Exercice « Exogrippe 4 » en région Aquitaine

Des généralistes qui se sentent démunis

Publié le 12/11/2007
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LE « PLASTRON » sonne parfois deux fois. Vendredi matin, l'un de ces 420 volontaires mobilisés dans le cadre d'« Exogrippe 4 » s'est présenté au cabinet du Dr Joël Dubernet, à Saint-Pey-de-Castets (Gironde) et n'a pas trouvé le généraliste. Celui-ci venait d'être appelé pour une urgence. «Cela aussi, commente le praticien, fait partie de l'exercice: pendant la pandémie, la vie normale continue et notre activité aussi.» Le scénario de l'exercice avait situé les événements du jour en phase 5B de l'échelle pandémique, ce qui correspond à la présence de plusieurs clusters en France. A son deuxième passage, en début d'après-midi, le plastron a pu être reçu. «Il jouait une femme d'une cinquantaine d'années, avec des antécédents asthmatiques, raconte le Dr Dubernet. Elle était fébrile, cyanosée, proche de l'asphyxie, en pleine décompensation. Immédiatement, j'ai distribué les masques qui nous ont été envoyés avec le kit pandémie aviaire: un masque FFP2 pour moi, des masques chirurgicaux pour la patiente, ainsi que pour les quatre clients qui se trouvaient dans la salle d'attente. J'ai appelé le numéro à dix chiffres qui nous avait été transmis par la préfecture, pour joindre le centre15.L'ambulance du SAMU est arrivée une demi-heure plus tard, pour conduire la malade aux urgences.» Une longue demi-heure : «Que pouvez-vous faire dans un cas pareil, lorsque vous n'avez pas d'oxygène pour ventiler une patiente qui s'asphyxie, une patiente de surcroît contagieuse, interroge le généraliste. Et pour les patients, qui, dans le même temps, se posent toutes sortes de questions dans la salle d'attente, on se sent également très démuni. Eux aussi doivent être pris en charge, il faut les inviter à rentrer chez eux, à se laver, à nettoyer leurs vêtements. Et à se faire suivre en cas d'apparition de symptômes grippaux. Certains peuvent paniquer. Seul, le généraliste traverse des moments qui peuvent être particulièrement angoissants.»

De cette expérience qui se sera finalement bien passée, le Dr Dubernet retire une conviction : «Si, en phase pandémique, pour éviter la contagion, les cas suspects ne doivent pas se rendre aux urgences hospitalières, il ne faut pas davantage qu'ils viennent consulter au cabinet. Pour la sécurité médicale de tous, on doit les orienter vers des PMA (postes médicaux de l'avant) spécialement aménagés, dotés de moyens lourds, comme des bonbonnes d'oxygène, par exemple, en cas de nécessité de réanimation. A la campagne, de tels postes pourraient être installés dans les mairies.»

Un vent de panique...

En ville, le Dr Jean-Marc Demay se livre à une analyse semblable. Lui-même a pris en charge une infirmière avec une forte fièvre : «Compte tenu du contexte pandémique et de son activité hospitalière, il n'était pas difficile de poser le diagnostic et j'ai appelé le SAMU pour la faire hospitaliser.»

Là aussi, l'ambulance est arrivée dans la demi-heure, intervalle pendant lequel les patients présents dans la salle d'attente ont reçu des masques chirurgicaux et les consignes prévues par le plan. «Bien sûr, commente le Dr Demay, le problème numéro un, c'est le confinement. Mais comment voulez-vous faire dans un cabinet de ville pour isoler les patients les uns des autres? Peut-être parce qu'on se trouvait dans un simple exercice, tout le monde a parfaitement réagi. Mais imaginez qu'un vent de panique se soit mis à souffler. Sur quels moyens pouvais-je m'appuyer pour faire face», s'interroge le généraliste, qui souligne, au passage, qu'il ne disposait pas d'antiviraux.

Autre praticien bordelais, le Dr Jean-Marc Roche fait un constat analogue, lui qui a reçu un plastron fébrile, avec une petite toux, qu'il a renvoyé chez lui avec un masque chirurgical, après avoir avisé le centre 15 et lui avoir recommandé d'éviter les contacts : «Nous sommes démunis de Tamiflu.»

Le Dr Roche se félicite cependant d'avoir participé à l'exercice, qui ne peut que «contribuer à la prise de conscience du risque, aussi bien chez les médecins que dans le public».

«Il y a certainement des efforts à faire, estime le Dr Dubernet, lui-même formateur, et pas seulement en termes de FMC. Les distributions de kits pandémie sont hétérogènes, moi-même, je n'avais pas reçu de masques ni de lunettes de protection.»

Généraliste associée à Langon, le Dr Fabienne Fernandez a reçu quant à elle la visite d'un jeune homme qui présentait au départ les signes d'un simple état grippal. «Mais dans un deuxième temps, raconte-t-elle, des signes de détresse respiratoire sont apparus, j'ai appelé le centre 15 et les pompiers sont intervenus dans le quart d'heure. Mais, là encore, la question de la contagion s'est posée: j'ai distribué des masques à mes autres patients. Mais, dans mon cabinet, je n'ai pas la possibilité de les séparer. Le problème existe aussi pour isoler la secrétaire.»

Généraliste bordelais, le Dr Jacques Gayet a reçu son plastron en compagnie d'une externe, étant maître de stage. «La patiente était censée avoir 55ans, travaillait à l'hôpital comme manipulatrice radio et avait une température à 40, un pouls à 180, une fréquence respiratoire à 30 et des gaz sanguins très perturbés. Le SAMU a envoyé une ambulance qui lui a posé une perfusion et l'a conduite aux urgences du CHU.»

Auparavant, le Dr Gayet lui avait administré un comprimé de Tamiflu, ayant fait le choix personnel de se constituer un petit stock dans son cabinet pour faire face à ce type de situation. Car la mesure n'est pas actuellement envisagée.

La préparation à la pandémie, sur ce point particulier, pêcherait-elle ? «Plus généralement, note le maître de stage, la question de la prise de conscience du risque par l'ensemble des acteurs reste posée. La difficulté de recruter des volontaires parmi les médecins, pour participer à l'exercice, est symptomatique» (voir encadré).

Un risque pas plus important qu'en 2005

Participant à l'exercice « Exogrippe 4 », la ministre de la Santé a affirmé que «le risque d'une pandémie aviaire n'est pas plus important» actuellement qu'en 2005. Roselyne Bachelot a toutefois insisté sur la nécessité de «se préparer» à une «éventuelle urgence (...) On peut toujours observer une mutation du virus, a-t-elle noté, mais, pour l'instant, les foyers de grippe aviaire restent extrêmement localisés». L'exercice « zonal » de Bordeaux sera complété par un exercice national en décembre, a annoncé la ministre. En France, la découverte de trois cygnes morts, cet été, dans la Moselle, et la confirmation de leur infection par le virus H5N1 doivent inciter au maintien de la vigilance.

50 médecins sollicités

Pour recruter les sept médecins volontaires dans le cadre de l'exercice « Exogrippe », l'URML (union régionale des médecins libéraux) d'Aquitaine a dû solliciter pas moins d'une cinquantaine de généralistes. Il est vrai, analyse le Dr Dany Guérin, vice-président de l'union, que l'indemnisation prévue n'était guère incitative, fixée à seulement 1 C. L'URML-A a dû tripler la mise sur ses propres budgets, la portant à 3C. Cela dit, le Dr Guérin se félicite du bon niveau de participation des médecins aux séances de FMC organisées sur la pandémie aviaire. A la fin de novembre, 40 % des généralistes de la région en auront bénéficié.

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8255