TROIS CENTS dollars pour un rescapé du tremblement de terre d’Asie du Sud contre 27 dollars pour une victime de la famine dans la Corne de l’Afrique. La distorsion dans le niveau d’aide pour les catastrophes, selon qu’elles sont spectaculaires et illuminées par les feux des médias, ou qu’elles tuent dans l’ombre et l’indifférence internationale, excède un ratio de un à dix. La crise alimentaire qui a frappé en 2005 et 2006 le Malawi, l’un des pays les plus pauvres de la planète, illustre dramatiquement le sort fait aux catastrophes négligées. Des catastrophes peu télégéniques. Des pluies erratiques, combinées à un accès insuffisant à la nourriture, aux semences et aux engrais, ont conduit les plus vulnérables des habitants du Malawi à une situation précaire. Une situation d’autant plus critique que la population est exposée au VIH/sida, qui connaît une prévalence très élevée, avec une situation sanitaire déplorable, une mortalité maternelle dramatique, une misère aggravée par l’augmentation du prix du maïs.
Huit mois pour prononcer l’état d’urgence.
Après avoir consommé la majeure partie des graines destinées aux semailles, les habitants ont vendu leurs biens, jusqu’à leurs couvertures et leurs vêtements, diminué le nombre des repas, en se contentant de consommer l’enveloppe des épis de maïs, des racines sauvages, des mangues vertes. D’après la Croix-Rouge, il a fallu huit mois pour que, malgré l’accumulation des signes annonciateurs de la crise, le gouvernement se décide enfin à déclarer l’état d’urgence. Des bailleurs institutionnels du Royaume-Uni et de la Commission européenne ont eu beau répondre rapidement par des contributions destinées à reconstituer la réserve céréalière du pays (60 000 tonnes de maïs), les donateurs privés ont pu accroître leurs contributions planifiées en réponse à l’appel flash des Nations unies. Le nombre des personnes qui nécessitaient à la fin de 2005 une aide alimentaire d’urgence atteignait cinq millions.
En 2006, l’aide humanitaire a permis d’éviter que cette population ne soit décimée par la faim. Mais elle n’a pas assuré le relèvement agricole, avec la diffusion de nouvelles techniques plus productives, ni freiné l’escalade de la malnutrition parmi les enfants. Elle n’a pas davantage enrayé les mécanismes d’appauvrissement des ménages, happés dans des processus de destruction et de dénuement. Tous les paramètres restent donc réunis pour qu’éclate à court terme une nouvelle crise, selon un cercle vicieux que nul ne songe à briser. Le rapport 2006 de la Croix-Rouge internationale multiplie les exemples de ces catastrophes pour lesquelles les réponses apportées, parce qu’elles sont partielles, entretiennent le risque d’une nouvelle catastrophe, voire d’une surcatastrophe.
Accumulation de facteurs sociaux délétères.
Au Guatemala, la Coordination nationale pour la réduction des désastres (Conred) a montré comment, après le passage de l’ouragan Stan, qui a ravagé plus d’un tiers du territoire national, les facteurs sociaux délétères accumulés ont entraîné une surcatastrophe pour les millions de citoyens misérables des hauts plateaux de l’Ouest : instabilité politique critique avec un millier de communautés, violence sociale extrême (autant de morts par homicides au cours des cinq dernières années que lors du grand tremblement de terre de 1976), discriminations ethniques et racistes menaçant systématiquement des groupes comme l’ethnie maya, exclusion et isolement géographique avec un réseau routier médiocre, les réseaux sociaux étant mis sous pression. Sans oublier l’émergence de risques nouveaux comme le VIH/sida. Après Stan, comme après l’ouragan Mitch, qui avait ruiné le pays sept ans plus tôt, le défi de la réduction du risque des catastrophes nécessite donc des parades tout autant sociales, économiques et politiques que la mise en place de dispositifs techniques pour prémunir les populations des effets directs des ouragans. Comme au Malawi, on peut donc écrire aujourd’hui la chronique des catastrophes à venir annoncées.
