« BONJOUR, J'AI la CMU, je voudrais un rendez-vous avec le Dr X. » Ainsi s'est présenté à quelque 200 médecins et dentistes (ou à leurs secrétaires) de six villes du Val-de-Marne un acteur chargé par le fonds CMU (1) de jouer les patients lambda.
La méthode est celle du « testing téléphonique » ; elle a permis, selon le fonds CMU, d'observer effectivement les pratiques dans un domaine où le discours ne reflète pas forcément la réalité (le fait de ne pas recevoir les patients inscrits à la CMU « n'est pas toujours avoué par les praticiens », note le rapport sur lequel débouche aujourd'hui l'enquête, menée en 2005).
En aucun cas représentative - le fonds CMU insiste sur ce point - ni du département (dans la mesure où les zones rurales ont été exclues), ni de la région parisienne et encore moins de la France entière, cette étude débouche sur des chiffres suffisamment alarmants pour que le ministre de la Santé crie immédiatement à la « discrimination » et saisisse sans attendre l'Ordre des médecins.
Il faut dire que dans le Val-de-Marne, toutes spécialités et secteurs d'exercice confondus, 14 % des cabinets « testés » ont refusé de recevoir un patient en CMU ; ce taux s'élève à 39,1 % chez les dentistes (sollicités pour des soins de base et non pour le cas particulier des prothèses). Dans certains cas, les professionnels qui ont refusé un rendez-vous ont fait une proposition alternative, conseillant le plus souvent au patient de se rendre à l'hôpital, ou bien l'orientant vers un autre professionnel libéral, ou bien lui proposant de payer un dépassement (ce qui est illégal - voir encadré).
Le rapport met au jour de très importantes disparités entre généralistes et spécialistes et entre secteurs d'activité. Se retrouvent particulièrement montrés du doigt les spécialistes (41 % refusent de soigner les CMU) et encore plus précisément les spécialistes installés en secteur II (dont le taux de refus approche les 50 %). Le fonds CMU en conclut que les causes de refus sont à rechercher avant tout sur le terrain économique, et notent que la prise en charge de patients au tarif Sécu peut constituer un « manque à gagner » pour les spécialistes à honoraires libres. Lesquels en sont même de leur poche quand les patients consultent, logiquement en tiers payant, « hors parcours de soins » - un cas de figure dont ne relevait pas le scénario de l'étude.
A l'issue de son enquête téléphonique, le fonds a rencontré quelques uns des médecins testés. De ces entretiens, il conclut une nouvelle fois à la prévalence de la logique économique, mais aussi à la « méconnaissance de la loi » de la part des professionnels de santé, et à une assimilation de la CMU à de l' « assistance » ou à de la « charité ». Un glissement qui suggère que la prise en charge des plus démunis devrait se faire « ailleurs qu'en cabinet libéral ».
Zéro de conduite ?
Ce sont des syndicats mi-figue mi-raisin qui accueillent les chiffres du fonds CMU. Ils sont d'abord très critiques sur la méthode. « Sans parler du passage par les secrétariats, qui peut être source de malentendus, le testing, utilisé dans les boîtes de nuit, me paraît peu adapté à la pratique médicale ; les soins ne sont pas encore des produits comme les autres », ironise le Dr Jean-François Rey, président de l'Umespe (Union nationale des médecins spécialistes confédérés). Ils mettent ensuite en avant les incohérences du dispositif de la CMU - des arguments réfutés par l'assurance-maladie.
Jean-Claude Michel, président de la Cnsd (Confédération nationale des syndicats dentaires) rappelle avoir « levé le lièvre dès janvier 2005 ». « Nous avons dit dès cette époque, explique-t-il, que les bénéficiaires de la CMU-C ne pourraient plus avoir accès aux soins [dont les tarifs ont été finalement réévalués au début du mois] parce que le cadre financier ne le permettait pas. »
Pour le Dr Rey aussi, il y a des « scories du dispositif que l'Etat doit effacer » (il cite « l'incivilité » de certains patients, les « abus » d'attribution de la CMU, la « pénalisation » financière des médecins de secteur II prenant en charge les CMU hors parcours...). Cependant, « s'il y a des explications » aux comportements constatés par le fonds CMU, « elles ne sont pas des excuses », insistent aussi bien Jean-François Rey que Jean-Claude Michel qui en appellent tous les deux, tout comme l'ordre départemental des médecins du Val-de-Marne, au respect de l'éthique professionnelle.
(1) Le fonds CMU est un établissement public national, chargé notamment de suivre et d'analyser le fonctionnement de la CMU complémentaire. Il a mené cette enquête, qui peut être consultée en ligne (www.cmu.fr), avec le groupe d'études et de recherche en santé publique Dies.
Une pratique illégale
Le rapport du fonds CMU note que «certains praticiens semblent ne pas savoir qu’ils ne peuvent refuser un patient en CMU». De fait, c’est impossible à double titre : la pratique est à la fois illégale et déontologiquement condamnable. En effet, la loi fait obligation aux professionnels de santé de recevoir les bénéficiaires de la CMU, assurés sociaux comme les autres, et de respecter les tarifs de la Sécurité sociale (les médecins n’ont le droit ni de refuser de pratiquer le tiers payant, ni d’appliquer de dépassements aux patients en CMU) ; les codes de déontologie proscrivent, quant à eux, toute discrimination.
Estimation des taux de refus de soins imputable à la CMU par catégories de professionnels | |
Catégorie | Refus |
Médecins généralistes (Secteur I) | 1,6 % |
Médecins généralistes (Secteur II) | 16,7 % |
Médecins généralistes (Secteurs I et II) | 4,8 % |
Médecins spécialistes (Secteur I) | 23,1 % |
Médecins spécialistes (Secteur II) | 49,1 % |
Médecins spécialistes (Secteurs I et II) | 41,0 % (4) |
Dentistes | 39,1 % |
Source : Dics/Fonds CMU. |
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