ILS NE CACHENT PAS LEUR JEU. Peut-être croient-ils – prématurément – que, à 78 ans, Jean-Marie Le Pen est au bout du rouleau et que ses successeurs ne sauront pas retenir leurs sympathisants. Chacun à sa manière – M. Sarkozy en prononçant un discours démagogique, M. de Villiers en publiant un livre faussement sensationnel – tente de peupler les rangs de son parti en piochant dans le Front national.
On a quelque raison d’accueillir leur démarche avec un soupçon de scepticisme dès lors qu’elle n’est pas nouvelle et qu’elle a échoué les fois précédentes. Comme le dit fort bien M. Le Pen, les électeurs du FN n’ont aucune raison de choisir le succédané quand ils ont le produit d’origine. M. Sarkozy découvre soudain une formule qui faisait mouche il y a bien un quart de siècle («S’ils n’aiment pas la France, on ne les retient pas») ;il nous avait habitués à moins de démagogie. Et il n’est pas crédible : on voit mal comment l’homme qui a inventé l’expression de discrimination positive peut se poser en pourfendeur des « étrangers ». Il nous répondraqu’il s’est créé une panoplie éclectique d’arguments : il veut nettoyer les quartiers au Kärcher au nom de la sécurité, mais c’est quand même lui qui a voulu que les musulmans de France créent leurs associations cultuelles ; il n’a pas froid aux yeux quand il faut réprimer, renvoyer chez eux les sans-papiers ou refouler les nouveaux immigrés, mais il ne veut que du bien aux minorités installées légalement en France.
Villiers journaliste.
C’est déjà plus subtil, mais aussi plus compliqué, et cela ne nourrit guère les formules à l’emporte-pièce qui soulèvent l’enthousiasme des masses. Pour ratisser plus large, M. Sarkozy se fait donc plus méchant qu’il n’est en réalité et prononce des mots qui n’auront aucun rapport avec la politique qu’il appliquerait.
Philippe de Villiers, en revanche, est tout entier contenu dans ce qu’il dit. Comme ses idées sont parfois difficiles à distinguer de celles de M. Le Pen, on comprend mal qu’il dispose d’un parti distinct et comme c’est au Front qu’il cause le plus de tort, c’est au sein du Front qu’il est le plus haï. Tant il est vrai que Jean-Marie Le Pen est parfaitement à l’aise dans son parti minoritaire qui a failli l’emporter en 2002, mais failli seulement, et ne supporte pas plus que l’on tente de l’affaiblir qu’il n’a l’ambition de le faire progresser.
Ce qui condamne M. de Villiers, c’est sa méthode : ne voilà-t-il pas qu’il se découvre une vocation de journaliste et qu’il publie un livre pour décrire les Aéroports de Paris comme un nid de terroristes ? Preuves à l’appui, affirme-t-il ; pour être aussitôt démenti par les renseignements généraux et par les journalistes à qui il a emprunté leur travail. Il ne peut rien y avoir de pire, dans le domaine de la communication, que de livrer au public un bobard qui est caractérisé comme tel dans la minute où il est publié ; la preuve est ainsi fournie que celui qui l’a élaboré sur des preuves manifestement insuffisantes n’aurait jamais dû y croire pour commencer. C’est comme une voiture de course qui cale à la seconde du départ. Allez savoir pourquoi le politicien Villiers s’est décrédibilisé en se lançant dans une opération pour laquelle il n’avait aucune expérience !
CE SONT LES % DE LE PEN QUI RUINENT LA DROITE CLASSIQUE DANS CHAQUE CONSULTATIONDu fiel à répandre.
En d’autres termes, personne ne dira que M. Sarkozy est un fasciste ou un raciste, alors que M. de Villiers, en disant que l’islam pose le même problème que l’islamisme, a soulevé l’indignation des musulmans de France, dont beaucoup sont nos concitoyens. Dans cet exercice, il a déjà excellé et, logiquement, il devrait exercer sa séduction sur les électeurs lepénistes, pour autant qu’ils aient le sentiment que la maison du Front est en train de s’écrouler. Ce qui n’est pas sûr, dès lors que tout ce dont on dispose comme signe avant-coureur (et en dehors des querelles intestines déclenchées par la succession), c’est l’âge du président du Front. Mais enfin il n’est pas le seul à prendre de l’âge, 2007 n’est pas loin, et il a encore assez de fiel à répandre pour neutraliser ces jeunes gens de la droite prompts à le disqualifier.
Cela dit, ne soulignons pas à l’excès le parallèle entre Nicolas et Philippe, qui ne jouent pas dans la même cour. M. de Villiers se contente d’exister et il se bat pour un point de pourcentage. Pour M. Sarkozy, l’enjeu est infiniment plus important. Il voit que le pays est majoritairement à droite, mais que Le Pen prive la même droite et, à chaque consultation, d’environ 15 %. Si Le Pen n’existait pas, la gauche n’aurait aucune chance ; elle bouge beaucoup, elle peut gouverner longtemps, mais il y a dans ce pays un écart (en faveur de la droite) d’environ 10 points de pourcentage entre le total des voix de droite (extrême comprise) et le total des voix de gauche. M. Sarkozy ne fait rien d’autre que d’appliquer cette analyse, en une année où les revers de la majorité sont innombrables et accablants. Il peut assurément réunir autour de son nom, et au second tour, la totalité des voix de la droite parlementaire. Cela ne suffira pas. Et il s’efforce donc de convertir au moins une fraction des partisans de M. Le Pen.
De 2002 à 2007.
Toutefois, rien de tout cela n’est nouveau, ni l’état des forces politiques en présence, ni le rôle joué par le FN, ni les efforts de l’UMP pour s’imposer comme un parti rassembleur. C’est pourquoi la stratégie du ministre de l’Intérieur n’est guère originale. Comme il n’est pas un saint, il pourrait aller un peu plus loin dans le cynisme et, au lieu d’essayer de prendre des votes à Le Pen, le laisser enfler de telle sorte que se reproduirait en 2007 le scénario de 2002 : la gauche éliminée au second tour et une voie royale pour la droite classique.
Hélas, M. Sarkozy a une très bonne raison de ne pas croire à un bégaiement de l’histoire : tout démontre que la gauche a le vent en poupe, que le peuple, depuis les étudiants jusqu’aux salariés du public, en passant par les fonctionnaires, a bel et bien l’intention de sanctionner la droite et de voter, cette fois, massivement à gauche. Pour les deux tours.
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