Le Temps de la Médecine
Un journaliste américain original, Norman Cousins, a marqué dans les années 1970 le début d'une prise de conscience des effets thérapeutiques du rire. N. Cousins s'est guéri d'une spondylarthrite ankylosante avec des films des Marx Brothers et a raconté ce succès thérapeutique dans un livre, intitulé « la Volonté de guérir ».
Aujourd'hui, des travaux cliniques crédibles scientifiquement sont régulièrement publiés. C'est en cardiologie qu'ils sont le plus nombreux. Une étude présentée lors du dernier congrès de l'American Heart Association montre que les personnalités qui ont un sens de l'humour actif sont protégés contre l'infarctus du myocarde. Les auteurs relèvent en effet que « les sujets ayant une maladie cardiaque ont une propension de moitié moindre à rire dans une situation donnée que ceux qui sont protégés ». Aspect non négligeable de ce travail : le rire appris a les mêmes qualités que le penchant naturel à s'amuser de tout.
La thérapie par le rire est également expérimentée en psychiatrie. La diminution des scores d'hostilité et de colère témoigne de manière précise de l'effet sur l'humeur, confirmé par des tests évaluant les composantes dépressives.
Le rire peut être utilisé dans le cadre d'une technique cognitive pour augmenter la tolérance à la souffrance et diminuer les sensations de douleur (Weisenberg et coll.). Des résultats concrets ont été obtenus chez l'enfant en cancérologie. C'est ainsi que les clowns sont entrés dans les hôpitaux avec le succès que l'on sait (avec l'association Le Rire médecin, notamment).
Jogging stationnaire
Par quelles voies s'exercent les bienfaits du rire ? « Le rire est une réponse physique involontaire à une émotion plaisante », explique le neurologue Henri Rubinstein. C'est un réflexe à une stimulation physique ou psychique.
Les effets physiologiques s'organisent à trois niveaux :
- Musculaire, correspondant à des effet relaxants qui s'apparentent à une gymnastique douce, un « jogging stationnaire », selon l'expression du Dr Rubinstein, avec une onde musculaire qui se propage progressivement en partant du sourire au niveau facial (relâchement des muscles masticatoires) et passe par les muscles thoraciques, puis abdominaux (massage des organes internes, relaxation du diaphragme et aide aux phénomènes de la digestion), ce qui implique les muscles du dos, des cuisses, etc.
- Respiratoire : le rire produit une séquence proche des respirations du yoga, composée d'une inspiration brève suivie d'une pause, puis d'une expiration lente et saccadée. La quantité d'air ventilé augmente, pouvant atteindre les deux litres au lieu du demi-litre ventilé en période habituelle. L'air de réserve est renouvelé, l'alcalose est combattue.
- Neuro-hormonal : il est maintenant prouvé que le rire augmente la production d'un certain nombre de neuromédiateurs. L'organisme augmente la synthèse des hormones de la série des endorphines, qui ont une action antidouleur, diminuent l'anxiété et régularisent l'humeur. Une diminution de la prise des antalgiques est montrée dans des études cliniques menées sous « gélothérapie », du grec gelos, rire.
L'activité immunitaire
Le rire met également en jeu des phénomènes chimiques qu'on commence à mieux connaître. Il entraîne une augmentation de la synthèse de sérotonine, neuromédiateur qui est diminué dans la dépression. Il peut combattre les petites dépressions et favoriser le sommeil (contrôlé par l'action de la sérotonine).
Un effet anti-inflammatoire, par stimulation de la substance P a par ailleurs été montré, ainsi qu'une action bénéfique sur le système immunitaire. Un travail mené chez 52 étudiants en médecine a montré des résultats significatifs après visionnement d'une vidéo comique : activité accrue des cellules NK, augmentation des lymphocytes T et des immunoglobulines G, A et M. Plus de douze heures après le film comique, l'INF gamma restait augmenté ainsi que les immunoglobulines (L. Berks et coll., mars 2001).
En parallèle, se produisent des modifications du système nerveux autonome. Le rire est sous contrôle du système parasympathique, qui vient contrecarrer les effets sympathicotoniques du stress. La stimulation parasympathique induit une diminution de la tension artérielle, du rythme cardiaque, de l'adrénaline, une augmentation du calibre bronchique (étude notamment de S. Sakuragi et coll., 2002). Par cette voie neuro-hormonale du système nerveux autonome a été montré un intéressant effet « viagra-like », avec, sous l'effet du rire, une ouverture des vaisseaux qui mènent le sang au pénis (cette action est contrôlée par le système parasympathique et le rire ne s'apparente pas à un aphrodisiaque).
Le rire forme aussi une « barrière psychologique », explique le Dr Rubinstein. Sourire et rire représentent une façon de s'ouvrir à l'autre, un acte social de communication dans le groupe. On peut rire ensemble même si l'on ne se comprend pas. Rire peut être une manière de se protéger contre les agressions ou de gérer les effets d'un événement traumatisant.
Une étude a montré que les Français rient de moins en moins : d'une vingtaine de minutes quotidiennes en 1939, on est passé actuellement à une moyenne de six minutes. Voilà un domaine où il serait judicieux de reprendre les anciennes pratiques.
Références : « Psychosomatique du rire », Henri Rubinstein, Robert Laffont, coll. Réponses/Santé. « Rire pour vivre », Bernard Raquin, Editions Dangles. « Le rire », « Science et Avenir », hors série n° 115, juillet-août 1998.
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