FRAPPÉE DE PLEIN FOUET par le choc pétrolier de 1974, la France s'est engagée, sous les gouvernements de Valéry Giscard d'Estaing, dans un vaste programme de centrales nucléaires. Comme nous tirons de ces centrales entre 70 et 80 % de notre électricité, la hausse actuelle des produits pétroliers nous affecte moins que d'autres pays qui, sous la pression des écologistes, ont tourné le dos au nucléaire.
Dans les années 90, le prix du baril a beaucoup baissé, ce qui a endormi les pays consommateurs. L'effondrement des prix (à dix dollars le baril) a coïncidé avec l'essor des 4x4, ces voitures dévoreuses d'essence. Et nous avons rejeté toute alternative au pétrole parce qu'aucune technologie ne souffrait la comparaison en termes de coût.
Un luxe que nous ne pouvons pas nous offrir.
Nous voici aujourd'hui fort dépourvus. Et pas seulement en France. Le prix du baril grimpe parce que la croissance est très forte en Chine, au Japon et aux Etats-Unis. Or, non seulement le taux de croissance européen est largement inférieur, mais le prix du pétrole va faire baisser ce taux.
Bien entendu, l'argumentaire en faveur d'une attitude optimiste est abondant : la crise ne va pas durer, à 50 dollars, le baril est relativement beaucoup moins cher qu'en 1980, la Chine ne peut pas se développer durablement à un rythme aussi rapide et les prix vont retomber ; d'ailleurs, sur le marché des « futures » (les achats à un an ou 18 mois), le pétrole est coté à 36 dollars.
Mais, d'une part, le prix du pétrole a contaminé celui de toutes les matières premières, elles-mêmes en forte demande à cause de la croissance asiatique, et aussi parce qu'il faut de l'énergie pour les extraire ; et, d'autre part, la question, en France, est la suivante : pouvons-nous vraiment nous payer le luxe d'un affaiblissement de la croissance ?
Nos dirigeants lèvent déjà les bras au ciel : ils n'y peuvent rien. Ils ne sont pas en mesure d'ordonner aux Américains une politique de conservation de l'énergie, ou d'arrêter la croissance chinoise. C'est vrai, mais le pétrole, affaire stratégique, ne se traite pas au jour le jour. Ce n'est pas maintenant que nous pouvons faire baisser les coûts. Nous avons eu trente ans pour mettre au point les moyens d'en acheter de moins en moins et, en dépit des imprécations des écologistes, nous pouvons nous féliciter d'avoir des centrales nucléaires. Cependant, rien ne nous empêchait de mettre au point et de généraliser les systèmes alternatifs, éoliennes dans le Nord, panneaux solaires dans le Midi, afin de varier le plus possible nos sources d'énergie. Nous avons abandonné ces projets au nom de leur prix, alors qu'ils auraient dû être soutenus par l'Etat ; et nous avons repris de mauvaises habitudes, comme le 4x4, qui a permis aux constructeurs automobiles de réanimer le marché, mais dont l'usage devient hors de prix.
Gouverner, c'est prévoir.
Ce n'est pas parce qu'on a de la chance pendant dix ou vingt ans qu'on ne doit pas prévoir une période de pénurie. Nous avons chanté tout l'été ; nous aurions mieux fait d'investir assez d'argent dans les moteurs électriques ou à hydrogène et même de commencer à les vendre massivement : nous serions à l'abri d'une crise énergétique.
NOUS SOMMES TOUS DES TOXICOMANES DU PETROLE
Il ne s'agit pas de dramatiser : pour le moment, le dernier en date des chocs pétroliers n'est pas apocalyptique. Mais gouverner, c'est prévoir. On ne peut pas dire que les gouvernements qui se sont succédé depuis 1974 aient tout fait pour arracher la France à la dépendance pétrolière. Dépendance est le mot juste : nous sommes des toxicomanes du pétrole. Et, pour ce qui concerne les énergies alternatives, le Japon a déjà pris une décennie d'avance sur nous. Où en sont les projets de moteurs hybrides, électriques ou à hydrogène des constructeurs français, alors que la « Prius » de Toyota (moteur hybride) est déjà commercialisée dans le monde entier ? Pourquoi ne sommes-nous pas précurseurs en la matière ?
Parce que nous allons fatalement vers le plus simple et le plus immédiat : PSA et Renault sortent de leurs usines des voitures chaque année plus fiables, plus performantes, plus faciles à entretenir. Nos deux grands constructeurs ne voulaient pas se compliquer la vie dans des travaux de recherche dont l'aboutissement est imprévisible. Il demeure que ce que nous n'avons pas fait quand nous avions du temps, nous finirons par le faire précipitamment et sous la contrainte. Entretemps, si par malheur le prix du baril ne retombe pas, nous paierons la facture en euros et en emplois.
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