Les conduites de dépendance surviennent chez des personnalités diverses. Comment déceler en amont celles qui sont plus vulnérables ? C'est ce qu'a cherché à établir le réseau Dépendance, réseau de recherche clinique soutenu par l'INSERM, la CNAM et la Fondation de France, qui réunit chercheurs, cliniciens, épidémiologistes, psychiatres et psychologues. Objectifs : rechercher les dimensions psychopathologiques communes aux conduites de dépendance quelle que soit l'addiction, définir une politique de prévention individualisant des facteurs de risque et organiser des traitements mieux adaptés et plus précoces.
Une étude, conduite sous l'égide des Prs Maurice Corcos et Philippe Jeammet (Paris), a porté sur 660 patients souffrant de comportements addictifs (troubles des conduites alimentaires, dépendance à l'alcool ou aux drogues illicites), comparés à autant de témoins appariés pour l'âge, le sexe et la catégorie socioprofessionnelle. Douze centres européens (dix français, un belge, un suisse) y ont participé. Et pour cerner les conduites addictives dans leur dimension évolutive, deux groupes d'âge ont été distingués : 15-24 ans et 25-50 ans.
Dépression et alexithymie
Chez les sujets dépendants, on a trouvé beaucoup plus souvent que chez les autres des niveaux élevés de dépression, de dépendance affective, de recherche de sensations, d'alexithymie (difficulté de percevoir et d'exprimer les émotions ressenties), de troubles de la personnalité ainsi que d'antécédents d'anxiété de séparation.
La dépression apparaît comme le plus important facteur prédictif d'addiction puisque c'est celui qui permet le mieux de faire la distinction entre sujets souffrants et sujets sains. Pour les auteurs de l'étude, l'addiction peut ainsi être considérée comme : la conséquence d'une dépression primaire, une lutte antidépressive ; un équivalent comportemental et corporel de la dépression chez les sujets vulnérables ; un facteur de risque avéré de dépression secondaire.
Après la dépression, le deuxième facteur commun aux personnes dépendantes est l'alexithymie, les victimes de troubles alimentaires étant les plus touchées.
Autre tendance beaucoup plus fréquemment retrouvée chez les patients dépendants, ce qui n'est pas surprenant : les conduites suicidaires. Sur l'ensemble des participants à la recherche, 334 ont fait une ou plusieurs tentatives de suicide : 285 parmi les patients dépendants et 49 dans le groupe témoin. Les personnes dépendantes de l'alcool et de la drogue et surtout les boulimiques sont les plus tentés par le suicide.
La comparaison des deux populations inspire pour finir aux chercheurs deux observations sur la consommation de produits toxiques. La recherche de sensations va certes favoriser la consommation face à « l'offre très répandue d'un produit toxique », mais elle ne suffit pas à elle seule pour que s'installe l'addiction : « Au-delà de la répétition de la consommation, c'est l'incapacité à y renoncer qui signe la dépendance. »
La deuxième remarque va à l'encontre d'une notion à la mode : les chercheurs estiment que leurs observations incitent à « relativiser la diabolisation » des médicaments psychotropes, en tout cas en ce qui concerne la dépendance : ils constatent en effet la rareté de l'autoprescription chez les sujets non-dépendants comme la rareté de l'usage de ces médicaments à des fins toxicomaniaques chez les dépendants.
* « Les Conduites de dépendance », Maurice Corcos, Martine Flament, Philippe Jeammet, Masson, 440 pages, 53 euros, en librairie à partir du 20juin.
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