CONGRES HEBDO
C'est l'occasion de rappeler ce que sont les chirurgiens orthopédistes. Ce ne sont pas des fabricants de semelles orthopédiques, ce ne sont pas uniquement des chirurgiens du pied, ce ne sont pas des simples visseurs de boulons, pour rappeler simplement quelques fausses images de notre profession.
La chirurgie orthopédique et traumatologique avait au début du siècle des moyens limités et s'adressait à des pathologies actuellement en voie de disparition dans notre pays, comme les séquelles de poliomyélite ou la tuberculose ostéo-articulaire. Les évolutions les plus importantes, voire les révolutions, ont été le développement de l'ostéosynthèse des fractures, le traitement des affections dégénératives par des ostéotomies, en particulier de la hanche et du genou, et surtout l'introduction des prothèses articulaires, d'abord de la hanche, puis d'autres articulations, en particulier le genou. Progrès relativement récent, puisqu'il date des années 1960. Ces développements ont entraîné un essor de notre spécialité, la création de services hospitaliers de chirurgie orthopédique, une spécialisation exclusive des chirurgiens.
Notre génération a participé à cette évolution. Nous avons vécu le développement des prothèses articulaires, puis celui de la chirurgie endoscopique, notamment du genou. Nous sommes à l'aube d'autres évolutions : chirurgie assistée par robot, ordinateur, sonde à infrarouge, chirurgie mini-invasive, limitant les abords chirurgicaux, utilisation de biomatériaux, cultures cellulaires, thérapie génique...
La chirurgie orthopédique est un domaine très vaste, ce qui incite à une spécialisation de plus en plus marquée : membre supérieur, membre inférieur, rachis, bassin, tumeurs osseuses, infections ostéo-articulaires de l'adulte ou de l'enfant.
La chirurgie traumatologique intimement intriquée à la chirurgie orthopédique traite les lésions traumatiques récentes et leurs séquelles, pseudarthrose ou cal vicieux, des membres, du bassin et du rachis.
Tous ces champs d'activité méritent bien cinq jours de congrès annuel.
Notre spécialité ne se conçoit pas sans une étroite collaboration avec, d'une part, les rhumatologues, et ce n'est pas sans raison que nous avons souhaité faire cette année une séance commune avec la Société française de rhumatologie, et, d'autre part, les radiologues, le développement des nouvelles techniques d'imagerie nous rendant encore plus dépendant de l'interprétation des images. Je déplore qu'il soit de plus en plus difficile d'avoir des réunions communes de service, hebdomadaires, pour discuter de dossiers posant des problèmes diagnostiques ou thérapeutiques. La disponibilité des intervenants se réduit dans un but de rentabilité. Nous sommes menacés par cet exercice comptable de la médecine. On nous demande un tableau de service annuel pour chaque intervenant, prévoyant à l'avance les activités de bloc opératoire, de consultation, de visite dans le service de codage, dans un but de comptabilité analytique. Cela ne peut pas et ne doit pas correspondre à la réalité. A quand le pointage ?
L'autre menace est ce qu'on appelle les restructurations. Sous ce vocable plein de promesses se cache en fait le désir de faire des économies, de réduire l'activité, en diminuant l'offre de soins et en augmentant les files ou les listes d'attente. Pour le moment, le souhait de regrouper des services d'urgences n'aboutit qu'à l'augmentation des délais d'attente. Le problème des urgences n'est pas le regroupement, mais l'efficacité. Malgré tous les efforts déjà faits, il n'y a pas d'organisation structurée des urgences, pour diagnostiquer et traiter dans les meilleurs délais, en limitant au minimum l'hospitalisation. Tant qu'on attendra une heure un brancardier pour emmener un blessé à la radio, où il attendra encore un certain temps, par manque de manipulateur, pour attendre à nouveau le brancardier pour le ramener au service des urgences, où il attendra à nouveau qu'un médecin responsable prenne une décision, qui se soldera souvent par un transfert, faute de place, même si le blessé est porteur d'une fracture très déplacée ou d'une luxation très douloureuse.
Nous sommes par ailleurs menacés par les contraintes réglementaires de plus en plus lourdes, une accumulation des charges sur les chirurgiens. Je ne pense pas aux problèmes financiers, mais à la culpabilisation du chirurgien en cas d'infection nosocomiale ou de défaut mécanique, sur un implant orthopédique, par exemple. De ce fait, la pénibilité de notre profession la rend moins attractive pour les jeunes chirurgiens. Il y a même des projets de centre de responsabilité, confiant au chef de service la responsabilité de la gestion des effectifs, la responsabilité d'un plan pluriannuel d'activité. Nous avons une formation de soignant, pas de gestionnaire!
Il faut que nous restions vigilants sur deux aspects essentiels de notre métier, la personnalisation de notre relation avec le patient et la primauté de l'examen clinique sur tout examen complémentaire, qui ne peut être interprété qu'en fonction de la clinique. L'acte chirurgical n'est que secondaire, et il est lourd de conséquences, surtout s'il était inutile. Il est source de bien des angoisses, de doutes et d'insomnies et, pourtant, c'est un paradoxe, le chirurgien doit paraître sûr de lui pour inspirer confiance. Nous avons la chance, dans la majorité des cas, de ne pas soigner des maladies graves, mais des affections essentiellement douloureuses, et nous avons la chance de pouvoir supprimer de façon durable ces douleurs et le handicap qui en résulte. Gardons-nous d'un excès de confiance, mais dégustons la reconnaissance qui en résulte.
Les chirurgiens orthopédistes sont encore des chirurgiens heureux. Pour combien de temps ?
Chef du service de chirurgie orthopédique, hôpital Saint-Michel, Paris
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