, mais les différentes tentatives de traitement par la toxine botulique injectée dans les muscles thyro-aryténoïdiens se sont soldées par des échecs, probablement en raison de l'extension des mouvements anormaux à d'autres muscles pharyngés, linguaux et vélaires.

Dans l'achalasie du muscle crico-pharyngien.
Au niveau de l'œsophage, l'achalasie du muscle crico- pharyngien peut être traitée par la toxine botulique. Cette pathologie, responsable d'une dysphagie haute, isolée ou associée à une atteinte neurologique centrale comme un accident vasculaire cérébral, peut aussi entrer dans le cadre d'une dystonie cervico-faciale étendue. De même, le spasme crico-pharyngien peut être responsable d'une dysphagie et d'un échec de la phonation chez des patients laryngectomisés et porteur d'une prothèse phonatoire trachéo-œsophagienne.
Le diagnostic nécessite une fibroscopie laryngopharyngée, un radiocinéma avec un transit œsophagien, une manométrie œsophagienne et un électromyogramme qui montrent une persistance du spasme à la déglutition. La toxine botulique peut constituer un test diagnostic et un procédé thérapeutique ; elle est injectée en plusieurs points du muscle crico-pharyngien, sous contrôle électromyographique par voie percutanée ou par voie endoscopique. Elle peut alors représenter une alternative à la myotomie du muscle crico-pharyngien ou à la dilatation œsophagienne.
Différentes pathologies des muscles masticateurs peuvent également être traitées par la toxine botulique, notamment la dystonie oro-mandibulaire, caractérisée par des mouvements involontaires, soutenus et prolongés de la mandibule et de la langue. Cette dystonie provoque alors une dysarthrie, des troubles de la mastication associés à des troubles de la déglutition et à des douleurs faciales. Son traitement repose sur l'injection de toxine botulique, sous contrôle électromyographique, dans les muscles élévateurs de la mâchoire (masséters, ptérygoïdiens médians et temporaux) ou abaisseurs de la mâchoire (ptérygoïdiens latéraux, sus-hyoïdiens et peauciers du cou). L'efficacité, moyenne, est de quatre mois avec des effets secondaires peu fréquents et toujours réversibles.
Le bruxisme se manifeste par des mouvements involontaires répétitifs, le plus souvent nocturnes, sans but fonctionnel, des muscles de la mâchoire. Son traitement repose sur une prise en charge occluso-dentaire, associée à une injection intramusculaire de toxine botulique, réalisée sous contrôle électromyographique dans les muscles élévateurs de la mâchoire, masséters essentiellement, voire ptérygoïdiens médians et temporaux. Les effets bénéfiques des injections sont manifestes au niveau de la sédation de la douleur, de l'arrêt des mouvements involontaires de la mâchoire ; de nombreux patients notent, un mois après les injections, une amélioration esthétique du contour du visage avec diminution du volume des muscles masséters.
Autre indication : les myoclonies du voile du palais, responsables d'un acouphène à type de clic, audible par l'examinateur. La toxine botulique injectée dans le muscle palatin tenseur du voile du palais, par voie endobuccale sous contrôle électromyographique, soulage quelque temps les patients atteints de cette pathologie neurologique exceptionnelle.
Dans le blépharospasme (BPS), dystonie des muscles orbiculaires des paupières qui entraîne une occlusion involontaire pouvant confiner à la cécité fonctionnelle, les traitements restent symptomatiques. Les médicaments, tout comme la chirurgie, sont décevants et seules les injections de toxine botulique, qui bénéficient de l'AMM, apportent une amélioration de 85 % en moyenne.

