« NOUS SOMMES à la fois des athlètes au sens de pratiquants de l'athlétisme. Et aussi des médecins. Nous vous exprimons notre désaccord. » Ainsi s'expriment, dans une lettre ouverte adressée à la Fédération française d'athlétisme (FFA), une trentaine de médecins généralistes qui demandent aux dirigeants de la FFA de « revenir à la raison ». « Nous en avons ras-le-bol, expliquent-ils, de ces certificats qui sont demandés pour tout et n'importe quoi, qui entraînent une surcharge de travail inutile et ne protègent nullement la santé de l'athlète. Car si tel était le cas, nous ne refuserions pas de les faire. » Le chiffon rouge de la grève de la certification est donc agité. Les signataires ne sont pas loin de passer à l'acte. Ils se considèrent comme les porte-parole d'une réaction massive de rejet, exprimée dans beaucoup de cabinets de généralistes.
La pomme de discorde, c'est la loi du 5 avril 2006, dite loi Lamour. Un texte qui a relevé le degré de sécurité médicale dans la pratique sportive en renforçant la lutte contre le dopage, d'une part, et la surveillance des sportifs, amateurs et professionnels, d'autre part. L'article 18 du texte précise qu'un certificat doit attester l'absence de contre-indication à la pratique de l'APS (activité physique ou sportive). Avec deux nouveautés : la mention « en compétition ». Et l'obligation de rédiger un certificat spécifique pour chaque discipline, un certificat unique n'étant plus recevable pour l'ensemble des pratiques (exception faite pour quelques sports particuliers, tels la boxe, la plongée sous-marine, la course automobile, pour lesquels sont définies des conditions d'aptitude plus restrictives).
Un surcroît de travail non reconnu par la Sécu.
« Ce qui nous choque surtout, s'insurge le Dr Christian Bonnaud, généraliste et coureur à pied compétiteur de 57 ans, à La Meilleraie-Tillay (Vendée), c'est le fait que, jusqu'à présent, tout licencié de n'importe quelle fédération pouvait, en présentant sa licence, participer à une course sur route et que ce n'est plus possible aujourd'hui. Or, explique le praticien, adepte de longue date du marathon, nous faisons un examen annuel pour tout sportif licencié dans un club, un examen très peu différent d'un sport à l'autre. Il serait donc très simple de valider la licence obtenue pour une discipline pour concourir dans un autre sport. Mais on veut nous obliger à multiplier les documents, avec un surcroît de travail que la Sécurité sociale persiste à ne pas reconnaître. »
À la Fédération, le président de la commission médicale, le Dr Frédéric Depiesse, se déclare « parfaitement conscient de la problématique soulevée par les généralistes. Mais, argumente-t-il, en tant que délégataires de service public, nous ne pouvons que respecter les exigences de la loi. Et en tant que médecins, nous devons nous inscrire dans une démarche de santé publique pour prévenir les accidents auxquels s'exposent les amateurs. En athlétisme, ces coureurs du dimanche sont particulièrement nombreux à ne pas être titulaires d'une licence et à s'inscrire à des compétitions : on recense plus de 5 millions de compétiteurs, contre 170 000 licenciés. Beaucoup d'entre eux participent sans entraînement à des épreuves où, passé un certain âge, ils encourent des risques élevés. Qui mieux que leur généraliste est à même de procéder à un préscreening, pour les mettre à l'abri des morts subites ou d'accidents graves ? Le certificat exigé pour courir relève du principe de précaution appliqué à la médecine préventive. Quant à la surcharge de travail occasionnée pour le généraliste, elle reste à démontrer : en mettant ses patients à l'abri d'un accident, il s'épargne des interventions ultérieures souvent nombreuses et délicates. Au final, tout le monde est gagnant. »
Mais les protestataires balaient l'argument fédéral : « Les nouvelles règles, objecte le Dr Bonnaud, risquent surtout de provoquer la désaffection de beaucoup de sportifs, qui renonceront à courir pour s'épargner une visite médicale. Quant à ceux qui iront voir leur médecin, ils se verront le plus souvent délivrer un document sans valeur médicale, rédigé, faute de temps, sur un coin de bureau. »
Un acte nullement anodin.
Cette pratique du CNCI établi comme une simple formalité administrative entre deux patients a la vie dure. Et pour cause : la nomenclature de la Caisse nationale d'assurance-maladie s'obstine à ignorer un acte qui nécessite plus de temps pour le praticien qu'une simple consultation (lire encadré). « Un acte nullement anodin, souligne le Pr Pierre Rochcongar, président de la SFMS (Société française de médecine du sport), car il comporte un risque objectif pour le médecin certificateur, quelle que soit la discipline sportive. D'où le nombre croissant de généralistes qui hésitent et refusent de rédiger le CNCI. »
La mésaventure judiciaire d'un généraliste parisien reste dans les esprits : pour avoir délivré un certificat de NCI à la pratique de la boxe américaine à une patiente myope, celui-ci s'était vu condamné à 60 000 euros de dommages et intérêts, la boxeuse ayant été victime d'un décollement de la rétine à l'issue d'une séance d'entraînement (« le Quotidien » des 17 février et du 12 octobre 2006).
Le directeur administratif et juridique de la FFA tire argument de cette jurisprudence : « La nouvelle mesure, qui demande un certificat spécifique pour chaque discipline, répondà la demande de médecins auprès du ministère, afin vraisemblablement de leur éviter tout risque de contentieux. »
Non seulement la FFA n'envisage donc pas de revenir sur les nouvelles règles de certification, mais le Dr Depiesse confie que, « dans le cadre du nouveau règlement médical fédéral, l'obligation du certificat devrait être bientôt étendue aux titulaires d'une licence de loisirs ». Prévention oblige.
Mais cette prévention par le certificat reste illusoire, persiste à affirmer le Dr Bonnaud : « Au cours de ma longue carrière de marathonien, témoigne-t-il, j'ai été personnellement témoin de deux décès parmi des coureurs. Or tous deux avaient produit un CNCI aux organisateurs. »
Un outil en ligne pour les certificateurs
Examen biométrique, cardio-vasculaire, neurosensoriel, remarque sur l'état psychocomportemental, palpation abdominale, examen cutané, examen ORL : les différentes rubriques de la fiche examen de non-contre-indication aux activités physiques et sportives passent en revue les principaux items utiles dans l'élaboration d'un dossier de non-contre-indication aux activités physiques et sportives. C'est une généraliste de Haute-Garonne, le Dr Florence Buchet, qui a élaboré ce document, qu'elle a testé en 2004 auprès de 200 généralistes de l'agglomération toulousaine, ainsi que des experts en médecine du sport. Pour faciliter l'examen, le Dr Buchet a également rédigé une fiche de recueil de données destinée à être remplie par le patient : niveau de pratique sportive, motivation, antécédents personnels et familiaux, état général, signes fonctionnels, habitudes de vie.
La commission médicale de la FFA envisage de diffuser ces outils pour aider les généralistes dans une procédure d'évaluation où beaucoup d'entre eux souffrent d'un manque d'outils de référence. Au total, la praticienne estime à 45 minutes le temps de consultation nécessaire pour établir un CNCI dans les règles de l'art. Ce qui nécessite de revoir le montant des honoraires, nécessairement supérieur au C.
Documents téléchargeables sur www.dossiernci.fr.st.
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