Par le Pr Thanh Hoang-xuan*
La surface oculaire, constituée de la cornée au centre, transparente, entourée de la sclérotique tapissée par une muqueuse, la conjonctive, est en permanence lubrifiée par le film lacrymal qui la protège de la dessiccation et des agressions extérieures.
La transparence de la cornée et la régularité de sa surface constituée par un épithélium pluristratifié non kératinisé d'une cinquantaine de microns d'épaisseur sont des conditions indispensables à une bonne vision. L'épithélium cornéen est renouvelé à partir de cellules souches dont l'essentiel du contingent, si ce n'est sa totalité, a été localisé au limbe. La destruction de ces cellules souches limbiques (brûlure chimique, tumeur, conjonctivite fibrosante) est responsable d'une conjonctivalisation et d'ulcérations récidivantes de la cornée pour lesquelles la greffe (kératoplastie) seule est insuffisante à la guérison. Une thérapeutique chirurgicale récente, qui a transformé le pronostic de certaines cécités cornéennes où l'épithélium est défectueux, est la greffe de cellules souches limbiques, soit à partir de l'autre il s'il n'est pas atteint, soit à partir de celui d'un donneur vivant. Dans ce cas, l'histocompatibilité n'est pas nécessaire, à la condition qu'une immunosuppression par ciclosporine par voie générale soit prescrite pendant quelques mois. La culture in vitro de quelques cellules limbiques saines prélevées chez le patient, s'il en possède encore, puis regreffées, constituerait en fait la meilleure alternative. Ce procédé, déjà réalisé dans quelques centres, devrait bientôt se généraliser. La découverte des propriétés trophiques de la membrane amniotique (prélevée lors de césariennes et cryoconservée) a permis sa greffe sur la cornée dans des indications de cicatrisation cornéenne défectueuse et de support à l'expansion des cellules souches limbiques transplantées.
La conjonctive, de par sa vascularisation et son chorion riche en cellules inflammatoires résidentes, est très réactive à toutes les agressions extérieures et est impliquée dans les inflammations systémiques. Les causes les plus fréquentes de conjonctivite sont l'infection et l'allergie oculaire. Les problèmes diagnostiques ne sont pas tant posés par les conjonctivites aiguës que par les conjonctivites chroniques, où la conjonctive n'est pas toujours hyperhémiée. La conjonctivite allergique peranuelle, celle liée à la sécheresse oculaire, celle en rapport avec une blépharite et la conjonctivite iatrogénique sont souvent cliniquement très proches et parfois diversement associées entre elles. L'interrogatoire, l'examen ophtalmologique minutieux à la lampe à fente combiné à des tests spécifiques oculaires (test de Schirmer, mesure du temps de rupture du film lacrymal et recherche d'IgE dans les larmes) et à des examens complémentaires (tests allergiques cutanés, IgE sériques, autoanticorps, biopsie des glandes salivaires accessoires) permettent le plus souvent d'arriver au diagnostic. La conjonctivite iatrogénique est sournoise et constitue un diagnostic d'élimination. Elle est secondaire à la toxicité directe, parfois associée à une vraie hypersensibilité allergique, des collyres administrés au long cours (comme dans le traitement du glaucome chronique à angle ouvert), par l'intermédiaire des conservateurs qu'ils contiennent. De nombreux collyres existent maintenant en unidoses et sans conservateurs.
Les indications de la biopsie
La conjonctive a l'avantage d'être très accessible aux investigations immunohistopathologiques, car elle peut être facilement biopsiée et de manière indolore grâce à une injection sous-conjonctivale de xylocaïne. La biopsie de la conjonctive est en fait rarement indiquée. Elle peut être utile en cas de lésion évocatrice d'un granulome révélateur d'une sarcoïdose. Elle est surtout indiquée en cas de fibrose conjonctivale pour éliminer une conjonctivite auto-immune. La plus fréquente est la pemphigoïde oculaire cicatricielle, les autres étant représentées par l'épidermolyse bulleuse acquise et la maladie IgA linéaire. Ces maladies sont caractérisées par des dépôts d'autoanticorps et/ou de facteurs du complément sur la membrane basale conjonctivale qui sont visualisés en immunofluorescence directe sous la forme d'une ligne fluorescente continue. Les techniques immunoenzymatiques sont plus sensibles, mais plus complexes à réaliser. Les diagnostics différentiels problématiques des conjonctivites fibrosantes auto-immunes sont essentiellement la kératoconjonctivite atopique (allergie oculaire chronique de l'adulte atopique souvent sévère), la kératoconjonctivite de la rosacée et la conjonctivite iatrogénique. Le syndrome de Gougerot-Sjögren et, à un degré moindre, la sarcoïdose sont les maladies générales pouvant aussi être associées à une fibrose conjonctivale. Lorsque la pemphigoïde oculaire cicatricielle est accompagnée d'une atteinte bulleuse cutanée ou extramuqueuse oculaire, le diagnostic est relativement facile, mais, en cas d'atteinte oculaire isolée, la biopsie trouve toute son importance. Les enjeux thérapeutiques et pronostiques sont importants car la pemphigoïde oculaire cicatricielle, non ou mal traitée, évolue souvent inexorablement vers la cécité cornéenne. Le traitement des formes sévères repose généralement sur une chimiothérapie immunosuppressive cytotoxique par voie systémique, tel le cyclophosphamide, et ne peut être prescrit qu'après un diagnostic établi avec certitude.
La biopsie conjonctivale est également indiquée lorsqu'une vascularite oculaire ou systémique est suspectée et que les investigations complémentaires générales se sont révélées négatives. Elle peut alors mettre en évidence des images de périvascularite ou de vascularite, parfois nécrosante, imposant un bilan général plus approfondi.
En cas de vascularite systémique avec atteinte de la surface oculaire, une sclérite, une épisclérite et parfois même une kératite périphérique sont très souvent associées à la conjonctivite. Ces atteintes oculaires - surtout la sclérite - sont plus douloureuses que la conjonctivite et résistent davantage aux traitements anti-inflammatoires locaux. Lorsque la sclérite est de type nodulaire ou nécrosante, elle doit toujours faire rechercher une maladie systémique associée comme une vascularite (Wegener, polychondrite atrophiante, périartérite noueuse) qu'elle peut révéler. Lorsqu'elle s'inscrit dans le cadre d'une collagénose, comme la polyarthrite rhumatoïde, cette dernière est le plus souvent déjà connue. La biopsie de la sclère concomitante à celle de la conjonctive peut aussi être utile au diagnostic de vascularite. L'épisclérite, inflammation plus superficielle de la coque sclérale, est moins souvent la traduction que la sclérite d'une maladie inflammatoire systémique. Elle survient, en revanche, volontiers dans le cadre d'une hypersensibilité de type allergique.
* Hôpital Bichat - Claude-Bernard et fondation ophtalmologique A.-de-Rothschild, Paris.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature