Un entretien avec Jean-Philippe Milon (1)
LE QUOTIDIEN -Certains professionnels de santé n'ont pas compris les raisons de ce retrait brutal à l'échelle mondiale, alors même qu'on leur dit que la France n'est que très peu concernée par les risques de rhabdomyolyse mortelles liées à la prise de cérivastatine.
JEAN-PHILIPPE MILON - Il est vrai que sur les 52 cas rapportés par la pharmacovigilance mondiale, 38 concernent les Etats-Unis. Par ailleurs, l'état actuel des enquêtes, notamment compte tenu du peu d'informations sur des coprescriptions éventuelles, ne permet pas toujours d'imputer une responsabilité unique à la cérivastatine.
Aujourd'hui, on peut dire que ces décès sont liés pour une large part, à des protocoles qui sont interdits et/ou non pratiqués en France, à commencer par l'association au gemfibrozil. Ce fibrate est, en effet, très peu utilisé dans notre pays, et de plus les RCP comme les RMO contre-indiquent l'association d'une statine et d'un fibrate.
Si l'on ne déplore en France qu'un seul cas dont l'imputabilité n'a pas été confirmée, c'est grâce au respect de ces recommandations par le corps médical français, contrairement à ce que l'on observe en particulier aux Etats-Unis.
Je citerai, à ce propos, un représentant de l'AFSSAPS : « S'il n'y a qu'un cas de décès en France, ce n'est pas un cas qui a été bien documenté, il n'est pas du tout établi qu'il soit lié à la prise du produit. »
Par ailleurs, il faut souligner qu'un certain nombre d'accidents rapportés Outre-Atlantique ont été observés avec des posologies de 0,8 mg - surtout en initiation de traitement. Ce dosage est le double de la dose maximale recommandée dans le résumé des caractéristiques produit français où seuls les dosages à 0,1, 0,3 et, depuis mai dernier, à 0,4 mg, étaient disponibles.
Dans ces conditions, on aurait fort bien pu imaginer que, suite aux discussions avec la FDA américaine, Bayer ne retire son produit que du marché américain où les risques étaient beaucoup plus élevés. Mais, privilégiant la sécurité des patients, notre maison mère a décidé la suspension immédiate de commercialisation au plan mondial.
Avec une seule exception : le Japon, pays dans lequel le gemfibrozil n'est pas commercialisé et où le plus fort dosage de cérivastatine est de 0,3 mg.
Sur le fond, on peut donc dire qu'il s'agit d'une décision éthique et responsable, bien que rapide ; une première dans l'histoire de la pharmacie mondiale, de par la rigueur que Bayer s'est imposée... avec les conséquences que l'on sait.
Le caractère brutal de cette décision ne traduit-il pas un retard dans la divulgation de données de pharmacovigilance que vous possédiez ?
Absolument pas. Bayer a toujours travaillé dans la plus grande transparence avec les agences gouvernementales, notamment la FDA américaine, en Europe avec l'EMEA, le MCA, agence britannique et pays rapporteur pour l'évaluation de la cérivastatine et les autres agences nationales, dont l'AFSSAPS.
Toutes les données de pharmacovigilance ont été communiquées en temps voulu aux agences concernées. Signalons par exemple que nous avons étroitement collaboré avec l'AFSSAPS pour l'élaboration du communiqué de juillet relatif à la contre-indication formelle d'association cérivastatine-gemfibrozil.
Par ailleurs, Bayer a pris l'initiative de retirer le plus fort dosage (0,8 mg) dans les rares pays où il était déjà en vente (Royaume-Uni, Etats-Unis). Enfin, la décision finale, au sortir d'une audition par la FDA, montre que Bayer n'a jamais cherché à « gagner du temps ».
L'information des professionnels de santé
Il reste que de nombreux médecins et pharmaciens ont été mécontents - pour ne pas dire plus - d'apprendre le retrait de la cérivastatine dans la presse. Que pouvez-vous leur dire ?
Etant moi-même docteur en pharmacie, je comprends cette irritation et j'exprime, au nom de Bayer, tous mes regrets aux professionnels qui se sont sentis « trahis ».
Mais en tant que représentant en France de Bayer Pharma, je dois leur dire que nous n'avions pas d'autre choix. Et ce pas seulement, comme je l'ai lu et entendu, parce que nous sommes cotés en Bourse. Bayer a d'ailleurs, au même moment, - j'insiste sur ces mots -, le 8 août à 8 heures, alerté l'Office de surveillance de la Bourse de Francfort et envoyé un communiqué de presse.
A l'instar de mes collègues des autres filiales, j'ai découvert le communiqué de Bayer AG quelques minutes avant la dépêche de l'AFP.
Une fois la décision rendue publique par notre maison mère, nous n'étions pas en mesure de différer, et moins encore d'empêcher, la circulation de cette information aux médias hexagonaux. Dans ces conditions inédites, nous nous sommes efforcés d'apporter aux professionnels de santé une information aussi rapide que possible, compte tenu des contraintes réglementaires et techniques qui sont les nôtres.
Croyez-moi, l'expérience a été, pour nos équipes également, très éprouvante !
Quoi qu'il en soit, le retrait de la cérivastatine est un coup très dur pour Bayer AG. Au point que certains y voient l'annonce d'un retrait prochain de Bayer de la pharmacie, d'une façon ou d'une autre.
On ne peut empêcher les spéculations. Mais laissez-moi vous dire qu'elles sont totalement infondées. Le Dr Manfred Schneider, président de Bayer AG et le Dr David Ebsworth, qui dirige la division Pharma, ont très solennellement réaffirmé la présence de Bayer dans la pharmacie, comme dans ses autres métiers. En dépit des restructurations annoncées le 13 août et destinées à réaliser les économies indispensables pour l'avenir et le développement du groupe, il a été souligné que les efforts de recherche dans le domaine de la pharmacie ne seraient pas du tout ralentis ou amputés.
Par ailleurs, faut-il rappeler que notre portefeuille et notre pipe-line de produits nous permettent de faire face à ce revers ?
Nous sommes ainsi le troisième acteur français en antibiothérapie avec Ciflox et Josacine et nous espérons renforcer notre position au début de 2002, avec une quinolone de dernière génération (moxifloxacine ou Izilox).
En diabétologie, l'acarbose (Glucor) constitue une incontestable innovation. Le retrait de la cérivastatine ne signe donc pas la disparition de Bayer du cardio-vasculaire puisque Chronadalate connaît toujours un succès et un développement clinique incontestables. S'y ajoutera, normalement en 2003, le Repinotan, dans le traitement des accidents vasculaires cérébraux.
En 2003 toujours, nous proposerons au corps médical le vardenafil pour traiter des dysfonctions érectiles.
42 produits en développement
Notre pipe-line ne comporte pas moins de 42 produits dont 18 qui sont en phase clinique. Cela dans de très nombreux domaines thérapeutiques : cardio-vasculaire, cancérologie, SNC, diabétologie, infectiologie, immunologie...
Par ailleurs, notre effort considérable de recherche bénéficie de la formidable plate-forme de haute technologie mise en place par Bayer ces dernières années. Et ce que ce soit en matière de chimie combinatoire, screening à haut débit, génomique ou bio-informatique.
Bayer Pharma a donc les moyens de traverser ce moment difficile de son histoire.
Autrement dit, Bayer Pharma fera tout pour demeurer un partenaire privilégié des professionnels de santé.
(1) Président du directoire de Bayer-Pharma.
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