Les atteintes des muscles peauciers de la face.
Le spasme hémifacial correspond à des mouvements involontaires unilatéraux, synchrones des muscles d'une hémiface (du frontal au peaucier du cou) d'origine périphérique. Le spasme est intermittent, clonique, voire tonique, sans déficit sous-jacent et donnée sémiologique importante, il persiste pendant le sommeil et gêne souvent l'endormissement. On réalise toujours une IRM cérébrale qui permet d'éliminer une lésion du nerf facial et/ou de mettre en évidence une boucle vasculaire à l'origine du conflit vasculo-nerveux. Le traitement radical est chirurgical, avec décompression microvasculaire du nerf facial par craniotomie rétrosigmoïde. Mais, actuellement, la toxine botulique est, selon l'AMM, le traitement de première intention de cette affection qui reste fonctionnelle. Il s'agit d'un traitement non douloureux, sans effets secondaires d'ordre général (avec un recul de plus de vingt ans). Les effets secondaires locaux sont toujours transitoires. L'amélioration est obtenue chez 90 % des patients traités. Le traitement de la paralysie faciale s'est enrichi ces dernières années de l'apport de la toxine botulique. Dans le cadre de cette pathologie, nous distinguons plusieurs indications thérapeutiques.
- La lagophtalmie, caractérisée par une absence d'occlusion palpébrale, est source de complications cornéennes. Ces dernières ont été évitées par différents procédés (collyre, pansement occlusif, tarsorraphie...), ainsi que par l'injection de toxine botulique, réalisée dans le muscle releveur de la paupière supérieure, sous contrôle électromyographique. On induit ainsi un ptôsis thérapeutique pendant une période de trois mois, ce qui est particulièrement intéressant pour les paralysies faciales périphériques transitoires.
- Le spasme facial postparalytique est une contracture tonique de certains muscles faciaux qui survient généralement six mois après la paralysie faciale, le plus souvent périphérique, alors que le déficit récupère. La toxine botulique injectée dans les muscles orbiculaires de l'œil, grand et petit zygomatiques et risorius, lève le spasme, mais avec le risque de démasquer la paralysie sous-jacente toujours présente. Comme il n'existe aucune alternative thérapeutique, la toxine boutique peut soulager certains patients de la sensation de tension permanente et diminuer, voire faire disparaître, les syncinésies. Les injections des muscles du côté sain, qui sont souvent hypertoniques, permettent également de redonner une symétrie au visage.
- Le syndrome des larmes de crocodile, lorsqu'il représente une gêne fonctionnelle importante, est une indication de la toxine botulique. L'injection est pratiquée dans le segment palpébral de la glande lacrymale. L'effet thérapeutique se prolonge pendant cinq à dix mois et le risque de développer un syndrome de l'œil sec est faible.

Dans les rides de la face.
C'est l'indication de la toxine botulique la plus connue du grand public. Elle a obtenu l'autorisation de mise sur le marché dans « la correction temporaire des rides verticales intersourcillières modérées à sévères observées lors du froncement des sourcils, chez l'adulte de moins de
65 ans, lorsque la sévérité de ces rides entraîne un retentissement psychologique important »
. Ce froncement, générateur des « rides du lion » est dû à l'action de trois
muscles ; le corrugator, le procerus et le depressor supracilii. En diminuant la puissance de ces muscles, responsables des rides d'expression, la toxine botulique lisse la peau en regard de la glabelle. Par extension, la toxine botulique est utilisée dans le traitement des rides du front et des pattes d'oie. De même, l'injection des muscles élévateurs et abaisseurs des lèvres permet de modifier la position des commissures labiales.

Le torticolis spasmodique.
La dystonie cervicale ou torticolis spasmodique est la plus fréquente des dystonies focales de l'adulte et est le plus souvent prise en charge par les neurologues. Elle atteint les muscles du cou et provoque une déviation involontaire de la tête et du cou. La toxine botulique permet une sédation rapide des douleurs, liées aux contractions musculaires, et la décontraction des muscles responsables de la dystonie. Les injections, réalisées dans les muscles du cou (stérno-cleïdo-mastoidien, trapèze et splénius), doivent être associées à une rééducation fonctionnelle afin d'optimiser l'effet clinique. Plusieurs injections sont généralement nécessaires pour retrouver une mobilité cervicale correcte.

Les dysfonctionnements du système nerveux autonome.
Les systèmes nerveux moteur et périphérique parasympathique ont comme principal neurotransmetteur commun l'acétylcholine. La toxine botulique diminue la stimulation du système parasympathique par dénervation chimique des synapses cholinergiques. Il en découle plusieurs indications thérapeutiques :
- Le syndrome de Frey est une des complications de la parotidectomie qui survient dans 10 % des cas. Il apparaît un ou deux mois après l'intervention, sous forme d'une hyperhydrose et d'un érythème cervico-facial survenant au moment des repas. Les différents procédés chirurgicaux, ainsi que les traitements médicaux, sont souvent décevants et l'utilisation de la toxine botulique a révolutionné le traitement des syndromes de Frey invalidants. La technique consiste à injecter la toxine en intradermique dans la zone cutanée préalablement repérée par l'ingestion de citron ou par un badigeonnage avec une poudre d'amidon iodée (solution de Minor). La durée moyenne d'efficacité de ce traitement est de six à dix-sept mois.
- L'hypersialorhée et la bavage se rencontrent dans de nombreuses maladies neurologiques ; maladie de Parkinson, sclérose latérale amyotrophique, infirmité motrice cérébrale... La toxine botulique est indiquée en cas d'échec des autres traitements anticholinergiques chez des patients présentant une gêne fonctionnelle importante ou des risques élevés de complications. Les injections sont pratiquées dans les glandes sous-maxillaires et parotidiennes sous contrôle échographique (figure 3) pour éviter les complications à type de dysphagie et de fausses routes, dues à la diffusion du produit le long du plancher buccal. La durée d'action est environ de quatre mois.

