L'INSUFFISANCE rénale chronique (IRC) est définie par la baisse du débit de filtration glomérulaire (et par une baisse de la clairance de la créatinine établie à l'aide d'une formule), associée à des anomalies hydroélectrolytiques et endocriniennes ; une clairance de la créatinine de 60 ml/min correspond au stade 3 ANAES d'insuffisance rénale. Il y a probablement plus d'un million de personnes en IRC en France - dont bon nombre n'est pas diagnostiqué. À chaque stade évolutif correspondent des risques particuliers impliquant des mesures diététiques spécifiques. Ainsi, les recommandations seront différentes selon que l'on se situe aux stades 3, 4 et 5 avant dialyse, au stade 5 « dialyse » ou après une transplantation.
Avant la dialyse, l'objectif est de prévenir les complications métaboliques et la progression de l'atteinte rénale, favorisées par l'hypertension artérielle (HTA) et la protéinurie. Concrétement, cela se traduit par une réduction des apports sodés et par des apports protéiques optimisés. Dès qu'il existe une HTA, les apports de chlorure de sodium (sel alimentaire) doivent être limités à 6 g par jour. « Il ne s'agit pas d'un régime désodé strict », précise le Pr Denis Fouque. En pratique, il suffit de cuisiner peu salé, de ne pas ajouter de sel à table et de renoncer aux biscuits apéritifs et/ou aux plats tout préparés contenant trop de sel ; il n'y a pas lieu d'acheter du pain sans sel, ni d'exclure des eaux minérales riches en bicarbonate de sodium qui n'est quasiment pas hypertensif.
Deuxième mesure très importante chez les patients insuffisants rénaux (qu'ils soient ou non hypertendus), ne pas abuser des protéines : « Il ne faut pas parler de restriction, terme mal perçu par les patients, mais d'apports optimisés équivalents à 0,8 g/kg/jour », note le Pr Denis Fouque. Actuellement, en France, on en mange beaucoup trop, en moyenne 1,4 g/kg/j. Des apports optimisés impliquent que le patient diminue significativement les quantités de viande et de fromages consommées. Des apports contrôlés de protéines permettent de réduire la charge en phosphore, en sodium et de diminuer la protéinurie. Le déficit en calcium potentiellement induit par la baisse de consommation du fromage et des produits laitiers est de toutes façons compensé par une supplémentation calcique obligatoire chez l'IR. Si, en dépit de la réduction de la viande et des fromages, une hyperphosphorémie persiste, des chélateurs du phosphore sont prescrits. La prescription de vitamine D est discutée au cas par cas. Il n'y a pas lieu de restreindre les apports hydriques ; dès lors que ceux-ci seront raisonnables de l'ordre d'un litre et demi par jour. « L'idée qu'il faut boire 3 litres par jour pour être en bonne santé est totalement erronée, s'insurge le Pr Fouque. Il n'y a pas de justification médicale (en dehors des lithiases urinaires) de boire plus de1,5 litre par jour. Pour sécréter correctement l'ADH, l'hypophyse a besoin de périodes de restriction hydrique. Il n'est pas bon de boire sans arrêt. »
Enfin, il faut être vigilant vis-à-vis des apports énergétiques. Une anorexie accompagne très souvent l'IRC. Et les patients risquent de restreindre spontanément leurs apports énergétiques du fait du manque d'appétit et/ou d'une mauvaise compréhension de leur régime. D'où la très grande utilité d'un suivi diététique.
Avant la dialyse, les recommandations diététiques ne diffèrent pas selon le stade d'évolution de la maladie - 3, 4 ou 5. « Plus la maladie est avancée, plus on sera exigeant sur la mise en œuvre et l'observance des mesures préconisées et plus on exercera une surveillance étroite des résultats obtenus, précise le Pr Denis Fouque. Le recours à une diététicienne pour accompagner le patient est hautement souhaitable ; elle permet de traduire en pratique les recommandations théoriques faites par le médecin. Dans le cadre du réseau TIRCEL mis en place dans la région lyonnaise, les patients avec une IRC rencontrent une diététicienne tous les 6 mois puis tous les 3 mois quand la maladie a progressé. Bien sûr le rythme est adapté aux besoins de chaque patient, c'est-à-dire à sa capacité à comprendre et à appliquer durablement les consignes hygiéno-diététiques. »
Le respect des consignes alimentaires est facilement évalué par une analyse des urines de 24 h mesurant le sodium et l'urée (300 mmol d'urée par 24 h correspondent à la consommation de 60 g de protéines). Un contrôle est réalisé tous les 6 mois pour l'IRC de stade 3 puis tous les 3 mois lorsqu'il s'agit d'un stade 4 ou 5. La calcémie et la phosphorémie sont contrôlées tous les 6 mois.
Le traitement par dialyse chronique marque un tournant à bien des égards et notamment concernant les mesures diététiques. « Le risque de dénutrition passe au premier plan chez les patients dialysés, souligne le Pr Fouque ; la principale préoccupation va alors être d'assurer des apports protéino-énergétiques suffisants. On a moins besoin de contrôler les anomalies métaboliques qui le sont par la dialyse. La technique même de dialyse favorise les pertes protéiques. » Les apports conseillés passent de 0,8 à 1,1 g/kg/j. Il faut aussi augmenter la ration calorique. « Ces mesures risquent d'élever la phosphorémie ; la prescription de chélateurs est généralement nécessaire, indique le Pr Fouque. De même, il est difficile d'imposer des restrictions en vue de contrôler le risque dyslipidémique ; aussi préférera-t-on prescrire une statine si besoin. » Enfin, les patients étant très souvent hypertendus, la limitation des apports sodés reste plus que jamais d'actualité ; elle est fixée à 4 g/jour - seuil qui ne nécessite pas nécessairement de passer aux produits de régime sans sel. Les apports en potassium doivent aussi être surveillés. « Il arrive qu'à la saison des fraises ou des cerises la kaliémie augmente brutalement du fait d'une consommation excessive », note le Pr Fouque. Encore une fois, l'ensemble de ces mesures n'est pas facile à mettre en pratique ; le suivi par une diététicienne est indispensable.
Concernant les vitamines, l'habitude en France est d'administrer une association (B1, B6, C et folates) par la voie de la dialyse et d'apporter la vitamine D sous forme de médicament.
La surveillance porte en priorité sur le poids, la composition corporelle et l'albuminémie ; le principal risque étant la dénutrition. « Il faut être très interventionniste, précise le Pr Fouque, et ne pas hésiter à donner des suppléments oraux ou intraveineux ».
Après transplantation, les patients vont mieux ; ils ont de l'appétit, ne sont plus soumis à des restrictions et prennent des traitements cortisonés et immunosuppresseurs. Ils peuvent prendre du poids et devenir dyslipidémiques, intolérants au glucose, voire diabétiques. Le diététicien intervient à nouveau pour appliquer les mesures concernant l'HTA, le cholestérol, les triglycérides, la glycémie, etc. « Le risque de dénutrition s'éloigne et laisse la place à celui des maladies métaboliques », conclut le Pr Fouque.
D'après un entretien avec le Pr Denis Fouque (service néphrologie hôpital Edouard-Herriot Lyon)
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