SOIXANTE-DEUX POUR CENT des Français atteints d'un cancer et 66 % des malades européens souffrent de douleurs modérées à sévères, malgré la disponibilité de médicaments efficaces. Pour 26 % des malades français et 33 % des malades européens, l'épreuve physique est si rude qu'ils souhaient mourir, révèle une étude européenne sur le sujet. Présentée lors du congrès de l'Association européenne des soins palliatifs (Eapc), qui s'est tenu à Budapest du 7 au 9 juin, elle montre que les maux endurés, souvent traités de façon inappropriée, réduisent significativement la qualité de vie. Réalisée auprès de 4 824 cancéreux, en France (642 patients), au Danemark, en Finlande, en Irlande, en Italie, en Norvège, en République tchèque, en Roumanie, au Royaume-Uni, en Suède, en Suisse et en Israël, l'enquête Epic (European Pain In Cancer) est la plus vaste de ce type. Elle a permis d'évaluer l'impact et le traitement des algies dans les tumeurs malignes*. En France, bien que, pour 46 % des personnes (33 % en Europe), la douleur ait été le motif de consultation à l'occasion du diagnostic, et alors que la maladie est traitée correctement, la prise en compte de maux physiques laisse à désirer. Soixante-seize pour cent des malades interrogés font état dans le mois précédent de douleurs qui, pour un quart d'entre eux (un tiers des malades européens), sont ressenties de manière fréquente et chronique depuis plus d'un an. Il s'ensuit pour la moitié (un tiers des malades européens) une vie qui n'est «pas normale». Près de 3 sur 5 (2 sur 5 des malades européens) ont le sentiment que cela affecte les relations avec leur famille, sachant que celle-ci ne peut comprendre leur douleur. Souffrance rime avec silence.
Prêt à payer n'importe quel prix pour ne pas souffrir.
Or les médicaments contre la douleur existent et sont prescrits. Mais pour 65 % des Français et des Européens, le traitement n'est pas suffisamment adapté. Un sur trois évoque une douleur «intolérable». Quatre-vingt-deux pour cent (62 % des européens) des malades sous médicaments connaissent des accès douloureux, brefs et intenses : chez un sur deux, ces épisodes surviennent au moins une fois par semaine et quotidiennement pour un sur quatre. Et en dépit de cette preuve évidente d'un contrôle insuffisant de la douleur, seulement 22 % (34 %) reçoivent un opioïde fort. Alors, 65 % des patients français et européens font appel à des massages ou à des méthodes fondées sur la chaleur, et 28 % (33 % des européens) prennent des antalgiques délivrés sans ordonnance. Un patient sur deux serait prêt à payer «n'importe quel prix pour un traitement efficace».
L'enquête met l'accent sur le colloque singulier. Un tiers des patients pensent que leur médecin n'a pas assez de temps pour discuter de la douleur.
Au total, commente le Dr Franco de Conno (Milan), directeur honoraire de l'Eapc, «les praticiens devraient communiquer régulièrement à propos de la douleur, en mettant à la disposition de leurs patients des traitements efficaces».
* L'enquête a été financée par une bourse de recherche accordée par Mundipharma International Limited. Les patients ont été recrutés à partir d'un large échantillon incluant tous les stades de la maladie (local, locorégional, métastasique).
Ce qu'ils en pensent
David Khayat : « Il faut former les médecins »
«J'observe que l'on fait mieux que les autres pays européens; et la France a amélioré la prise en charge de la douleur au cours de ces dernière années. N'oublions pas qu'il y a moins de dix ans, il fallait un carnet à souches pour prescrire des médicaments appropriés. Aujourd'hui, dans 75% des situations, le problème est tout de même réglé. Nous avons mangé notre pain blanc. Il reste du chemin à faire. Il convient de travailler sur les cas les plus difficiles, notamment ceux qui associent douleur physique et souffrance morale. Il faut continuer de former les médecins, dans le cadre de la formation initiale et continue, et inciter les généralistes à recourir aux bonnes pratiques en matière de traitement antalgique et à l'utilisation des opioïdes.»
Le Pr David Khayat, président honoraire de l'Institut national du cancer, est chef du service d'oncologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).
Henri Pujol : « Ne pas souffrir est un droit »
«Il apparaît indispensable de traiter de façon chronique la douleur. On ne peut plus intervenir seulement lors des paroxysmes douloureux. De 80 à 90% des situations requièrent une prise en charge par des soignants de proximité, tandis que les cas difficiles renvoient aux algologues.
«Il était stupide de dire, il y a encore quelques années: “Vous souffrez parce que vous êtes opéré.”En 2007, vous êtes opéré, donc vous bénéficiez d'un traitement. C'est là un changement majeur de conception de la prise en charge de la douleur. Grâce à Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, ne pas souffrir est devenu un droit. Cela étant, je ne peux oublier que, il y a encore vingt ans, 80% des patients cancéreux ressentaient des douleurs insupportables, intolérables que nous traitions à la demande.»
Le Pr Henri Pujol, cancérologue, est président de la Ligue contre le cancer.
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