Au Népal, la catastrophe oubliée est plus insidieuse encore. La tragédie cachée se déroule en sourdine : chaque année, ce sont près de 3 000 mères qui meurent en raison d’hémorragies post-partum. Une rapide transfusion suffirait à les sauver, mais, au Népal, le sang fait cruellement défaut. Il existe bien un service du sang géré par la Croix-Rouge, basé sur le don volontaire, mais les fonds publics indispensables pour faire fonctionner les services manquent. L’exemple du Népal est limite : certains spécialistes estiment que l’on ne saurait qualifier la situation de catastrophique, dans la mesure où cet adjectif désigne un écart majeur par rapport à une situation normale. Parler de catastrophe implique qu’il faut agir dans l’immédiat. Or le problème ne saurait être résolu dans l’urgence d’une crise, mais dans 3 000 urgences individuelles qui constituent un tableau constant, un tableau qui ne pourra être modifié qu’au prix d’un processus complexe et de longue haleine : tout le système de santé doit être revu en dotant les centres de soins d’équipements pour les urgences obstétricales, en formant du personnel qualifié, en accroissant la sécurité des interruptions de grossesse et en effectuant la promotion d’un meilleur accès aux soins pour les plus vulnérables.
Des objectifs rendus d’autant plus difficiles à atteindre que le contexte politique et sécuritaire du pays est chaotique, les organisations humanitaires voyant leurs interventions entravées par les affrontements entre guérilla maoïste et forces gouvernementales.
Au Darfour, c’est le paroxysme de violences qui règne dans cette région de l’Ouest-Soudan qui a conduit le 29 janvier Médecins du Monde à suspendre la totalité de ses activités pour une durée indéterminée. La catastrophe humanitaire tant de fois annoncée depuis 2003, alors que plus de 200 000 personnes ont été massacrées depuis le début du conflit, menace maintenant les quelque 2,5 millions de réfugiés. «La balance entre les services qu’on arrive à rendre et les risques qu’on fait prendre à nos équipes était devenue trop défavorable», explique le directeur des missions internationales de MDM, Eric Chevalier. L’organisation procurait de l’aide médicale à 90 000 réfugiés du camp de Kalma et à 30 000 habitants des villages reculés des montagnes du Jebel Marra, où elle avait enrayé l’an dernier une épidémie de choléra. La radicalisation du conflit, qui a causé la mort d’une douzaine de travailleurs humanitaires soudanais au cours des six derniers mois, risque fort d’entraîner également le retrait des ONG (Action contre la faim et Oxfam l’envisagent officiellement), ainsi que celui des agences onusiennes. Ce seront alors 4 millions d’habitants qui risqueront de se trouver privés d’approvisionnement alimentaire et de médicaments.
Les boat people, combien de victimes ?
La dernière des grandes catastrophes qui frappent les populations en silence fait certes l’objet de quelques dépêches d’agence, lorsque est retrouvée une embarcation vidée de ses passagers au large de la Mauritanie, des îles Canaries, du Sénégal, de l’Espagne, du Maroc, de Malte, de la Libye, ou encore du Yémen et de la Somalie. Mais nul n’est en mesure de dire aujourd’hui combien de ces boat people ont péri au cours de ces dix dernières années, victimes de cette contrebande humaine. La Croix-Rouge internationale excipe d’une seule étude, publiée en 2004 par un universitaire britannique, Michael Pugh, qui, à partir d’entretiens avec des migrants, du nombre de corps et d’épaves recensés, ainsi que des statistiques officielles, évalue à 2 000 le nombre des personnes qui chaque année se noieraient en Méditerranée en tentant d’atteindre les territoires de l’Eldorado européen. La lutte contre ce trafic humain passe bien sûr par des mesures de police maritime ciblées. Mais, à moyen terme, des collectes d’informations sont indispensables pour effectuer un bilan de mortalité aussi précis que possible et lancer des campagnes d’avertissement à l’attention des populations subsahariennes pour les informer sur les risques auxquels s’exposent les migrants clandestins. A long terme, seule pourra mettre un terme à cette catastrophe à évolution lente une politique qui fournira enfin aux populations les raisons économiques suffisantes pour rester au pays.
Pour ces boat people comme pour toutes les victimes des catastrophes négligées, «les solutions, souligne le secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Markku Niskala, excèdent de loin les mandats ou les capacités des seules organisations humanitaires. A long terme, la clé réside dans un engagement politique, sécuritaire et économique accru qui vise au développement».
A consulter : Rapport sur les catastrophes dans le monde, 251 p., 22 euros, édité par la Fédération internationale Croix-Rouge-Croissant-Rouge.
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