Des non-indications.
La toxine botulique a été proposée comme traitement dans les migraines, les céphalées de tension, et dans des cas isolés de céphalées de causes diverses. Les études, bien qu'elles aient parfois montré des résultats positifs, n'ont pas les critères scientifiques nécessaires pour que la toxine botulique soit considérée comme un traitement de ces affections. Les fibromyalgies, les lombalgies, les cervicalgies, les épicondylites ont également été traitées par des injections de toxine botulique. Là encore, bien que des études aient montré un effet positif, les arguments ne sont pas assez forts pour proposer la toxine en première intention.

Conclusion.
La toxine botulique est une option thérapeutique symptomatique et à l'action limitée dans le temps. Elle peut être utilisée chaque fois qu'une contraction musculaire anormale doit être levée ou lorsque l'on désire agir sur le système végétatif pour assécher des sécrétions. La toxine botulique a ainsi transformé le pronostic fonctionnel de nombreux patients, pour qui il n'existait pas d'alternative thérapeutique ou qui nécessitaient des traitements aux effets secondaires bien plus invalidants. Durant les deux dernières décennies, le nombre d'indications n'a cessé de croître en oto-rhino-laryngologie, mais aussi pour d'autres pathologies.

* Service d'oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, Fondation A.-de-Rothschild, Paris.


(1) Scott AB. Botulinum toxin injection into extraocular muscles as an alternative to strabismus surgery. Ophtalmology 1980 ; 87 :1044-1049
(2) Blitzer A., Brin MF, Stewart CF, Botulinum toxin management of spastic dysphonia (laryngeal dystonia) ; 12 year experience in more than 900 patients. Laryngoscope, 1998 ; 108 ; 1435-1441.
(3) Blitzer A., Brin MF., Greene PE., FAHN S. Botulinum toxin injection for the treatment of oromandibular dystonia. Ann Otol Rhinol Laryngol 1989 ; 98 : 93-7.
(4) Ascher B., Klap P, Marion MH, Chanteloup F. La toxine botulique dans le traitement des rides frontoglabellaires et la région orbitaire Etudes préliminaires.Ann. Chir. Plast. Esthet. 1995 ; 40 :67-76.
(5) Laccourreye O, Muscatelo L, Naude C, Bonan B, Brasnu D. Botulinum toxin type A for Frey's syndrome : a preliminary prospective study. Ann Otol Rhinol Laryngol 1998 : 107 : 52-5.

La plus puissante des neurotoxines

La toxine botulique (BTX) est la plus puissante des neurotoxines connues à l'heure actuelle ; elle agit en bloquant la libération quantique d'acétylcholine au niveau de la jonction neuromusculaire entraînant un blocage de l'influx nerveux et donc une paralysie et une amyotrophie musculaire. Son effet sur le système végétatif est un assèchement des sécrétions. La toxine peut être utilisée chaque fois qu'une contraction musculaire anormale doit être levée et lorsque l'on désire diminuer une quantité excessive de sécrétions due à un dysfonctionnement du système nerveux parasympathique. Elle a essentiellement un effet symptomatique, qui n'est que transitoire, et les injections doivent être répétées tous les 3 ou 6 mois selon les cas. En pratique courante, on utilise la BTX-A, mais on dispose également d'une toxine B, en cas de résistance à la BTX-A.

Un progrès dans la paralysie faciale

Le traitement de la paralysie faciale s'est enrichi ces dernières années de l'apport de la toxine botulique. Dans le cadre de cette pathologie, nous distinguons plusieurs indications thérapeutiques.
- La lagophtalmie, caractérisée par une absence d'occlusion palpébrale, est source de complications cornéennes. Ces dernières ont été évitées par différents procédés (collyre, pansement occlusif, tarsorraphie...), ainsi que par l'injection de toxine botulique, réalisée dans le muscle releveur de la paupière supérieure, sous contrôle électromyographique. On induit ainsi un ptôsis thérapeutique pendant une période de trois mois, ce qui est particulièrement intéressant pour les paralysies faciales périphériques transitoires.
- Le spasme facial postparalytique est une contracture tonique de certains muscles faciaux qui survient généralement six mois après la paralysie faciale, le plus souvent périphérique, alors que le déficit récupère. La toxine botulique, injectée dans les muscles orbiculaires de l'œil, grand et petit zygomatiques et risorius, lève le spasme, mais avec le risque de démasquer la paralysie sous-jacente toujours présente. Comme il n'existe aucune alternative thérapeutique, la toxine botulique peut soulager certains patients de la sensation de tension permanente et diminuer, voire faire disparaître, les syncinésies. Les injections des muscles du côté sain, qui sont souvent hypertoniques, permettent également de redonner une symétrie au visage.
- Le syndrome des larmes de crocodile, lorsqu'il représente une gêne fonctionnelle importante, est une indication de la toxine botulique. L'injection est pratiquée dans le segment palpébral de la glande lacrymale. L'effet thérapeutique se prolonge pendant cinq à dix mois et le risque de développer un syndrome de l'œil sec est faible.

KLAP Patrick

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8262